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Alexandre Cormier-Denis : l’infréquentable

Alexandre Cormier-Denis : l’infréquentable

Du papier sablé sur les frontières de l’interdit.

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« Quoi ? Tu rencontres le facho ? Le suprémaciste blanc ? »

La sentence claque dès que je prononce son nom. Les regards se durcissent. Suspicion de complaisance, crainte d’apologie. Alexandre Cormier-Denis, on ne lui tend pas la main, on l’évite. Les médias traditionnels qui s’y frottent se dépêchent d’effacer ses traces, comme s’ils avaient manipulé une matière radioactive.

Orateur flamboyant, propagandiste acharné d’une droite sulfureuse, sa croisade tourne autour d’un seul fétiche, la séparation du Québec, érigée en ultime arme de survie pour la « race » canadienne-française.

L’annonce de mon entrevue a déclenché autour de moi une réaction épidermique, presque viscérale. Le pari journalistique se heurte aussitôt à un dilemme : faut-il continuer à ignorer Cormier-Denis, au risque d’alimenter le fantasme du dissident muselé, ou le confronter, quitte à lui offrir une tribune ? Car bâillonner une voix, c’est souvent l’amplifier. L’exclusion nourrit la posture du martyr et forge, dans les marges, une légitimité paradoxalement engendrée par le silence.

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Parce que derrière ses airs sages d’« analyste politique » et de « fondateur d’un média indépendant », Alexandre Cormier-Denis distille tout un cocktail Molotov idéologique. Mélange improbable de la hargne doctrinaire d’un Jean-Marie Le Pen et du souffle populaire d’un Jean-Luc Mongrain.

Quand ça explose, ça séduit une frange et ça en dégoûte mille autres.

Un peu de contexte

Depuis notre rencontre, le décor a toutefois changé de ton. La mort de Charlie Kirk a éclaté comme une grenade politique. La droite s’est lancée dans une chasse aux sorcières contre une gauche accusée de danser sur le cadavre encore chaud. Dans la foulée, Donald Trump a proclamé Antifa « organisation terroriste », offrant à Cormier-Denis le prétexte souhaité pour publier sur Facebook sa propre liste noire de figures à bannir, un copié-collé des méthodes américaines. Pendant ce temps, les prières de rue attisent le débat, un jeune racisé tombe sous les balles policières à Longueuil et Kim Thúy, plume hautement respectée, dénonce une xénophobie omniprésente. Bref, le climat est à cran, chaque camp aiguise ses couteaux.

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Dans ce tourbillon, le vernis d’un portrait modéré s’écaille. Cormier-Denis n’apparaît plus comme un simple agitateur au verbe incendiaire, mais comme un acteur central d’un théâtre où les fractures idéologiques se durcissent. Pour en prendre la mesure, j’ai tendu l’oreille à trois voix clés : les professeurs Francis Dupuis-Déri et Frédéric Bérard, tous deux dans sa mire, et le chercheur en radicalisation David Morin. Ils connaissent le personnage.

Qui est-il ?

Cravate bon marché, voix grave, phrasé chirurgical, Cormier-Denis cultive l’allure de l’intellectuel. Ses tirades révèlent un franc-tireur corrosif et amoureux de la joute, mais trop souvent plombé par son catéchisme identitaire. Par moments, des fulgurances, surtout lorsqu’il démonte les mécaniques partisanes. Mais pour l’essentiel, c’est du vacarme. Des excès qui l’ont vite relégué parmi les parias. Son théâtre hurlé nourrit un imaginaire délirant où la gauche devient menace planétaire.

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Lui préfère parler « d’infotainment, pas de séminaire universitaire ».

Propulsé par une avalanche de vidéos sur sa plateforme Nomos-TV, il s’est imposé à coups de monologues-fleuves où l’actualité, la culture et surtout la politique d’ici comme d’ailleurs passent au hachoir vitriolique.

