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Aujourd’hui, je choisis l’ours
Agressée en public à Barcelone, une jeune Québécoise prend la parole.
« L’ours ou l’homme ? » Vous avez sûrement entendu ce dilemme devenu viral sur les réseaux sociaux l’année dernière, et où l’on demandait à des femmes avec lequel elles préféraient se retrouver seules en forêt. Jusqu’à tout récemment, j’étais l’une (des rares) qui répondait « l’homme » à cette question. Voyez-vous, je viens de l’Abitibi et les ours hantent mes cauchemars depuis aussi loin que je me souvienne.
Mais récemment, j’ai changé d’avis.
On est début octobre, à Barcelone. Je connais bien la ville, puisque c’est là que j’ai fait ma maîtrise et j’ai décidé d’y rester pour travailler à distance.
Je suis une jeune femme de 23 ans, fraîchement diplômée en journalisme. De nature sociable, j’aime sortir, faire des rencontres et découvrir le monde. C’est pourquoi je me trouve, cette soirée-là, dans un chouette événement extérieur sur la colline Montjuïc (le mont Royal de Barcelone).
La musique est bonne, l’air est chaud, mes amies rayonnent. Elles rient en me voyant crier dès les premières notes d’une chanson de Travis Scott que je perçois comme un encouragement pour me lancer dans une performance endiablée. Je suis heureuse — vraiment heureuse.
Je porte ma nouvelle paire de jeans baggy noire ainsi qu’un t-shirt camo. Un fit modeste qui ne me permettra toutefois pas d’échapper aux prédateurs.
Un peu avant minuit, je sens la présence gênante d’un homme dans mon dos. Je me rapproche de mes amies, lui jette un regard offensé et continue à danser.
Si je perçois toujours sa silhouette qui rôde autour de moi, je fais de mon mieux pour l’ignorer. Quand on est une femme, on s’habitue à ce genre de comportement déplacé. Des gars effrontés qui entrent dans nos bulles, c’est chose du quotidien.
Lorsqu’il s’éloigne enfin, je soupire de soulagement. Je peux à nouveau me concentrer sur la musique — des platines émane à présent un mash up de succès des années 2010. We’re so back.
Traumavertissement, c’est ici que ça se corse.
Quelques minutes plus tard, je perçois une sensation d’humidité sur ma fesse gauche. Je tâte avec mes doigts avant de ramener brusquement ma main devant moi et mon cœur saute un battement : elle est couverte d’une substance gluante.
Avez-vous, tout comme moi, eu besoin de quelques secondes à peine pour déduire de quoi il s’agissait ?
Avez-vous aussi le réflexe de vous dire que c’est impossible, que ça doit être autre chose ? Malheureusement, vous avez bien raison : c’est du sperme.
Malgré ma malchance, je suis entourée d’amies incroyables qui vont gérer la situation comme personne. Elles ont alerté les gardiens de sécurité (qui ont agi en véritables alliés, soulignons-le), cherché le vieux pervers, m’ont accompagné à la salle de bain et pris dans leurs bras pour me réconforter. Elles se sont indignées comme j’aurais aimé le faire si je n’avais pas autant été sous le choc.
Permettez-moi de le dire : essuyer du sperme non sollicité sur son cul dans les toilettes d’un bar, ça rapproche. La solidarité entre femmes m’émerveille un peu plus tous les jours, tandis que la bestialité des hommes me répugne plus que jamais.
Je manque de mots pour décrire comment on se sent lorsqu’on réalise qu’on s’est fait agresser. Quelque chose entre le dégoût, l’incompréhension, la panique et la honte. Mon admiration pour chaque victime qui a le courage de dénoncer est sans bornes.
J’écris cette histoire dans un climat sociopolitique tendu. De nos cellulaires à notre quotidien, je vois la haine se propager plus que jamais. Le recul qui semble s’opérer me terrorise.
En tant que société, je nous souhaite plus de bienveillance, comme celle dont mes amies ont fait preuve en cette soirée fatidique ; et autant de courage que chaque victime qui prend la parole exhibe.
Ah, et si quelqu’un veut me racheter une paire de jeans, ça serait pas mal non plus.

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