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Big Brother, petite déception

Pourquoi ce grand frère est si difficile à aimer?

Par
Francis Boilard
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*L’auteur est professeur de sociologie

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Big Brother Célébrités, c’est le cheval de course de NOOVO pour l’hiver. Lors de la première du 10 janvier, les cotes d’écoute touchaient les 641k. Le dimanche suivant, elles baissaient à 553k. C’est assez prévisible qu’une émission score fort la première semaine, avec un petit relâchement par la suite. Cela dit, on sent un certain désengagement des téléspectateurs sur les réseaux sociaux. Plusieurs s’accrochent, résignés, faute d’options. Mais qu’est-ce qui manque pour que le public saute dans le train de Big Brother avec enthousiasme? Et si on y allait de quelques hypothèses?

Bouge de quoi?

C’est sans doute difficile, pour quelqu’un de 25 ans, de s’identifier à Emmanuel Auger / père de famille.

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Une bonne portion des amateurs de téléréalités, ce sont les millénariaux âgés de 16 à 38 ans. Or, la moyenne d’âge des participants de Big Brother approche les 40 ans. C’est sans doute difficile, pour quelqu’un de 25 ans, de s’identifier à Emmanuel Auger / père de famille. Ou de se souvenir de Varda à la tête de l’émission « Bouge de là » à Musique plus (un genre de party avec un DJ et des gens qui dansaient sur des blocs, après « Le combat des clips »). On peut aussi penser que peu de millénariaux payent le câble pour écouter l’émission de déco de Laurence Bareil à Canal Vie. Et c’est possible qu’ils n’aient pas une grande fascination pour François Lambert, laissant ce genre de cultes à l’auteur de cette chronique.

La boxeuse Kim Clavel est plus jeune, quoique trop peu connue pour déclencher un hype qui ferait vibrer les millénariaux. Gagner le prestigieux « prospect award » ne risque pas de créer des nouvelles hordes de groupies. Quant à Kevin et Lysandre, les détails croustillants de leur vie personnelle traînent déjà sur le Web. Pas besoin de s’investir dans Big Brother pour en savoir plus. Camille (21 ans) et Claude (36 ans) sont de belles prises qui font le pont entre les deux bouts de leur génération. Sauf qu’on parle de 2 participants sur 15. C’est peu, pour conserver l’engouement des fans de Jay Du Temple.

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Demi-célébrité, demi-curiosité

La semaine dernière on apprenait que les participants de Big Brother seraient payés entre 6000 et 7000$ par semaine. C’est beaucoup d’argent, mais probablement pas assez pour repêcher 15 célébrités de cote « A » ou « B ». En plus, le recrutement des participants s’est déroulé en pleine COVID, dans un contexte où les mesures sanitaires imposent d’énormes pressions sur le milieu de la culture. En temps normal, les personnes approchées auraient eu plus d’options sur le marché du travail. Et certaines d’entre elles auraient probablement refusé de miser leur image à Big Brother pour 35-42$ de l’heure.

la plupart des participants de Big Brother se situent pas mal plus proche des inconnus qui rêvent de faire OD que de Julie Snyder.

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Le hic, c’est que les spectateurs s’attendaient à voir plus de célébrités, des vraies. C’est-à-dire des personnalités assez présentes dans les médias pour être connues par la plupart des Québécois. Alias des vedettes qu’on aime espionner dans le privé, en cliquant sur des textes de Hollywood PQ qui popent dans nos algorithmes. Or, la plupart des participants de Big Brother se situent pas mal plus proche des inconnus qui rêvent de faire OD que de Julie Snyder. Ils n’ont pas obtenu leur statue de cire au Musée Grévin. Cependant, comme personnalités publiques, ils demeurent trop « différents » des gens anonymes qui regardent pour que ce soit facile de s’identifier à eux. Ce qui donne peut-être moins envie de les suivre de près 7 jours sur 7.

OD, sans l’amour

Big Brother propose une ambiance particulière. Il y a des gros plans sur les candidats, de même que sur les caméras hyperactives qui les filment 24/24. Cette mise en scène du « contrôle » laisse comme une impression d’État policier. Voilà qui se rapproche de notre expérience du couvre-feu entré en vigueur… la veille du début de Big Brother. À moins d’avoir un chien, depuis le 9 janvier à peu près tout le monde reste enfermé à compter de 20h. Ça peut enlever le goût de regarder une émission qui se déroule dans une prison de luxe. Surtout s’il n’y a pas de voyages (ou même de scènes tournées dehors) comme à OD.

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Entendons-nous. OD ça reste un environnement de type prison (ou asile). Et ça marchait fort l’automne dernier, malgré le reconfinement. OD se démarque toutefois sur un point important : l’objectif officiel de l’émission c’est « la recherche de l’amour ». Big Brother force plutôt des gamiques à l’état brut, entre des semi-vedettes qui doivent s’éliminer pour prolonger leur paye une semaine de plus. Dimanche, durant son speech pour rester dans la course, Laurence Bareil admet avoir vécu son ballottage comme un rejet à l’école primaire. Sans parler de Geneviève Borne, expulsée de l’émission par un vote unanime de ses pairs. Au point que François Lambert se sent maintenant « comme un chien sale ».

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Les candidats ont beau se répéter que « c’est juste un jeu », ils comprennent bien que celui dans lequel ils jouent a quelque chose de violent. Près de la moitié d’entre eux ont pleuré depuis deux semaines. Ce malaise se ressent forcément chez les téléspectateurs. Se divertir par des scènes aussi déchirantes peut générer de la honte et de la culpabilité. Après tout, la dignité humaine reste une valeur bien répandue dans notre société. Pour rester en paix avec leur propre morale, certains pourraient visionner la chose avec un bras de distance.

Garder l’oeil ouvert

Big Brother surveille les célébrités. Les téléspectateurs qui regardent Big Brother le font en fronçant les sourcils. Et le sociologue garde l’œil ouvert pour réagir au besoin. Car ce show est en train de nous dévoiler – bien malgré lui – la hiérarchie et la fragilité du star-système québécois. Devenir célèbre, finalement, c’est sûrement moins glamour que ce qu’on veut bien nous montrer.

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