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Quand on m’a parlé de shibari1 (ou kinbaku, l’art du bondage japonais qui consiste à attacher quelqu’un à l’aide de cordes dans différentes structures esthétiques ou pratiques) la première fois, je me suis dit: «Non mais, non mais non, le bondage ce n’est pas pour moi!». Tout ce que je savais alors du ligotage, c’est que quelqu’un attachait quelqu’un d’autre. Pour moi, ça voulait dire être pognée pas d’issue, vulnérable. L’idée de se faire restreindre quand on est claustrophobe, on va se le dire, ce n’est pas la projection la plus enthousiasmante.
J’ai donc rencontré cet homme, Kale, qui mentionnait pratiquer le shibari sur un site de dating en ligne. Intriguée, nerveuse j’avoue, mais surtout intéressée par l’esthétisme de la patente (parce que j’avais vu des photos de ligotage japonais, des gros plans sur des nœuds, des marques de cordes bien imprégnées sur la peau). J’ai abordé le mec. Je passe les détails du flirt virtuel qui s’en est suivi.
Le shibari ce n’est pas du bricolage.
C’est donc en octobre que Kale et moi nous nous sommes rencontrés la première fois pour aller prendre un café. Enfin, plusieurs cafés. Je suis d’une timidité et d’une pudeur sans nom (alors que je passe plutôt pour une extravertie auprès de ceux qui me côtoient). Il aura fallu quelques heures de discussion et de partage pour qu’enfin il me lance «alors, tu veux parler de shibari?» Je devais être rouge écarlate! Il m’a tout de même partagé son expérience, des apprentissages qu’il avait faits, du formateur qu’il était devenu.
Car, il faut le savoir, le shibari ce n’est pas du bricolage. Ce n’est pas wraper quelqu’un n’importe comment sur une chaise pour en faire ce qu’on veut. Sa démarche s’inscrit dans la pratique d’arts martiaux et est peuplée d’inspirantes anecdotes… Enfin, même si ma curiosité a été piquée à vif, j’ai conclu que d’en entendre parler était suffisant. Maudit que ça me rendait nerveuse juste d’entrouvrir cette porte-là.
Sauf que.
Quand il m’a ramenée poliment chez moi dans sa voiture, avant que je n’en sorte, il a sorti un bundle de cordes de jute rouge et me l’a mis sur les genoux. J’étais à détacher ma ceinture et… voilà cet animal, la mystérieuse corde, là sur mes jambes. D’un coup, elle me paraissait douce et apaisante, belle et pas violente du tout. J’ai tâté la fibre, j’ai souri. Il me semble qu’on s’est embrassés lui et moi, puis je suis sagement rentrée chez moi.
Avant de se lancer, il y a l’établissement de règles, la détermination de limites, le partage des craintes, et le sacro-saint consentement nécessaire.
Mais elle, elle m’a solidement appelée, l’agace. J’ai dû en rêver tellement ma curiosité maladive faisait contraste à ma réticence, mes peurs, mes aprioris. Le lendemain, j’ai rappelé mon partenaire de jeux to be, mon attacheur, pour qu’on discute sérieusement.
J’ai appris ici qu’à la différence de toutes autres rencontres qu’on peut faire, dans l’amorce, la première consonne du BDSM (Bondage, Discipline, Sado-Masochisme), il y a l’établissement de règles, la détermination de limites, le partage des craintes, et le sacro-saint consentement nécessaire. Est née l’Essence d’une relation dont les racines prennent leurs forces dans un terreau de confiance et de sécurité.
Kale s’est pointé avec son baluchon de cordes, à l’heure pile où il s’était annoncé.
Avais-je déjà fait confiance à ce point de lâcher-prise sur TOUT? Avais-je anticipé que le bondage allait devenir une pratique régulière? Non! Parce que je ne savais pas encore que, pour laisser quelqu’un t’amener à lâcher prise alors que t’es totalement (ou presque) restreinte et vulnérable, il fallait qu’existe une bulle de confiance hors du commun. Une sphère de connexion si dense et extensible qui allait permettre à toutes mes cellules de voler au vent, dans une légèreté vibrant entre le confort et l’inconfort.
