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À seize ans, au camp d’été, je me suis sauvé de ma première blonde par la fenêtre d’une des résidences étudiantes de l’Université de Toronto. Heureusement pour moi, ma chambre était au rez-de-chaussée, je ne me suis rien cassé. À l’époque, fuir, c’était du sport, il fallait le faire physiquement, ce n’est pas comme aujourd’hui avec les textos et les horaires trop chargés qui nous permettent de ne jamais avoir de temps sans donner d’explication.
(Aviez-vous lu le 49e épisode?: Procédure pour filles célibataires)
« Tu lui diras que je ne suis pas là », chuchotai-je à mon cochambreur avant de sauter par la fenêtre. J’étais innocent et très peu intelligent émotionnellement. Certaines diront que ça n’a pas vraiment changé.
C’était pourtant une très belle Mexicaine pour laquelle j’avais appris à dire « Te quiero mucho, do you want to be my girlfriend? » à peine quelques jours plus tôt. Elle a dit oui et nous nous sommes embrassés. Ce n’était pas plus compliqué. L’idée du rejet ne m’avait encore jamais effleuré l’esprit. Ce soir-là, j’avais la tête dans les nuages, j’avais enfin fait l’expérience du beau et de ce que tout le monde nous dit de chercher : l’amour. Être en couple à cette époque, c’était seulement avoir hâte de voir l’autre pour l’embrasser et lui tenir la main. Il n’y avait pas de notion de routine ni de quotidien, encore moins dans un camp d’été. La magie fut quand même de courte durée. En sentant qu’être en couple me confinait dans une petite boîte bien hermétique, me privant de grands espaces inexplorés, je vivais mes premiers contacts avec le gris, infligeant ainsi au monde des chevaliers et des princesses un premier coup de désillusion. L’amour ce n’est pas du premier coup, qui l’aurait cru. Il ne restait que quelques jours au camp, je n’ai pas eu besoin de rien dire.
Après cette aventure, rien n’était encore perdu, car j’avais encore la capacité de tomber en amour au premier coup d’oeil. Il y avait cette fille du Cégep de St-Hyacinthe, qui portait toujours un bandeau sur la tête, pas comme une hippie, mais plus comme quelqu’un qui aime le rap. Elle se tenait toujours dans l’entrée quatre, je me rappelle encore de son nom. Je l’aimais celle-là, mais, léger détail, je n’ai jamais eu le courage de lui parler. Elle était avec des gars plus vieux et plus cools, je la comprends, quelle fille voudrait sortir avec un puceau de 17 ans? Néanmoins, quand on a encore toute la vie devant soi, nous croyons toujours qu’un jour nous aurons le courage de dire aux femmes qu’elles sont belles, ce qui nous laisse encore présager que le grand amour est toujours à distance de courage. Certains diront que c’est encore une vérité. À cette époque l’amour était sans mot, sans déception, sans ordinaire et dans la promesse de futurs jours heureux.
Les coeurs encore vierges sont à l’abri des vérités cachées des adultes. Il n’y a pas de laid, pas de tromperies, pas d’envies secrètes. Il n’y a qu’une seule belle avec les dents très blanches, une plage déserte, des enfants blonds et des années de bonheur devant. L’amour est une certitude. Ceux qui se laissent ont mal choisi, ceux qui se trompent n’ont rien compris. Que l’on se dit! Cette image reste pure jusqu’au jour inévitable où c’est l’autre se sauve avant nous. C’est impossible de concevoir. L’amour c’est censé être pour toujours. Ce n’est pas raisonnable. On ne comprend pas vraiment du premier coup alors elle doit nous le dire plus clairement avec des mots que personne n’aurait jamais dû entendre.
« Je ne t’aime plus!
Hahahaha…. Quoi? »
Il y a ensuite cette vitesse folle, ce vide vertigineux et cette envie, jamais assouvie, de crier très fort et longtemps, comme les gens de l’option théâtre. Du jour au lendemain, elle ne nous appelle plus et nous présente le rejet pour la première fois. Ce monstre qui nous tétanisera pour une bonne partie de notre vie. On la croise ensuite quelques fois par hasard dans les couloirs de l’école, par fierté on fait mine de l’ignorer et elle à l’air de s’en foutre royalement. Ce qui est bien sûr le cas. On l’imagine avec d’autres garçons et ça fait plus mal que les bobos qu’on se fait en tombant en vélo. Il y en a eu quelques-unes comme ça, que l’on aurait aimé pour toujours, du moins encore pour quelques jours. Il y en a eu juste assez, pour ne plus vraiment y croire.
Après, l’amour migre graduellement du coeur vers la raison, car on veut protéger les morceaux qui restent. L’intérêt devient une question de logique, la fille nous plaît physiquement et elle est sympathique. On la fréquente pendant 6 mois avant de dire « Je t’aime » et il faut le dire en même temps.
« 1-2-3 Go!
Je t’aime! »
Encore là, quand on y réfléchit, l’idée qu’elle sera la seule pour le restant de notre vie semble bien utopique. Cela donne naissance au concept des fréquentations et des relations avec dates d’expiration connues d’avance. La notion de ce qu’est un couple change. Le monde n’est plus que gratifications instantanées. Nous devenons des preneurs plutôt que des donneurs et nous craignons l’engagement par peur de manquer le jour ou notre cœur nous parlera comme dans le temps ou nous étions innocents, stupides et immatures. On ne dit plus rien de compromettant et nous aimons seulement quand il est trop tard, comme dans la chanson de Bruno Mars.
En amour, l’idéal est encore où nous ne sommes jamais, dans les petites choses que nous n’avons pas su apprécier ou dans les grandes espérances qui appartiennent toujours à demain.
Pourtant, je vois autour de moi des gens qui s’aiment, qui forment des couples et qui ont des enfants. Qu’est ce qu’ils font de différent?
Ont-ils eu une histoire complètement différente de la mienne? Ont-ils été à l’abri du rejet et des peines? Comment gèrent-ils leurs désirs pour d’autres personnes? Ont-ils l’impression de s’être contentés?
En vieillissant, qu’est ce qu’il reste des coups de foudre et de la passion? Tout est calculé, mis à l’horaire et les critères sur une liste en points détaillés.
Former un couple au présent avec les traces du passé et les espoirs du futur, n’est-ce pas plus facile à dire qu’à faire? Ou peut-être que c’est juste moi.
Aujourd’hui, quand on pose la question : Veux-tu sortir avec moi, il n’y a pas seulement la case « oui » ou « non » à cocher, il y a aussi les cases : « je ne sais pas », « peut-être » et « on verra ».
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David Malo
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