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À droite de la nation : rencontre avec la Nouvelle Alliance

Tensions au cœur des célébrations.

Par
Jean Bourbeau
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Lundi, ciel bleu sur le congé national des patriotes.

Je m’arrête près du parc Lafontaine et tombe par hasard sur des affiches dépeignant une cellule militante de manière très peu flatteuse. Nommée la Nouvelle Alliance, elle est décrite comme un « un groupuscule d’extrême droite portant un nationalisme ethnique – blanc, “catholaïque” et canadien-français – axé sur un repli identitaire et un rejet raciste de l’immigration et de la diversité ».

Ça tombe bien, c’est justement eux que je viens rencontrer.

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Dès que je pénètre dans le parc, un policier à vélo s’approche de moi pour me demander quelles sont mes intentions. Derrière lui, le monument à Dollard des Ormeaux a été vandalisé avec de la peinture rouge sang. On peut y lire « NA Fascist loser » et plusieurs « Fuck NA ».

Des inscriptions portant la signature d’un militantisme antifa cherchant à dénoncer les acteurs qu’ils considèrent suspects. Mais qu’est-ce que la Nouvelle Alliance?

Depuis mars 2022, la Nouvelle Alliance opère des sections à Montréal, Sherbrooke et dans la ville de Québec. Issue de la dissolution du groupuscule identitaire Front canadien-français, elle se présente comme un rassemblement d’activisme de terrain pour une jeunesse nationaliste et indépendantiste.

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La NA a mené diverses actions, telles que des campagnes d’autocollants, la présentation de bannières et de fresques murales, la distribution de tracts et la publication d’un manifeste. Elle a également organisé des événements comme des conférences, des soupers solennels et une veillée aux flambeaux. Une imagerie qui n’est pas sans rappeler une certaine soirée à Charlottesville en 2017.

Cette petite constellation nationaliste, gravitant autour de quelques leaders dans la vingtaine, semble accorder une importance particulière à la mise en scène et au protocole, adoptant une attitude légèrement transgressive tout en glorifiant un passé traditionnel.

Il ne faut donc pas la tête à Louis-Joseph Papineau pour deviner leurs positions sous-jacentes au sein d’un Occident de plus en plus polarisé. Mais ils sont polis et m’invitent à leur commémoration.

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« Je ne suis pas surpris ! », déclare d’emblée Jean-Philip Desjardins-Warren, l’un des membres fondateurs, à propos du vandalisme. « Que ce soit nous ou le mouvement indépendantiste en général, nous n’avons pas la cote auprès du genre de personnes qui s’attaquent aux monuments. Ils ne sont pas capables de nous affronter sur le plan idéologique, alors ils doivent faire des graffitis et des campagnes de collage, la nuit, pour essayer de nous salir. »

Nombreux sont les badauds qui s’arrêtent, le visage perplexe, et s’interrogent sur la nature du rassemblement.

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« On n’est pas des fascistes!, enchaîne-t-il, en réponse aux accusations peintes. Ce terme est devenu une étiquette utilisée plus pour discréditer que pour décrire avec précision. »

« Nous sommes des indépendantistes qui assument leur nationalisme parce que la lutte d’indépendance est une lutte démocratique, mais aussi une lutte identitaire comme il s’en est fait au cours des derniers siècles. Mais tout ce qui est nationaliste, tout ce qui est à droite du centre, on tombe dans l’extrême droite. Alors, est-ce que ça a encore un sens? », questionne l’étudiant à la maîtrise en histoire à l’UQAM.

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Sur la soixantaine de membres en règle, seule une vingtaine sont présents, tout au plus. Un organisateur se réjouit toutefois de la popularité croissante de l’événement : « L’an passé, on était ben moins nombreux. »

Je serre la main d’un sympathique Français tout juste arrivé au Québec pour y poursuivre son doctorat. Il arbore un t-shirt de l’Action française, un mouvement royaliste d’extrême droite antiparlementaire, tout en brandissant le drapeau tricolore de nos patriotes.

