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L’entrevue de Maripier Morin vue par une de ses présumées victimes
Dimanche 2 mai à 20h, des milliers de personnes étaient devant leur écran. En effet, c’était la première fois depuis l’été dernier que l’animatrice et comédienne Maripier Morin faisait une apparition à la télévision. Suite à un article publié samedi matin dans La Presse, révélant de nouvelles allégations d’agressions et de comportement problématiques à l’endroit de l’animatrice, l’équipe de Tout le monde en parle a annoncé la présence en ondes de la jeune femme de 34 ans.
Une fois l’entrevue menée par Guy A. Lepage assisté d’Anaïs Favron terminée, nous avons voulu savoir comment les présumées victimes et les personnes ayant livré de nouveaux témoignages relayés samedi dans La Presse ont vécu ce moment de télé. Sont-elles convaincues par les propos de l’animatrice?
Le comédien Didier Emmanuel a accepté de nous livrer ses impressions.
« Je me suis senti niaisé »
« [J’ai dit à Maripier Morin qu’elle avait] un beau manteau, elle m’a dit : “Toi aussi. Où tu l’as volé ?”, raconte le jeune homme noir. Mal à l’aise, il dit plus tard à ses amis qu’il va se chercher à manger. Selon le comédien, l’animatrice lui demande alors s’il a besoin d’argent pour s’acheter du poulet frit, faisant référence à un cliché dénigrant voulant que les personnes noires soient particulièrement avides de ce mets. »
Ce sont là les propos du jeune acteur Didier Emmanuel, recueillis par la journaliste Marissa Groguhé pour La Presse. S’il a longtemps hésité avant de prendre la parole à visage découvert, le comédien considère qu’il est de son devoir de lever le voile sur les comportements racistes qu’aurait eu Maripier Morin à son endroit.
«Quand j’ai vu la nouvelle de sa participation à l’émission, j’avais peur qu’il se passe exactement ce qui s’est passé selon moi: du damage control»
Lorsqu’il a appris que cette dernière serait invitée sur le plateau de Tout le monde en parle, le comédien de 28 ans a été ébranlé. « Quand j’ai vu la nouvelle de sa participation à l’émission, j’avais peur qu’il se passe exactement ce qui s’est passé selon moi: du damage control », affirme le jeune acteur, qui considère que l’entrevue tenait davantage de la stratégie de relations publiques que d’un réel mea culpa. « Dimanche soir, j’ai écouté l’émission en direct. Je me sentais comme si je me faisais niaiser. C’est comme si tout le travail que j’ai fait, que les personnes qui ont pris la parole ont fait et que la journaliste a fait était presque gâché. Comme si tout cela perdait une partie de sa valeur », ajoute-t-il.
Selon Didier Emmanuel, qui considère que l’animatrice a eu droit à un immense privilège en ayant l’opportunité de s’exprimer sur un tel plateau, la journaliste Marissa Groguhé aurait été une invitée pertinente pour aborder la question. « Ça aurait montré plus qu’une version des faits, ça aurait donné une vision plus globale, plusieurs côtés de la médaille », affirme le jeune homme au bout du fil.
« Ça m’a laissé un goût amer »
Depuis dimanche, de nombreuses personnes se sont exprimées sur l’entrevue. Les utilisateur.trice.s des médias sociaux sont divisé.e.s, plusieurs journalistes tentent d’analyser le segment d’un point de vue politique, psychologique, communicationnel, rhétorique, alors que le milieu artistique élève la voix et des groupes de militant.e.s s’indignent. Pour Didier Emmanuel, le sentiment est clair. « J’ai beaucoup de mal à prendre ses excuses et sa démarche au sérieux », affirme celui qui parle encore de ses interactions avec l’animatrice avec une certaine émotion. « À la lumière de ce que j’ai vécu, l’entrevue m’a laissé un goût amer. »
«Elle a beaucoup parlé d’elle, de son soi-disant cheminement, de ce qu’elle dit avoir compris. Mais je trouve qu’au travers de la cassette de relation publique, son discours laissait peu de place à l’empathie»
Le comédien aurait aimé que celle-ci prenne plus de temps avant de refaire surface dans la sphère publique et surtout, qu’elle écrive personnellement des excuses aux personnes concernées. « Pour moi, elle a assez peu tenu compte de ce que les présumées victimes ont pu vivre. Elle a beaucoup parlé d’elle, de son soi-disant cheminement, de ce qu’elle dit avoir compris, etc. Mais je trouve qu’au travers de la cassette de relations publiques, son discours laissait peu de place à l’empathie. » croit celui qui qualifie les propos de Maripier Morin de « devoir incomplet ».
Didier Emmanuel mentionne également son malaise face à ce qu’il estime être une propension qu’a l’animatrice à tout mettre sur le dos de l’alcool. « Je connais plein de monde qui boit (beaucoup) quand ils font la fête et ils ne commettent pas de tels actes, lance l’acteur. L’alcool a le dos pas mal large dans ses justifications. »
« Chu pas raciste mais… »
«Ce que j’ai vécu n’est pas une question de contexte ni des propos ambigus sujets à interprétation. C’était du racisme frontal.»
Si Maripier Morin est visée par des allégations d’agressions à caractère sexuel, on lui attribue également des comportements racistes. Didier Emmanuel est un de ceux-là. « C’est sûr qu’à la question de Guy A. Lepage: “Maripier, es-tu raciste?”, elle allait répondre “Non”, affirme d’emblée Didier Emmanuel. À mes yeux, ce “Non” catégorique manquait d’introspection. J’aurais aimé entendre quelque chose comme “Non, mais j’assume que j’ai eu des comportements racistes par le passé.” Ce que j’ai vécu n’est pas une question de contexte ni des propos ambigus sujets à interprétation. C’était du racisme frontal », ajoute Didier, qui considère que l’animatrice a largement tenté de se déresponsabiliser et de se dissocier de ses comportements passés.
Pour lui, le ton et les propos de l’actrice québécoise tiennent d’une certaine forme de victimisation, ce qui tend à inverser les rôles. « Soudainement, c’est la pauvre brebis qui n’a pas fait exprès. J’ai envie de qualifier ça de white tears, suggère le comédien. J’espère de tout cœur qu’elle a ou qu’elle va changer, mais je n’ai absolument pas envie de la prendre en pitié. »
«J’espère de tout coeur qu’elle a ou qu’elle va changer, mais je n’ai absolument pas envie de la prendre en pitié.»
Si le jeune acteur tente de mettre cette expérience bouleversante derrière lui, il trouve important de témoigner de ce qu’il a vécu pour montrer que ce genre de situation se produit encore trop souvent. « Je trouve qu’elle semblait mesurer un peu la gravité des agressions physiques et sexuelles, mais pour ce qui est de la question du racisme, elle ne semble pas en être consciente. Ce n’est pas parce qu’une personne affirme ne pas être raciste qu’elle n’a pas des comportements racistes. C’est important de s’en rendre compte. » croit celui qui voit un danger dans le fait de dissocier à ce point l’intention des impacts réels. Pour moi, c’est là que le bât blesse: ce n’est pas parce que tu n’avais pas de mauvaises intentions que tu n’as pas fait de tort. »