Logo

Apparent changement d’orientation pour un centre anti-avortement

Analyse d’un « rebranding » radical.

Par
Violette Cantin
Publicité

Nouveau nom, nouveau logo, nouveau site web : un centre de grossesse historiquement anti-avortement à Drummondville a effectué une refonte complète de son image dans les derniers mois. Et il affirme désormais soutenir les femmes qui désirent se faire avorter.

En février, URBANIA dévoilait que deux députés caquistes avaient financé des centres de grossesse anti-avortement. Le gouvernement Legault avait plaidé une « erreur de bonne foi » pour justifier le financement de plusieurs milliers de dollars accordé à ces centres, déclarant que les députés ignoraient la réelle vocation de ces organismes. Il est vrai que ces centres de grossesse dissimulent astucieusement leur idéologie anti-avortement et rien sur leur site web ne laisse présager une telle opposition aux interruptions de grossesse.

Publicité

J’avais moi-même appelé les centres Accueil Grossesse Drummondville et Accueil Grossesse Beauce-Appalaches en me faisant passer pour une jeune femme enceinte. Alors que je sollicitais des conseils neutres, les intervenantes des deux centres m’avaient fortement déconseillé de me faire avorter à l’aide de divers arguments fortement orientés.

Un changement d’idéologie surprenant

Rappelons d’abord les faits : le député de Drummond-Bois-Francs, Sébastien Schneeberger, a financé le centre Accueil Grossesse Drummondville en 2018 et en 2019, selon les rapports annuels de l’organisme qui sont désormais introuvables sur Internet (n’ayez crainte, je les ai sauvegardés sur mon ordinateur).

En 2018, le rapport annuel du centre stipulait très bien quelle était sa mission : « Réduire le nombre d’avortements en encourageant les filles et les femmes ambivalentes à mener leur grossesse à terme. » Difficile d’être plus clair. La même phrase se trouve dans le rapport annuel de 2016. Si on pouvait s’attendre à ce qu’un député consulte ces documents avant d’allonger la monnaie, on peut par contre se douter qu’une jeune femme ambivalente qui vient d’apprendre qu’elle est enceinte ne se rendra jamais jusque là.

Extrait du rapport annuel 2018 d’Accueil Grossesse Drummondville
Extrait du rapport annuel 2018 d’Accueil Grossesse Drummondville
Publicité

Toutes ces années, la présidente de l’organisme était une femme. Mme Élaine Lechasseur est d’ailleurs encore en poste, et c’est elle qui pilote aujourd’hui l’opération de rebranding d’Accueil Grossesse. Le centre a d’ailleurs changé de nom : il s’agit aujourd’hui de Réconfort Drummondville, un centre qui, selon un communiqué de presse publié le 7 avril pour annoncer son changement de nom, « vise à accompagner les femmes enceintes (souhaitant ou non mener leur grossesse à terme) ».

Extrait du rapport annuel 2018 d’Accueil Grossesse Drummondville
Extrait du rapport annuel 2018 d’Accueil Grossesse Drummondville
Publicité

Mme Lechasseur a décliné nos nombreuses demandes d’entrevue. Il faut dire que la direction de l’organisme a été passablement occupée dans les derniers mois : à la suite de la publication de l’enquête d’URBANIA, le gouvernement caquiste a promis qu’il couperait le financement que certains de ses députés accordaient au centre. L’agence QMI a d’ailleurs révélé que le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a donné 1250 $ à Accueil Grossesse Drummondville entre 2018 et 2021.

Dans les jours suivant la publication de notre reportage, l’organisme a publié un communiqué de presse – désormais introuvable sur le web – dans lequel il se dissociait de la bénévole à qui nous avions parlé et qui affichait clairement ses positions anti-avortement. « Nos donateurs se sont sentis floués, avec raison, de la prise de position de l’une de nos bénévoles qui a fait passer son agenda politique personnel au détriment de la mission de notre organisme qui a toujours été pro-choix », peut-on lire dans le communiqué.