J’accueillais ce nouvel ami chez moi sachant que j’ouvrais une porte vers l’inconnu. Kale s’est pointé avec son baluchon de cordes, à l’heure pile où il s’était annoncé. J’étais si fébrile. Tout ce que je pouvais imaginer c’est que j’allais bêtement me faire attacher. Mais je devinais quand même qu’il devait y avoir autre chose. On a discuté à nouveau de limites, tamisé la lumière, on s’est assurés que je me sentais bien. J’ai retiré mes vêtements pour qu’il ne reste plus que ma culotte.
C’était pas déjà commencé que j’étais méga émoustillée. Un désir nouveau, une excitation qui devait transpercer de tous mes pores. Les bras dans le dos, Kale me boudina dans un harnais de corps, un takate kote (box tie), aussi confortable que rassurant. J’étais si présente, si tant tellement juste rien d’autre que là, dans ma chambre, rien à faire, rien à dire, nulle part où aller.
En totale confiance alors que démunie de tout, sinon de ce que j’avais exprimé comme limites. En contrôle, soumise à la confiance que j’avais en mon partenaire. J’ai compris que ce ne serait pas la dernière fois.
L’odeur de la fibre, le son que font les cordes qui frôlent ton corps, s’enlaçant entre elles.
Il y a maintenant deux années que je pratique la corde, je peux témoigner de tout ce que cette incursion a eu de bénéfique chez moi. Pas seulement dans la rencontre d’un homme, un ami et un partenaire de confiance, mais dans ma façon de conscientiser tout ce à quoi l’on consent dans le quotidien, et combien de respect il me fallait accorder à mes limites.
Ce fut aussi et surtout la découverte d’une sphère parallèle qui explosa dans mon esprit comme une grosse poignée de Nerds pétillants sous le palais: l’odeur de la fibre, le son que font les cordes qui frôlent ton corps, s’enlaçant entre elles. La respiration de l’autre, son regard parfois confortant, parfois effrayant… C’est le jeu.
Après, qu’on ait envie de se faire pousser dans des positions qui challengent son corps, suspendre, avoir mal ou se sentir léger.e, chacun voit. On peut avoir envie de se sentir choisi.e, aimé.e, insulté.e, humilié.e, c’est à chacun son bag, il y a un monde de possibilités! Y’en a qui pratiquent seuls à la maison en paire, en groupe, en public lors de rassemblement.
À Montréal, il y a toute une communauté qui apprend et qui pousse à démystifier l’approche.
Y’en a qui y mélangent des jeux plus intenses, du sexe même, certains qui décident de pousser leur démarche à performer en public, mille avenues qui mènent toutes à des destinations qui ne peuvent que refléter ce qui correspond aux limites et besoins de chacun.
J’ai aussi découvert qu’à Montréal, il y a toute une communauté qui apprend (comme les dojos Ropes in Motion (Kale y enseigne), et Tension, qui forge des liens, qui se pousse à démystifier l’approche qui souvent est perçue comme freak. C’est peut-être “hors-norme” mais il faut le voir et en parler pour mieux comprendre. Dans pas mal tous les sex-shops il se vend des accessoires de restriction, des kits de départs pour les nuls, etc. Mais attention et gros **WARNING**, il faut savoir ce qu’on fait. Il y a des risques, et il faut les reconnaître. Il existe beaucoup de littérature sur le sujet, pour les intéressés.
Samedi le 4 mars, dans le cadre de La Nuit Blanche à Montréal, il y aura également une soirée qui rassemble plus de 90 artistes du bondage provenant d’un peu partout. La Nuit des cordes, pour les curieux et curieuses.
1Le mot shibari (縛り?) signifiant « attaché, lié », utilisé au Japon pour décrire l’art de ficeler les colis, est devenu l’appellation la plus courante, dans les années 1990, en Occident, pour désigner l’art du bondage kinbaku.
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