Faut-il vraiment énumérer ses provocations ? Les répéter, c’est rejouer sa partition : piton collé sur l’outrance jusqu’à banaliser la haine. Indéfendable. Hors des cercles de l’extrême droite, sa notoriété tient moins à la force de ses idées qu’à la viralité de sa véhémence.

À ce jour, son seul fait d’armes public reste une désinvitation à l’Assemblée nationale en 2023.

Le messie maudit et ses fidèles

Malgré notre faible écart d’âge, nous nous vouvoyons. Une façon de préserver à la fois politesse et distance. Affable, bon joueur, parfois même empathique sur certains enjeux, l’homme qui me fait face contraste avec le bouffon qu’il devient en direct, multipliant formules érudites, imitations moqueuses et puérilités du genre : « Bacon partout, islam nulle part ». Il répond sans s’esquiver.

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Banni de YouTube et de PayPal en 2021 pour incitation à la haine tandis que sa chaîne filait vers les 30 000 abonnés, Cormier-Denis s’est replié dans les marges numériques : Odysee, Rumble, VK, Telegram. Un refuge pour les exclus du web « mainstream », où se recrée un auditoire loyal et assoiffé de contre-discours. Là, il prêche plusieurs fois par semaine.

« On peut me détester, dit-il, mais m’exclure de l’espace public alors que je respecte les lois de mon pays, c’est autre chose. »

Quelle traction derrière ses fulminations ? Une centaine de fidèles à ses directs, 4 600 abonnés sur Facebook. Pas de quoi remplir un aréna. Mais sur X, ils sont 48 000 à boire ses invectives comme de l’eau bénite. Un raz-de-marée ? Disons plutôt une tribu numérique petite, mais bruyante, animée d’un culte bien réel à son endroit.

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Et ses fidèles, eux, en redemandent. Dans les commentaires, il est « la voix qui ose », « Nomos pour 1000 ans », le type qui dit tout haut ce que d’autres ne risquent qu’à demi-mot. « C’est vrai, je suis plus conservateur que la moyenne des Québécois, mais aussi plus nuancé qu’on le croit », plaide-t-il. N’empêche, l’hostilité est un spectacle dont beaucoup raffolent.

Son public ? Majoritairement masculin. Des jeunes en quête de repères politiques, des trentenaires en pleine droitisation, quelques boomers nationalistes, et des relais bien établis en Europe francophone. Une base modeste, oui, mais qui s’inscrit dans une tendance lourde, celle d’une droite identitaire qui, partout en Occident, se gorge d’algorithmes et de colères fragmentées.

Nomos-TV, financée par dons et abonnements, lui offre l’essentiel : une autonomie de moyens et de parole. Banni des grands médias, certes, mais réduit au silence, ça, jamais.

Le cas Bérard

Avocat, enseignant et chroniqueur, Frédéric Bérard ne mâche pas ses mots. : « C’est un fasciste, tout simplement. On refuse trop souvent de nommer les choses, et pendant ce temps, ces gens-là avancent dans la sphère publique. »

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Comme Francis Dupuis-Déri, il n’en est pas à sa première cabale orchestrée par des groupuscules d’extrême droite.

Pour lui, la publication de la liste de Cormier-Denis marque un point de bascule : « Les tactiques trumpistes s’invitent chez nous, le climat a changé. » Ce qui le révolte, c’est surtout la désinformation : « On attaque ma crédibilité de professeur. Je n’ai aucun lien avec une organisation antifasciste… M’accuser de fomenter la violence, de terrorisme, c’est inacceptable. »

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Le message divulguait les coordonnées de son employeur, du « doxxing en bonne et due forme », tranche-t-il. Frédéric Bérard prépare une riposte judiciaire, tandis que des menaces de mort, qu’il attribue à des disciples de l’influenceur, se sont déjà frayé un chemin jusqu’à lui.

« Cormier-Denis, c’est tout, sauf un cave. C’est ça qui le rend dangereux. Pas surprenant que plusieurs tombent dans ce panneau-là », ajoute-t-il.

