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Attentat de Québec : Les plus longues minutes de ma vie, un an plus tard
À la même date l’an dernier, Nader Daher, Québécois et musulman, nous racontait avec sensibilité l’horreur de l’attentat de Québec. Aujourd’hui, il porte un regard lucide sur ce qu’on a appris des événements. Mais justement, a-t-on vraiment appris quelque chose?
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Le sommeil est difficile à trouver ces temps-ci. Un an plus tard, les émotions du 29 Janvier 2017 reviennent au galop. Tristesse, épouvante, amertume, consternation. Un an plus tard, à me rejouer cette année dans la tête : les rires, les pleurs, l’anxiété, les petits moments de bonheur. Il semble que la vie est véritablement cruelle parfois, puisqu’elle continue de passer si vite sous nos yeux, nous extirpant souvent de nos réflexions profondes, qui semblaient jadis être un point central du moment présent.
Un an plus tard, toujours autant d’orphelins, toujours autant de veuves, de vies bouleversées à jamais par la violence de l’acte. Mais comme le veut le populaire dicton, l’eau coule toujours sous les ponts. Qu’a-t-on appris, collectivement et individuellement, des attentats de la Grande mosquée de Québec, un an plus tard? Beaucoup, et pas grand-chose.
Un an plus tard, toujours autant d’orphelins, toujours autant de veuves, de vies bouleversées à jamais par la violence de l’acte.
Beaucoup, parce que certains ont enfin réalisé qu’ils ont volontairement ou involontairement laissé grandir un climat de haine. Des mea culpa par-ci, des discours adoucis par-là. Le parfum de la mort a toujours eu cet étrange effet sur les individus, comme si soudainement on réalisait, on se réveillait. Quel abrupt et d étestable réveil.
Et pas grand-chose, parce que un an plus tard, la vie a repris son cours. Les promesses d’hier sont les peut-être d’aujourd’hui. Et il y a ceux qui n’ont jamais bronchés, ceux que ça a galvanisés, ceux qui en répétant «Plus jamais!» il y a un an, s’écrasent encore plus lourdement sous le poids d’un silence honteux. Certaines rhétoriques, dont on connait que trop bien l’essence, ont repris tranquillement leur cours. C’est à se demander si le progrès existe réellement. Si l’année qui vient de passer doit nous servir de référence, la réponse est non. L’histoire ne semble être qu’un cycle, et au vu de l’état des choses au Québec en ce début 2018, il appert que le cycle soit rapide et infernal.
Si bien que les crimes haineux à l’endroit des personnes de confession musulmane ont doublé à Québec en 2017. Si bien, que certains politiciens, de tous les paliers de gouvernement, continuent à utiliser les enjeux identitaires, particulièrement ceux liés aux citoyens de confession musulmane, comme chaire à cannons dans la guerre des urnes. Si bien que beaucoup, parmi ceux qui ont professés leur solidarité et amour avec cette même communauté traumatisée, peinent à verbaliser leur condamnation des propos haineux, de la multiplication des groupes radicaux anti-immigration (particulièrement anti-musulmans), de la montée d’une idéologie identitaire et violente qui menace de faire sombrer la belle province dans un autre pan peu reluisant de son histoire.
Les crimes haineux à l’endroit des personnes de confession musulmane ont doublé à Québec en 2017.
Un an plus tard, c’est la Meute, c’est Storm Alliance, c’est les Soldats Odin, c’est la Fédération Québécois de Souche, c’est Atalante, c’est Northern Guard, c’est les milices du III%.
Un an plus tard, c’est aussi la solidarité, la compassion, les rapprochements entre communautés et une prise de conscience collective et individuelle.
Un an plus tard, c’est aussi toujours le même questionnement : comment être Québécois, être de confession musulmane, être ostentatoire de par la couleur de sa peau, de par la particularité de son nom, de par la nature de ses habits, de par les traits de son visage, de par la langue parlée à la maison et parfois en public, tout cela, et se sentir en sécurité dans sa province de naissance ou d’adoption? Un autre dicton nous dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions, parce que manifestement les actions concrètes, elles, se font toujours attendre. D’ici là, les Québécois de confession musulmane continueront de se réfugier dans le réconfort de la solidarité et de l’amour d’une immense majorité de leurs concitoyens, comme un baume sur les cœurs meurtris. Mais avec un œil par-dessus l’épaule…
Un an plus tard, c’est toujours cette même dualité.