Communiqué (désormais supprimé) publié par Accueil Grossesse Drummondville sur sa page Facebook dans les jours suivant notre premier reportage.
Communiqué (désormais supprimé) publié par Accueil Grossesse Drummondville sur sa page Facebook dans les jours suivant notre premier reportage.
Publicité

Cela entre toutefois en contradiction avec ce qui est écrit noir sur blanc dans les rapports annuels de 2016 et de 2018 du centre. Ajoutons l’affiliation historique du centre à l’organisme Birthright, une organisation internationale anti-avortement qui forme et finance du personnel dans des centres de grossesse. Cette association semble toutefois avoir pris fin avec le rebranding de l’organisme : le centre de Drummondville n’est plus mentionné dans la liste des centres de Birthright, qui les affiche tous sur son site web.

Notons aussi que la bénévole à qui j’ai parlé et qui a été exclue à la suite de nos révélations n’était pas qu’une simple bénévole : il s’agissait de la fondatrice et vice-présidente de l’organisme. Elle en tenait les rênes depuis 1989.

Omerta générale

Peu de temps après la publication de mon enquête, une femme qui travaille dans le milieu communautaire à Drummondville depuis des années a pris contact avec moi. Selon elle, l’idéologie anti-choix d’Accueil Grossesse a toujours été connue dans le milieu, mais elle fait l’objet d’une omerta en l’absence d’autres ressources pour aider les femmes enceintes dans la région.

Selon Marie, l’orientation du groupe est donc connue des gens du milieu, ce qui ne l’empêche pas de siéger sur de nombreuses tables de concertation de la Corporation de développement communautaire de Drummond.

Publicité

« Ils ont l’exclusivité dans ce créneau qui devient rapidement indispensable pour fournir des ressources aux jeunes mères, explique Marie (prénom fictif). Je suis déjà allée voir la DPJ pour demander s’il y avait d’autres ressources existantes dans la région, et on m’a dit que non. »

Selon Marie, l’orientation du groupe est donc connue des gens du milieu, ce qui ne l’empêche pas de siéger sur de nombreuses tables de concertation de la Corporation de développement communautaire de Drummond (CDC Drummond). « Je pense que les gens ferment carrément les yeux par rapport à ça », lâche-t-elle.

Jointe au téléphone, la directrice de la CDC Drummond, Amélie Dubreuil, ne voit aucun problème avec la participation du centre de grossesse à ses tables de concertation. « Ils se sont toujours présentés comme pro-avortement », dit-elle, avant d’ajouter que « moi, je n’ai pas de mandat de sanctions, je veux que les gens créent des projets pour la communauté et je ne commence pas à regarder ce qui se passe dans chaque organisme ». Questionnée sur les allégeances anti-avortement de l’organisme, Mme Dubreuil a été claire : « Ce n’est pas mon rôle à moi d’aller chercher ce type d’informations là. Je n’ai pas creusé plus loin. »

Publicité

Le centre de grossesse siège sur trois tables de concertation, dont la Table locale du mouvement des femmes de Drummond.

Certains partenaires d’importance ont appuyé le centre au fil des années. En 2019, la caisse populaire Desjardins de Drummondville a financé un projet en partenariat avec le centre afin de fournir un porte-bébé à 30 familles. Joint par courriel, le directeur de la succursale, Paul Gagné, a déclaré que « nous sommes préoccupés par les allégations rapportées dans les médias » et que « si une autre demande de partenariat nous était acheminée, nous prendrions une décision éclairée sur ce possible partenariat à l’issue de discussions avec l’organisme ».

Le centre bénéficie également d’un soutien annuel de 3000 $ du CLSC de Drummondville. Par courriel, l’agente d’information Kellie Forand, du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, a exprimé la réaction du CLSC : « Nous prenons très au sérieux les propos dénoncés dans votre article. Nous comptons rencontrer l’organisme pour mieux comprendre la situation et nous assurer que nos missions sont complémentaires. »

Publicité

La nouvelle identité de Réconfort Drummondville semble indéniablement pro-choix, malgré un historique anti-avortement qui a au moins perduré de sa fondation, en 1989, jusqu’à février dernier, lorsqu’une partie de son financement a été coupée. Reste donc à voir si cette nouvelle identité est sincère ou si elle n’est que de façade.