L’enfant de la gauche

Pour mieux le comprendre, faut-il revenir à ses origines ? Un père franco-manitobain fuyant l’anglicisation, une mère française débarquée en plein Octobre 70. Foyer sans religion arrimé à gauche, Plateau-Mont-Royal en toile de fond. École publique, films de Pierre Falardeau, débats Bourgault-Lévesque. Tout semblait le destiner à devenir un militant progressiste en règle.

Fasciné par le monde arabo-musulman post -11 septembre, il s’inscrit en études de langues et cultures arabes à l’UQAM, séjourne à Tunis et au Caire au cœur du Printemps arabe. Ben Ali et Moubarak tombent. Malgré l’euphorie de la révolution, un doute s’installe. Veut-il consacrer sa vie à disséquer un autre peuple, au risque de rester un orientaliste extérieur aux luttes ?

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De retour au Québec, il rejoint pour un temps les carrés rouges, puis bifurque, happé par la lecture de Lionel Groulx, qu’il qualifie de « révélation intellectuelle ». Une première brèche. Bientôt, ce sont des penseurs plus réactionnaires qui l’aimantent, tel Carl Schmitt, dont il tire le Nomos, cette notion d’appropriation du territoire.

À ses yeux, l’héritage tiers-mondiste de l’indépendantisme, cette solidarité tournée vers le Sud, ne colle plus à un Québec qu’il juge passé du Faubourg à m’lasse au confort banlieusard du rêve américain.

Lui rêve plutôt d’un enracinement antérieur à la Révolution tranquille. Un socle canadien-français, conservateur et catholique. Bref, un ordre duplessiste réhabilité, qu’il estime plus proche de notre anthropologie profonde.

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« Comme plusieurs de ma génération, je ne me reconnaissais plus dans cette gauche-là », dit-il. Et il n’est pas le seul. Derrière l’attachement souverainiste, beaucoup de militants ont tourné le dos à une orthodoxie jugée plus universitaire que populaire. La gauche des ouvriers et des opprimés a cédé la place à une mouvance centrée sur les enjeux coloniaux et identitaires. Après des années de résistance, il s’en détache, de son propre aveu soulagé de quitter enfin le camp des « gentils ».

Ce glissement d’échiquier n’a rien d’isolé. Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM, le rappelle : « Comme tout nationalisme, le nôtre a toujours oscillé entre traditions progressistes et inclusives d’une part, réactionnaires et xénophobes de l’autre. Alexandre Cormier-Denis, Mathieu Bock-Côté ou des groupes comme Nouvelle Alliance s’inscrivent clairement dans ce nationalisme hargneux et intolérant. »

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En 2016, alors que Marine Le Pen secoue le paysage politique français, Cormier-Denis observe la scène avec l’intuition que l’onde de choc finira par atteindre le Québec. Ce qui n’était d’abord qu’une fascination se transforme vite en chantier d’action grâce à une rencontre avec la cheffe controversée du Front national, suivie par la fondation d’Horizon Québec Actuel et la distribution de pamphlets militants. Mais l’écrit ne suffit pas.

Le vrai tournant arrive en 2017 avec la création de Nomos-TV, en duo avec Philippe Plamondon. Plus qu’une simple chaîne YouTube, la plateforme se veut à la fois porte-voix et tremplin, conçue pour propulser un souverainisme militant, teinté d’ethnonationalisme.

L’électrochoc assumé

« La situation nationale est dramatique et moi, je suis l’électrochoc », lance-t-il. « Je nomme le réel, avec ou sans gants. » Cette posture, on le devine, galvanise ses fidèles autant qu’elle attire les critiques.

Cormier-Denis picore avec appétit dans tout le buffet de l’extrême droite : peur de l’entrisme musulman, diatribes contre la gauche vandale, nostalgie post-catho, exaltation de la « civilisation européenne », et même des débats clos depuis longtemps, comme l’avortement ou l’homoparentalité. Mais son obsession première demeure l’immigration. Y toucher, déplore-t-il, c’est aussitôt être rangé parmi les « méchants ». Pourtant, insiste-t-il, les nuances existent.

