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Analyse à chaud de l’entretien entre Maripier Morin et France Castel

Au menu de « L’autre midi à la table d’à côté » : émotions, confidences et malaises.

Par
Laïma A. Gérald
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Quand j’ai reçu un communiqué de presse annonçant « une rencontre à la fois franche et touchante entre France Castel et Maripier Morin [pour] débuter la 4e saison de L’autre midi à la table d’à côté », je ne savais pas sur quel pied danser. Pantoute.

Je vous explique. Premièrement, j’adore cette série. Je trouve que la formule, qui consiste tout simplement à réunir un duo d’invité.e.s autour d’un repas pour discuter, est d’une grande puissance.

Deuxièmement, J’ADORE France Castel. Je dis souvent qu’elle est ma « Queen ». J’aime son œil coquin, sa fougue et la jeunesse désarmante qui émane de ses 78 ans. J’ai d’ailleurs eu le plaisir de faire sa connaissance sur le plateau de l’émission On va se le dire en février dernier. On a parlé d’astrologie dans sa loge et elle m’a même serrée dans ses bras en me confiant qu’elle « adore les Scorpions » quand je lui ai révélé qu’il s’agissait de mon signe. Le rêve!

Finalement, je me suis dit : « Ouf, gros move de recevoir Maripier Morin ».

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On se souvient qu’en juillet 2020, l’animatrice a fait l’objet d’une série d’allégations pour harcèlement sexuel, voies de fait simples et propos racistes.

Depuis, chacune de ses apparitions à l’écran et ses sorties publiques suscitent toujours beaucoup d’émoi sur les réseaux sociaux.

Cette entrevue ne fera assurément pas exception à la règle.

Crédit: Radio-Canada
Crédit: Radio-Canada
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Une montagne russe d’émotions

Jeudi après-midi, dans les bureaux d’URBANIA. Intriguée, je clique sur le lien exclusif de l’épisode réunissant les deux femmes que plus de 40 années séparent. « Je vais juste regarder les premières minutes », me dis-je bien naïvement. C’est exactement le contraire qui se produit : je dévore les 43 minutes de cette entrevue aussi émouvante que dérangeante.

J’entame mon visionnement avec l’esprit le plus ouvert possible, quoi qu’un peu sceptique.

Maripier et France sont là, attablées, toutes deux belles comme le jour. Le sujet de la beauté, ses pièges et ses avantages sera d’ailleurs abordé au fil de leur échange.

Je me dois d’être honnête : la complicité entre les deux femmes crève l’écran. Je sens le respect mutuel, la bienveillance et l’amitié qui se dessinent sous mes sourcils froncés.

Elles y parlent des montées de lait de Maripier qui est devenue maman il y a un an, de la vie glamour de France, de sa liaison avec Miles Davis, de tricot avec Richard Burton, de la révolution sexuelle et de la célébrité.

« Bradley Cooper a su que j’étais alcoolique avant que je ne le sache », révèle Maripier, en référence à sa rencontre avec l’acteur américain autour d’une piscine à Los Angeles. Ainsi, elle trace naturellement le pont entre les discussions brise-glaces et l’échange profond sur leurs problèmes de consommation respectifs qui s’ensuivra.

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« J’aimerais parler comme ça à ma fille et tu sers d’intermédiaire. Je te remercie », lance France à Maripier, qui éclate en sanglots.

Ah merde, j’ai les larmes aux yeux.

Très ambivalente quant aux choix d’offrir une tribune à cette femme à qui l’on reproche de graves comportements et bien consciente que cette entrevue constitue sans doute une étape de plus vers son retour sous les projecteurs, je n’ai pas envie de me laisser émouvoir.

Laïma, ressaisis-toi!

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Somme toute, je dois reconnaître que les parallèles qui se tracent entre les motifs sous-jacents de consommation des deux personnalités publiques, les échanges sur le désir de plaire à tout prix, la sexualité « très compliquée », les relations amoureuses toxiques ainsi que le mal de vivre suscitent l’émotion et l’empathie.

« On a eu envie de réunir France Castel et Maripier Morin parce que ce sont deux femmes de deux générations différentes qui ont connu de grands hauts et de grands bas. Elles ont dû se battre avec leurs problèmes de dépendances qui les ont amenées à poser des gestes qu’elles regrettent. Elles ont appris de leurs erreurs et tentent maintenant toutes deux de maintenir le cap », explique le réalisateur Francis Legault, à qui l’on a réussi à parler, en plein montage de l’épisode de la semaine prochaine réunissant Janette Bertrand et Charles Lafortune.

« Je pense que le fruit de leur rencontre est riche, sans complaisance ni amertume. J’espère que cette discussion saura nourrir les gens ou les proches des gens qui luttent contre les fantômes de la dépendance, que ce soit l’alcool, la drogue, les jeux vidéo, les jeux d’argent, etc. »

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En entrevue au micro de Patrick Masbourian à ICI Radio-Canada Première, le réalisateur a également affirmé que, même si « l’idée n’est pas de faire une réhabilitation », il « ose penser qu’on vit dans un monde où on a le droit à une deuxième chance ».

Et c’est justement là que le public est divisé. Surtout quand il est question d’une place aussi convoitée, sous les feux de la rampe.

Crédit: Radio-Canada
Crédit: Radio-Canada
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Malaises et mocktails

Maripier Morin, qui documente largement sa démarche de réhabilitation dans son balado Grain d’espoir, traînera-t-elle cette étiquette d’opprobre toute sa vie? Pourra-t-elle retrouver sa place sous le soleil?

« Ce sont les gens qui vont décider si j’y ai droit », fait-elle valoir avec une certaine humilité. Pour sa part, France Castel croit plutôt que c’est à elle d’aller de l’avant et de prendre son sort en main.

