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Les excuses: est-ce que ça aide les victimes?

Il ne s'agit pas juste de trouver les bons mots.

Par
Jasmine Legendre
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À la suite de la vague de dénonciations d’abus mental, sexuel et/ou physique de victimes sur les réseaux sociaux, certains agresseurs décident de rédiger des excuses publiques. Celles de vedettes comme Maripier Morin et Bernard Adamus sont plus médiatisées que les autres, mais est-ce que ça aide vraiment les victimes? Est-ce que les excuses suffisent? Est-ce qu’il y a une façon de les formuler pour que leur impact soit positif?

«Si on ne peut pas comprendre la phrase qui est écrite, comment peut-on comprendre qu’il s’agit d’excuses? C’est comme si c’était une entourloupette: je m’excuse, je m’excuse pas.»

Pour Martine Delvaux, professeure de littérature à l’UQAM et romancière qui a mis en lumière dans une publication Instagram le caractère incompréhensible des excuses de Maripier Morin à Safia Nolin, pour que des excuses soient bien reçues, elles doivent d’abord être rédigées convenablement. «Si on ne peut pas comprendre la phrase qui est écrite, comment peut-on comprendre qu’il s’agit d’excuses? C’est comme si c’était une entourloupette: je m’excuse, je m’excuse pas», martèle-t-elle.

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Tout est dans la syntaxe? Comment échapper aux règles… du langage

Une publication partagée par Martine Delvaux (@martinedelvaux) le

Il faut que les allégations de la victime soient reconnues par l’agresseur pour qu’il y ait un début de réparation. «Il y a souvent un flou dans les excuses. On veut toujours noyer le poisson. On comprend qu’ils veulent le faire, parce que s’ils ne le noient pas, ils peuvent être passibles de poursuites», dit-elle.

Pour elle, le cas de Maripier Morin est intéressant dans la mesure où la formulation grammaticale est tellement problématique qu’elle annule presque le propos. «Quand les réactions sont écrites d’une manière aussi alambiquée, on a l’impression qu’il n’y a rien qui se passe.»

À chaque victime sa réaction

Qu’elles soient bien formulées ou non, certaines victimes ne sont justes pas prêtes – et ne le seront peut-être jamais – à recevoir les excuses de leur agresseur. Pour l’étudiante en victimologie et criminologie Juliette Bélanger-Charpentier, la réaction aux excuses va dépendre des besoins de la victime. «Au moment où quelqu’un prend la liberté de s’excuser, il faut aussi qu’elle accepte qu’il se puisse que ce ne soit pas accepté. C’est pas parce qu’on reconnaît ses torts, que l’autre est dans l’obligation de nous pardonner», fait savoir celle qui base ses recherches sur les besoins des victimes.

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Des propos qui résonnent chez Christina, qui a récemment témoigné de son agression dans nos pages. «Honnêtement, j’en ai rien à chier des excuses de mon abuseur», me dit-elle. Pour elle, il n’y a aucune excuse qui pourrait apaiser le choc post-traumatique vécu après son agression. «On a un peu la prétention de croire que les victimes vont vouloir pardonner leur agresseur pour avoir réparation, mais ce n’est pas toujours le cas.»

«Le 7 février 2017, je lui ai envoyé une lettre résumant la soirée et comment je feelais depuis l’agression. Il a essayé de m’appeler, par la suite, et je n’ai pas répondu. Il blâmait l’alcool, il m’a dit qu’il ne s’en rappelait pas, et il s’est excusé maladroitement.»

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Christina, elle, voulait que son agresseur soit conscient des dommages causés par ses gestes, mais trois ans et demi plus tard, elle est toujours en colère contre lui. «Le 7 février 2017, je lui ai envoyé une lettre résumant la soirée et comment je feelais depuis l’agression. Il a essayé de m’appeler, par la suite, et je n’ai pas répondu. Il blâmait l’alcool, il m’a dit qu’il ne s’en rappelait pas, et il s’est excusé maladroitement», se remémore-t-elle.

Pour se dédouaner, les abuseurs peuvent avoir tendance à se déculpabiliser en mettant la faute sur des facteurs externes: l’alcool ou encore une période difficile, comme dans le cas de Bernard Adamus, qui a fait son mea culpa hier sur les réseaux sociaux. «Le sexe et l’alcool sont très souvent mal mélangés dans ma très tumultueuse vie depuis 10 ans dans l’industrie de la musique d’ici», écrit-il. Des excuses qui font sûrement grincer des dents ses victimes. «Quand quelqu’un se déresponsabilise, ça fait en sorte que la personne qui a subi le préjudice va se mettre à douter et peut même remettre en question sa version des faits», explique Juliette.

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Pas de recette miracle

Depuis quelques jours, les excuses s’accumulent en réaction aux allégations. Dans mon entourage, certaines personnes reçoivent même des messages d’anciens partenaires qui avouent avoir dépassé les limites.

Si l’agresseur reconnaît les faits, ça va valider l’expérience de la victime et ça va permettre une normalisation de ses émotions.»

Que les excuses soient attendues ou non, est-ce qu’il y a une façon pour qu’elles soient bien reçues, ou du moins qu’elles n’ajoutent pas à la blessure? «Il n’y a pas de formule magique, sinon celle d’admettre ses torts. Si l’agresseur reconnaît les faits, ça va valider l’expérience de la victime et ça va permettre une normalisation de ses émotions», affirme Juliette.

Pour Christina, c’est surtout passé par des actions concrètes. «Ce qui me fait du bien, c’est que je sais qu’il est repentant et qu’il a eu un suivi psychologique pour changer ses comportements. De savoir ça, ça me fait beaucoup plus de bien que n’importe quelles excuses», exprime-t-elle.

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Comme l’explique Juliette, il faut non seulement que l’agresseur reconnaisse ses torts, mais aussi qu’il lutte quotidiennement à ce que les patterns de la culture du viol ne se reproduisent plus, dans sa vie et dans celle de son entourage. «Une fois que l’on comprend quels sont les comportements problématiques, il faut agir contre. Ce sont les gestes qui vont avoir une réelle répercussion.»

Passer de la parole aux actes

Les excuses publiques qu’avait formulées Jian Ghomeshi à la suite du retrait des accusations d’agressions sexuelles qui pesaient contre lui n’avaient pas été suffisantes aux yeux de la victime, Kathryn Borel. «Nous voulons tous que ce soit terminé, mais ce ne le sera pas tant qu’il n’aura pas admis tout ce qu’il a fait», avait-elle dit dans une entrevue à La Presse.

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Martine Delvaux explique qu’il doit y avoir une réelle prise de conscience pour que les excuses soient perçues comme sincères. «Ce qui manque aux victimes, c’est justement de se faire dire: “Non tu n’es pas folle. Non tu ne l’as pas imaginé. Oui, tu l’as vraiment vécu, parce que je l’ai fait”», exprime-t-elle.

Les excuses publiques qu’avait formulées Jian Ghomeshi à la suite du retrait des accusations d’agressions sexuelles qui pesaient contre lui n’avaient pas été suffisantes aux yeux de la victime, Kathryn Borel.

Martine, Christina et Juliette s’entendent toutes sur une chose. Au-delà des belles paroles, ou des formulations boiteuses, c’est à travers les actions que les victimes peuvent possiblement sentir qu’il y a une forme de justice. «Il faut être actif dans la lutte à ce que ces comportements-là ne se reproduisent plus», termine Juliette. Et cela passera peut-être – pour certains – par un retrait de la vie publique pour amorcer une thérapie.

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