Et le vent tourne, selon lui : « La droite québécoise relève de plus en plus la tête, plus décomplexée, plus vocale que jamais. »

Jamais il ne prononcera le mot extrême avant droite.

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Son refrain est connu : « Le Canada vit les changements ethnodémographiques les plus rapides de tout l’Occident. » Un énoncé somme toute vrai. En 2025, près d’un tiers de la population canadienne est née à l’étranger, et le pays affiche un taux d’immigration annuel d’environ 6,6 pour 1 000 habitants, l’un des plus élevés, comparable à l’Australie ou à l’Allemagne et bien au-dessus de la France ou du Royaume-Uni. Mais présenté comme une amplification dramatique d’exception et d’instabilité, ce constat relève davantage du punchline anxiogène que de la rigueur statistique.

Le 30 septembre, lors de son discours d’ouverture, François Legault martelait le message : « On a dépassé la limite de nos capacités d’accueil et d’intégration. Comme on dit, le mieux est l’ennemi du bien. »

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« C’est une régression triste et pathétique », tranche Francis Dupuis-Déri, pour qui le nationalisme québécois a troqué ses vieilles cibles, l’Anglais fédéraliste, les grandes entreprises, contre « une musulmane voilée sans pouvoir ».

« Et j’ai bien peur que le Parti québécois mise sur ce nationalisme réactionnaire », poursuit-il.

L’ombre de l’international

David Morin, professeur à l’Université de Sherbrooke et codirecteur de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent, est l’une des voix les plus écoutées au Québec en matière de prévention. À ses yeux, impossible de traiter Cormier-Denis comme un cas isolé : « Le discours d’extrême droite s’inscrit dans un mouvement transnational qui traverse tout l’Occident, mais s’adapte toujours aux réalités nationales. »

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En France, Thaïs d’Escufon brandit l’étendard identitaire ; en Allemagne, Naomi Seibt s’érige en « anti-Greta » au service de l’AfD ; aux États-Unis, Laura Loomer recycle sa disgrâce en capital trumpiste ; en Hongrie, les « Fidesz-fluencers » combinent TikTok et propagande orbánienne.

Il le reconnaît lui-même, tous misent sur la même recette : « Remodeler l’imaginaire culturel en ligne afin de préparer le terrain politique ». Et les résultats se mesurent déjà, avec l’AfD devenue deuxième force en Allemagne ou Tommy Robinson capable de soulever des foules monstres à Londres, pour ne citer que ces exemples.

Annulé ou non, Cormier-Denis s’inscrit d’ores et déjà dans une dynamique plus large.

« L’extrême droite cherche d’abord à imposer ses thèmes, prévient David Morin. Au premier rang, le rejet de l’immigration, puis, si possible, à prendre le pouvoir par les urnes. En Europe, elle fonde ses propres partis. Aux États-Unis, elle infiltre les formations établies pour les radicaliser. Au Québec, ce second scénario est plus plausible. La population reste réfractaire, ce qui confine l’extrême droite à la marginalité. La stratégie, c’est donc l’entrisme : droitiser le débat, polariser, puis peser de l’intérieur sur certains partis. Ils avancent encore à pas feutrés, mais sur l’immigration, le terrain glisse déjà. »

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Par leurs récentes surenchères en matière de laïcité, la CAQ comme le PQ donnent chair à ses propos.

Mais c’est surtout en France que Cormier-Denis trouve son oxygène. Balados, plateaux web, tables rondes. Invité récurrent de Frontières, chaîne de la droite nationale forte de plus d’un demi-million d’abonnés sur YouTube, on lui déroule le tapis rouge. À Paris, il n’est plus une anomalie.

L’épreuve du réel et ses limites

Benoît Bréville le rappelait récemment dans Le Monde diplomatique : en 2017, le Portugal comptait 400 000 étrangers et l’extrême droite était inexistante. Huit ans plus tard, 1,6 million d’immigrants et l’extrême droite occupe le deuxième rang parlementaire. Partout en Europe, l’équation se répète.

