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Allégations d’inconduites sexuelles : la réplique de Julien Lacroix passée au peigne fin

Victimisation? Déni? Piètres excuses? Quels effets sur les victimes?

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NDLR: La page Facebook de Julien Lacroix a été supprimée au moment de publier cet article. Les captures d’écran de son statut ont été faites la veille de la publication.

À moins de vivre dans une grotte ou de faire du camping sauvage en Gaspésie dans un endroit sans wi-fi, vous avez probablement eu vent des allégations d’inconduites sexuelles dont Julien Lacroix a fait l’objet hier dans Le Devoir.

Accusé par neuf femmes, l’humoriste a publié un texte sur sa page Facebook à mi-chemin entre l’excuse et la négation des faits quelques heures après la parution de l’article, remettant même en question la rigueur de la journaliste.

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Il y a quelque temps, on s’est particulièrement intéressés à l’impact des excuses dans le processus de réparation des victimes. Dans le cadre d’un article, mais aussi d’une vidéo, nous avions discuté avec Juliette Bélanger-Charpentier, étudiante et chercheuse en victimologie.

Suite à la publication du statut de Julien Lacroix, Juliette a décidé, sur son compte Instagram, de décortiquer le discours de l’humoriste à titre d’exemple, dans le but de mieux comprendre comment la teneur de certains propos peuvent avoir un potentiel de victimisation secondaire lorsqu’il s’agit d’excuses. Avec son accord, nous reproduisons ici ses observations.

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D’entrée de jeu, il y a remise en question la crédibilité d’une dénonciation effectuée sur les réseaux sociaux, en plus de suggérer qu’il y a une « bonne façon » de dénoncer et une moins bonne, selon des critères qui, vraisemblablement, lui sont « valables ou non » dans la distinction entre une « vraie » dénonciation et une fausse.

Le caractère intentionnel d’un geste n’est pas garant de la manière dont il sera reçu et ne l’excuse pas. C’est le résultat, l’impact et les effets de ce geste qui sont importants. Présenter ses excuses pour avoir blessé quelqu’un en amoindrissant ses gestes sous le couvert de l’intention ne fait que déresponsabiliser l’agresseur. Pire, ça peut potentiellement supposer que comme l’intention n’était pas mauvaise, c’est la victime qui a mal interprété l’agression et qu’elle devrait assumer une part de responsabilité dans le déroulement des événements.

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Parler de « conneries » lorsqu’il s’agit de dénonciations, d’agressions ou d’inconduites sexuelles ramène à une diminution de la gravité des gestes, une minimisation des impacts potentiels, et une banalisation globale des allégations.

Dans l’article du Devoir, il est question de l’étude de 9 témoignages distincts, corroborés par des témoins. Il s’agit d’un seul article, mais son contenu se base sur une recherche exhaustive et étoffée des témoignages. De plus, on peut lire dans l’article que « (Julien Lacroix) n’a pas accepté nos demandes répétées d’entrevues qui lui auraient permis d’avoir accès aux informations détaillées obtenues de nos sources et de les commenter. Il a plutôt demandé d’obtenir ces informations, y compris le nom de nos sources, avant de décider s’il nous accorderait une entrevue. »

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Ici l’utilisation d’une vision dichotomique du bon et du mauvais renvoie à une catégorisation des comportements non acceptables et acceptables. On dénote ainsi une déresponsabilisation, sous prétexte qu’il n’existe pas de nuances entre ce qu’on imagine être « diabolique » ou « parfait ». Le mot « prédateur sexuel » est fort dans l’imaginaire collectif et le fait de l’utiliser peut avoir comme effet d’amoindrir la teneur ou la crédibilité des gestes rapportés par les victimes. Cela suggère donc une gradation des comportements problématiques qui lui sont reprochés.

Mineures ou non, les violences à caractères sexuels sont graves et condamnables.

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Toujours selon Le Devoir : « Face à une liste DESCRIPTIVE des événements relatés ici, il a fait savoir qu’il considère qu’elle recèle des allégations non fondées et diffamatoires. »

Ajouter un « mais » à la phrase précédente revient un peu à dire « je ne suis pas raciste, mais. » On est favorable à la croyance des victimes ou on ne l’est pas. Encore faut-il définir les critères personnels du principal intéressé afin de décrire sa compréhension d’un processus « juste et efficace ». Le fait même d’utiliser ces mots renvoie à un refus de reconnaissance de ses gestes ainsi qu’à une position de supériorité quant à ce que « devrait » être, selon lui « personnellement », une dénonciation crédible.

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Le fait d’écrire qu’il « n’a pas le choix » renvoie à l’idée de se placer en position de victime ou du moins suppose qu’il subit les conséquences des « fausses allégations » qui déferlent contre lui, de sorte à blâmer la vague de dénonciations dans l’annonce de son retrait et non dans le fait de profiter de ce moment pour aller chercher de l’aide pour ses comportements problématiques. Le fait d’annoncer d’avance un retrait préventif dans « tous les projets » auxquels il est associé en faisant référence à ses multiples implications professionnelles peut raviver un sentiment de culpabilité chez quiconque qui aurait pu participer à la dénonciation, pouvant générer des remords quant aux impacts que peuvent avoir la prise de parole sur une carrière.

Il est important de comprendre les dimensions thérapeutiques que peuvent comporter des excuses en passant par la reconnaissance des besoins des victimes afin d’éviter une victimisation secondaire. Un profond désir de conscientisation du problème, une prise de responsabilité sérieuse face à ses gestes et une reconnaissance du potentiel destructeur que peuvent avoir de tels comportements dans la vie des victimes sont de bonnes avenues afin de favoriser un processus de changement de fond.

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Le vocabulaire impliquant une totale déresponsabilisation, un refus de reconnaissance, une remise en doute du bien-fondé d’une dénonciation, une position de culpabilisation, une minimisation des gestes, une banalisation des comportements liés à l’âge, au contexte ou à la nature des contacts, une infantilisation des accusations et bien plus encore ne font que nuire au sentiment de sécurité émotionnel des victimes et potentiellement les décourager dans leur démarche.

Il est primordial d’éduquer tout un chacun afin de mieux reconnaître les réactions et les émotions des victimes, leur laisser la place et écouter ce qu’elles ont à dire avant de défendre et encourager les stéréotypes les plus ancrées dans la culture du viol, en plus de nuire au bon processus de reprise de pouvoir personnel pour les victimes ainsi qu’à une meilleure reconnaissance de leurs besoins respectifs.