« Est-ce que tu dois être punie pour ça? »; « C’est toi qui vas décider si tu y as droit [de refaire son métier] »; « Faut que t’arrêtes de te punir », telles sont les paroles pleines de compassion que lui offre France.

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« Je crois que j’étais faite pour faire cette entrevue-là, c’est-à-dire que je suis très crédible [quand je parle de] personnes qui ont débordé, qui ont fait des erreurs, qui ont eu des deuxièmes chances et qui ont pris leur responsabilité pour passer à autre chose », a récemment admis France à Bonsoir, Bonsoir tout en ajoutant soutenir le retour de la vedette déchue.

Oui, certains peuvent bien souhaiter que leur « belle Marie » revienne se montrer le bout du nez sur nos écrans, mais de là à minimiser les impacts de ses comportements, largement couverts dans deux enquêtes journalistiques parues dans Le Devoir en juillet 2020 et dans La Presse en mai 2021? Vraiment?

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C’est à ce moment de l’épisode que j’ai une pensée tendre et affectueuse pour Safia Nolin qui, depuis l’été 2020, paie très cher le prix de sa dénonciation. Haine disproportionnée, commentaires violents, harcèlement, menaces de mort : est-ce vraiment « les belles filles » qui paient le plus cher, comme l’avance France Castel?

Pour ma part, j’ai du mal à applaudir et à saluer le chemin parcouru par les agresseur.euse.s, même repentant.e.s, tant que l’on continue de malmener leurs courageuses victimes.

Misogynie intériorisée et culture du viol

Je vous le dis d’entrée de jeu : je n’ai absolument pas fini avec mes doléances.

Toujours assise à mon bureau, une série de propos débordant de misogynie intériorisée me donne envie de pitcher mon ordi par la fenêtre. Mais comme ledit MacBook Air est une propriété d’URBANIA, je me calme le pompon.

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« La présence des hommes me rassure, je me suis tout le temps sentie mieux avec les gars », fait valoir Maripier sous le regard approbateur de sa complice, qui s’identifie comme une « one of the boys » depuis qu’elle est toute petite. France admet ensuite considérer les hommes comme plus francs que les femmes qui, elles, sont plus compétitives et sournoises. « Avec les filles, je me demande tout le temps à quel moment elles vont me planter un couteau dans le dos. Je suis tout le temps dans la méfiance. »

Sorry not sorry : en 2023, ce genre de commentaires profondément essentialisant et misogyne devrait être relégué aux oubliettes.

Je caresse le rêve que l’on cesse de voir les femmes comme des bitches compétitives. D’autant plus qu’historiquement, c’est le patriarcat qui tend à placer les femmes en posture de rivalité, un phénomène récemment documenté par la journaliste Élisabeth Cadoche et la psychothérapeute Anne de Montarlot dans l’essai En finir avec la rivalité féminine paru plus tôt cette année.

Maripier et France, sur ce coup-là, vous ralentissez le groupe.

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Autre moment qui m’a fait rouler des yeux et serrer des dents : France Castel considère que depuis l’apogée du mouvement #MeToo, les hommes ne savent plus comment se comporter avec les femmes ni comment se comporter tout court.

« Je pense à nos hommes. Ils ne savent plus comment être avec nous. »

« On est en train de perdre nos hommes pour ce que ça a de beau et de différent de nous », croit profondément France Castel. « Ils marchent sur des œufs, qu’est-ce qu’on va faire? »

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Le discours de France me rappelle les propos de l’actrice Catherine Deneuve qui, en 2018, revendiquait farouchement la « liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle ».

Dans une lettre ouverte publiée dans Le Monde, une centaine de signataires dénonçait « un certain féminisme qui exprime une “haine des hommes” ».

« Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste », pouvait-on lire dans le journal français.

Pour sa part, Maripier se permet de nuancer en faisant valoir certains côtés « pertinents et importants » du mouvement #MeToo, qui a pourtant causé la chute de la jeune animatrice.

Un point pour Maripier.

« Ça prenait ça pour que les hommes se rendent compte de certains comportements déplacés. Des tapes sur les fesses, des affaires de mononc’, il fallait que ça arrête », explique l’animatrice de 36 ans, avant de répéter avoir elle-même eu des agissements inadéquats.

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France se joint alors à la jeune femme en avouant qu’elle non plus n’a pas toujours été une enfant de chœur.

« Je pense que c’est un comportement qui n’aurait pas été relaté dans mon temps, dont moi-même j’ai été témoin », affirme l’actrice de 78 ans, en référence aux gestes posés par Maripier Morin et dénoncés en 2020.

Crédit: Radio-Canada
Crédit: Radio-Canada

Je conclus mon visionnement et mets mon orgueil de côté : j’ai quand même été très émue par plusieurs moments de cette entrevue qui promet de faire couler beaucoup d’encre.

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De par ses nombreux points communs, le duo est extrêmement bien assorti. La franchise des confidences, l’importance de la déstigmatisation de la toxicomanie chez les femmes, l’échange intergénérationnel et les quelques introspections ont su me conquérir et susciter de l’émotion.

Est-ce que cette tribune offerte à Maripier sur un plateau d’argent est toutefois légitime?

Est-ce que la jeune femme a bel et bien « franchi toutes les étapes prévues au petit catéchisme de la punition sociale au Québec », comme l’écrit la chroniqueuse Sophie Durocher? J’ai mes réserves. Mais contrairement à ce que pense ma Queen France Castel, je crois bel et bien que c’est au public de juger si, oui ou non, Maripier peut retrouver le privilège d’une tribune.