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Or, cet afflux n’est pas optionnel : « Une main-d’œuvre corvéable et sous-payée, devenue indispensable à des économies vieillissantes. Voulez-vous la renvoyer ? », interroge Bréville. Question qui fait écho au slogan de remigration « Zoum Zoum Zoum » si cher à Cormier-Denis.

C’est là que la droite dure tire ses récits. Non plus contre l’économie déshumanisante, mais contre les bouleversements démographiques eux-mêmes. Là où l’héritage universaliste servait de boussole, les sociétés d’accueil se heurtent désormais à des remparts dressés par un camp qui martèle que l’Occident coule sous le « fardeau » migratoire.

Dans ce contexte, Cormier-Denis soutient une thèse simple : faute d’exutoire institutionnel, les inquiétudes « ressortent tout croche ». Sur ce point, il n’a pas entièrement tort. Privées d’espaces de discussion sereins, les angoisses identitaires se déforment, se radicalisent, et finissent sous l’apanage des extrêmes. Dans sa cour, donc.

Sa rhétorique, presque apaisante en surface, invite ses partisans à « s’investir politiquement, faire des enfants, réussir socialement plutôt que de sombrer dans la connerie ». Il se présente en « agent de déradicalisation ».

« Les gens voient les changements, le malaise est là. Moi, je leur dis : vous n’êtes pas seuls. »

Mais canaliser vers quoi, et surtout contre qui ? Comme le souligne le chercheur David Morin, cette posture de vulnérabilité repose sur une combinaison de facteurs, parmi eux la « peur du déclassement, crainte de disparition culturelle, méfiance envers les élites. Sans oublier la xénophobie, moteur simple, mais puissant. »

La peur comme horizon

« Le réel va venir à nous », prophétise Alexandre Cormier-Denis. « Et ça ne fait pas notre affaire, parce que si la société se dégrade, ça fait de nous des oiseaux de malheur. » La formule, oraculaire, séduit ses fidèles, mais en dit long sur ses limites. Car réduire l’immigration à une menace imposée d’en haut nourrit d’abord le ressentiment, quand la réalité est autrement plus ambiguë. Il le concède d’ailleurs lui-même : « Dans les régions, les petits patrons réclament eux-mêmes de la main-d’œuvre étrangère, attirés par le faible coût. »

Ses solutions, elles, restent floues. Entre nostalgie d’un Québec mythifié, réflexes protectionnistes et résignation devant un prétendu « morcellement inévitable de la société ».

Derrière ce narratif fataliste affleure un imaginaire bien connu, celui du « grand remplacement » brandi sans scrupule et présenté comme une dilution inéluctable. Détail révélateur : Renaud Camus, père du concept, signe la préface du recueil Écrits nationalistes publié en 2024 par Cormier-Denis.

À ce sujet, la critique de Francis Dupuis-Déri est cinglante : « La peur du “grand remplacement” repose sur une mauvaise lecture démographique et une ignorance historique. Les Amériques se sont bâties par l’immigration, comme le Québec. Irlandais, Juifs, Italiens, Grecs, Haïtiens, Vietnamiens, Libanais : tous ont été dits “inassimilables”, et pourtant, ils font partie intégrante de la nation québécoise depuis plusieurs générations. Alexandre Cormier-Denis préfère taire ces faits et miner la vitalité de la nation québécoise. »

L’onde à venir

Un parti politique, Nomos ? L’idée n’est pas exclue, mais Alexandre Cormier-Denis la juge prématurée. Le Québec, dit-il, n’est pas encore mûr pour une formation de droite dure, antisystème et national-populiste. « On verra dans dix ans », répond-il prudemment. Pour l’heure, son horizon est ailleurs, élargir son influence et faire percoler ses thèmes dans le débat nationaliste.

Le vrai champ de bataille, dit-il, n’est plus dans les médias traditionnels, mais sur le terrain numérique.

En effet, c’est là que se façonnent désormais les récits, que s’attisent les colères et que se construisent les armées de partisans.