Nous ne sommes pas à un paradoxe près.

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Quelques hommes tout de noir vêtus, portant des oreillettes, ajoutent une tension qui contraste vivement avec l’ambiance décontractée des joggeurs et des petites familles se promenant dans le parc pour profiter des premières couleurs de l’été.

On y retrouve les intemporels fleurdelisés ainsi que les ceintures fléchées, mais aussi des bottes de soldat, quelques gros bras, des t-shirts de métal et des polos Fred Perry. D’autres optent plutôt pour un style veston-cravate plus formel, adoptant un dandysme à la manière du controversé Alexandre Cormier-Denis ou de MBC, père spirituel de notre ethnonationalisme contemporain. Parmi les rares femmes présentes, l’une est vêtue d’un t-shirt à l’effigie de Charles Maurras, un monarchiste catholique français.

Après tout, l’invitation à l’événement indiquait : « Tenue correcte demandée. »

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Et il y a ce drapeau flottant dans le vent, le Carillon-Sacré-Cœur, ancêtre de notre actuel drapeau et symbole d’un Québec traditionaliste marqué par la domination de l’Église catholique.

« La Nouvelle Alliance n’est pas une organisation confessionnelle, explique Jean-Philip Desjardins-Warren, mais plusieurs membres sont des catholiques, dont moi-même. Ce serait nier la réalité que de fermer les yeux sur notre héritage catholique. Ce n’est pas une démarche dirigée contre d’autres confessions, mais plutôt la reconnaissance d’un patrimoine, en particulier chez la population d’origine canadienne-française qui constitue le cœur du Québec. Nous mettons de l’avant cet héritage, mais nous accueillons également des membres de toutes confessions religieuses. »

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Je fais le tour de la statue et croise deux dames toutes frêles marchant lentement sous le soleil estival. Elles s’arrêtent et lisent mécaniquement : « Nouvelle Alliance = racistes ».

Avant ma visite, j’ai lu les articles détaillés les concernant sur des plateformes telles que Antihate, Montréal antifasciste et Pivot, soulignant les risques associés à leurs positions identitaires. Malgré l’envergure de ces recherches, qui laissaient penser à un mouvement influent, la Nouvelle Alliance dont je suis témoin semble plutôt être composée d’une poignée de jeunes en marge et nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pas connue.

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La cérémonie s’ouvre en observant un salut au drapeau, suivi par une prise de parole du vice-président Suleyman Ennakhili, récitant la valeur historique du héros de la Nouvelle-France ayant péri aux mains des Iroquois.

« Vive Dollard ! Vive la Nouvelle Alliance! »

Deux Japonaises se rapprochent et prennent une photo sans trop sembler comprendre ce qui se passe ni saisir l’expression : « le confort et l’indifférence ». Peu importe, elles ont leur cliché et repartent en chuchotant.

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Les faits d’armes du XVIIe siècle s’entremêlent avec des réflexions contextualisées au présent, comme : « le choix du sacrifice de mettre en avant la nation québécoise pour avoir un beau pays qui soit à nous. »

« Vive les Patriotes! Vive le Québec libre! », répond la maigre foule.

Un homme solitaire, qui me confie que sa présence est pour confronter la Nouvelle Alliance, met de la musique pop avec son téléphone pendant la minute de silence, provoquant les grognements des participants et attirant l’attention de la police, qui doit veiller à la sécurité de tous.

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Une série de martyrs canadiens-français est énoncée, et à chaque nom, l’assistance répond en chœur d’une voix martiale : « Mort au champ d’honneur! »

« Eille, c’est fucking plate votre affaire! », lance le troll assumé, les jambes croisées, galvanisant les forces de l’ordre alors qu’elles lui bloquent la vue avec deux chevaux.