Pour David Morin, l’enjeu de la visibilité tient du paradoxe. Ces influenceurs, explique-t-il, « cherchent la lumière et la crédibilité. Ils tiennent souvent un double discours : édulcoré en public, beaucoup plus radical dans leur écosystème, selon les plateformes ou le contexte. Les médias leur confèrent une légitimité qu’ils convoitent. Ils les critiquent sans cesse, mais répondent aussitôt à leurs sollicitations, conscients de l’effet que cela a sur leur progression et la diffusion de leurs idées. »

Quant au référendum, qui refait surface dans l’actualité, Cormier-Denis demeure sceptique. Il doute que le Parti québécois ait le courage de relancer la machine, même en cas de victoire aux prochaines provinciales. « Traumatisés par 1995 », répète-t-il, convaincu que la peur d’un nouvel échec paralyse toujours les souverainistes. Seule une circonstance exceptionnelle justifierait à ses yeux un troisième rendez-vous avec l’histoire. Quant à Paul Saint-Pierre Plamondon, il y voit une témérité kamikaze : « la nation souffrirait d’une troisième défaite. »

N’empêche, voter non lui serait, concède-t-il, impensable. Il reste à mesurer l’influence des discours de droite sur l’élection provinciale de l’an prochain… et sur le parti qui en sortira vainqueur.

Un dialogue possible ?

« Nous sommes passés d’un catholicisme à un étatisme », observe-t-il en parlant de la culture sociale-démocrate du Québec. La religiosité n’a pas disparu, elle a simplement changé d’autel. Or, ces temps-ci, faut-il admettre que ce ne sont plus Dieu ni l’État qui dictent nos croyances, mais nos propres biais de confirmation, amplifiés par le prisme binaire du débat gauche-droite.

Écrire sur lui, c’est dévoiler ce qu’il reflète de nous : nos fractures, nos angles morts. Ce portrait n’est ni absolution ni procès. Il vise à capter, à travers sa trajectoire, ce que notre époque dit d’elle-même. Est-il une excroissance passagère ou le symptôme d’une lame de fond ? La réponse demeure en suspens.

Une chose est sûre : l’ignorer ne l’effacera pas. Dans un petit pays comme le nôtre, le débat reste coincé entre deux impasses : parler sans garde-fous, ou rayer d’un trait une partie du monde. Dans la démesure du moment, où chacun veut écraser l’autre au nom de sa vérité, l’enjeu devient alors d’emprunter un sentier étroit — rester vigilant sans complaisance, dénoncer les dérives sans caricature, maintenir un espace fragile où le dialogue peut toujours cohabiter plutôt que s’entredéchirer.

Mais ça, est-ce qu’on y croit encore ?

L’assassinat de Charlie Kirk est venu le rappeler brutalement. Brandie comme un étendard par ces influenceurs, la liberté d’expression porte ses propres ambiguïtés et peut servir de masque aux germes de la violence.

Le visionnaire et l’aveuglé

Alexandre Cormier-Denis incarne à mes yeux une double figure. Celle du voyant capable de lire les fissures de son temps et celle de l’aveuglé qui, happé par sa propre clairvoyance, réduit ces fractures à un coupable unique. Ses diagnostics touchent parfois juste : l’angoisse devant les mutations sociales, la perte de repères culturels, l’inquiétude économique. Autant de réalités vécues et réfléchies par bien des Québécois. Mais il s’amuse à les plier pour les faire rentrer dans l’étau de son prisme ethnonationaliste, où chaque fait divers devient cartouche et chaque malaise, munition.

En le quittant, je lui serre la main avec la conviction que le danger n’est pas tant dans ses outrances que dans sa prétention à réparer le monde en voulant lui imposer un « ordre ». Non. Ce qui le rend insupportable, c’est son impudeur. Dire crûment ce que d’autres taisent, mettre à nu cette tentation autoritaire qui rôde dans nos démocraties et, peut-être, au fond de chacun de nous.

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