La foule décide ensuite de prendre la rue Rachel en scandant des slogans bien à eux :

« Montréal en français! », « Tradition – Gloire – Honneur! », et d’autres du même genre.

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Bien sûr, devant la Banquise, le line-up habituel composé de touristes en quête de gastronomie canadienne sort leurs téléphones, attirés par cette curiosité.

Direction la statue de Crémazie au carré Saint-Louis pour rejoindre les festivités de la Société Saint-Jean-Baptiste. J’apprends toutefois que la Nouvelle Alliance n’aurait pas reçu son invitation. « Peu importe, on y va! », lance un sympathisant, le regard déterminé.

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En descendant la rue Saint-Denis, on peut voir les affiches les diabolisant s’accumuler à presque chaque poteau.

« Le Québec, un pays! Le Québec, un pays! »

Une passante anglophone laisse échapper : « Good luck with that, fucking losers! »

Quand les deux solitudes s’embrassent sous le soleil.

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Arrivés devant le buste de Louis-Octave Crémazie, la statue est tapissée d’affiches contre la Nouvelle Alliance. Deux militantes s’activent pour les retirer une à une.

La meute, soudainement moins hargneuse, avance à tâtons dans le parc, s’arrêtant finalement à son entrée. L’ambiance festive, portée par une troupe de percussions afro-brésiliennes, contraste avec le ton de leurs revendications.

Sur place, il y a tout le folklore souverainiste, populaire et un peu chaotique, avec des grosses bagues et des cheveux bleus, qui se font interviewer pour la télévision, arborant des t-shirts à l’effigie de Falardeau et de Parizeau dans une odeur de weed. Des casquettes du RRQ et des flyers pro-loi 21 se mêlent à des vieux intellos et des jeunes rastas blancs.

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N’empêche, ceux-ci regardent la gang aux drapeaux mauves avec une certaine méfiance.

Âgé de 20 ans et originaire de Sherbrooke, Aymerik Laroche détonne par ses yeux clairs et ses traits doux. Je lui demande ce qui le motive à rejoindre un tel mouvement identitaire. « Ma génération est très peu politisée. T’sais, l’indépendance n’est pas à la mode et il n’y a pas d’autres groupes qui me rejoignent dans mes valeurs politiques. J’aime que Nouvelle Alliance soit dans un militantisme de terrain. Afficher des pancartes, des drapeaux, mais toujours de manière pacifiste, ça, ça me parle. On ne cherche pas le trouble. »

« Mais on se fait traiter de raciste! Voyons donc, notre vice-président se nomme Suleyman! », rétorque un porteur de drapeau.

Au micro, un intervenant aux cheveux longs s’empresse aussitôt de condamner leur présence. « Nouvelle Alliance, vous n’êtes pas les bienvenus », répondu par des cris de joie dans la vaste foule.

JF Carrier, un membre plus âgé au sein de la NA me confie être démoli par cette annonce.

S’entament alors des négociations entre les représentants des deux partis. La position de la Société Saint-Jean-Baptiste est claire : vous pouvez participer à la marche, mais sans vos drapeaux. Sinon, vous êtes priés de partir.

Après une longue conversation téléphonique, probablement avec François Gervais, président, porte-parole et principal visage public de la Nouvelle Alliance qui brille par son absence, Suleyman Ennakhili prend sa décision : « On ne baisse pas nos drapeaux ! ».

Interrogé sur le litige, il répond : « Leur position brime notre liberté et la cohésion indépendantiste. La confiance est brisée. C’est de l’intimidation et de la diffamation. On a le droit, on continue. »

Alors que le groupe se place en queue du long cortège, je lui demande s’ils comptent essayer de changer cette réputation de vilains.

« Ça fait partie de la game, mentionne-t-il. On nous met des bâtons dans les roues, mais on va montrer qu’on se bat pour les bonnes choses. On convaincra ceux qu’on veut convaincre. Au diable le reste! »