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“Ajoutez deux lettres à Paris : c’est le paradis.”
– Jules Renard
Ça fait deux semaines que je suis à Paris. Ça fait deux semaines que je tente de faire mon chemin à travers les troupeaux de touristes asiatiques et les branchages de selfie-sticks. J’adore ça! J’ai l’impression d’être dans un Safari nouveau genre.
C’est pour voir et faire de l’humour que je suis venu ici.
A priori, choisir la France pour y trouver l’humour, c’est aussi judicieux que de choisir le Vatican pour faire des recherches sur le darwinisme ou un tout-inclus cubain pour en apprendre sur le civisme et le raffinement intellectuel. Je ne dis pas que c’est impossible, cependant, comme on m’a dit à ma sortie du conservatoire : “Entretiens tes rêves, mais surtout ton plan B.”
Il est vrai que de notre côté de l’Atlantique, les mots humour et France forment rarement un mariage solide. Néanmoins, n’oublions pas que la France est la patrie de Molière, Feydeau, Guitry et tous ces autres auteurs qu’on n’aurait jamais lus n’eût été de nos cours de français au cégep.
Il est aussi vrai qu’en déambulant dans les rues de la Ville lumière, on est tenté de croire que, dans la hiérarchie des qualités françaises, la courtoisie et l’amabilité arrivent bien avant le sens de l’humour.
C’est particulièrement remarquable lorsque notre regard croise certaines enseignes :
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(Le dernier m’échappe encore… Mais, je suis sûr qu’en voyant ces noms de commerce, Guy Mongrain pleure la carrière fulgurante et les millions qu’il a perdus s’il avait décidé d’être un humoriste français.)
Pourtant, il y a de l’humour là-bas. Mais, comment en faire? Qu’est-ce qui fait rire les Parisiens? Je vais essayer de vous le montrer.
Dans un documentaire trouvé au hasard lors d’une nuit sur Canal Savoir (écouter Canal Savoir la nuit… On devine la vitalité de ma vie intime), un policier racontait que 80% de son travail consistait à faire de l’observation. En ce seul et unique sens, les métiers d’humoriste et de policier sont comparables. Nous observons énormément. Parfois, nous sommes les sauveurs d’une mauvaise soirée. D’autres fois, on se fait lancer des canettes par des gens soûls au Beach party de St-Gabriel de Brandon. #faitvécu
Après un premier spectacle qui a provoqué un silence identique à celui qu’on entendrait dans un salon mortuaire sous morphine, je décide, avant la suite de ma série, d’observer la vie de Paris.
Je commence par le métro. Le métro parisien a cette particularité d’avoir uniformisé la vaste majorité de ses stations. Leurs murs voûtés sont (presque) tous entièrement recouverts de tuile de céramique blanche émaillée qui lui confère un charmant look rétro. On se croirait presque dans la cuisine de Marilou.
Je remarque aussi que les gens sont très curieux du fait québécois.
À chaque station, quelqu’un est là pour me poser une question, toujours la même d’ailleurs : “Vous avez de l’argent?” En fier représentant, je n’hésite pas une seconde : “Oui bien sûr! Le Québec est une société qui, malgr é les récentes mesures d’austérité, a une économie solide surtout basée sur l’exploitation de ses ressources naturelles. Aussi, en termes de croissance économique, on serait la troisième province sur dix en 2016! Donc, oui on a de l’argent! Par contre, je n’ai pas de cafetière pour remplir votre gobelet, monsieur…”
Ça, c’est une chose que j’ai notée. Il manque définitivement de baristas dans les métros de Paris. C’est impressionnant le nombre d’aficionados du café qui marchent en tendant leur gobelet pour le remplir. (En passant, cette blague les faisait beaucoup rire.)
Je vais ensuite dans les traditionnels cafés parisiens. Après une heure, je remets en question ma présence sur Terre. Je ne sais pas si j’existe pour vrai. Moi qui espérais boire un thé innocent, la vie m’envoie un serveur qui me pousse à la frontière de ma propre métaphysique. “Suis-je vivant ou ne suis-je qu’un fantôme comme dans le Sixième sens?” Je cherche désespérément un petit gars traumatisé et trop deep pour son âge.
Puis, j’ai la confirmation de mon existence quand le serveur daigne me regarder! Je me sens tellement chanceux!
Pour les plus cartésiens, je vous offre cette équation afin que saisissiez l’ampleur de mon sentiment :
Trouver 500$ par terre + Sortir de Montréal un mercredi à 16h12 sans circulation + Recevoir un compliment de son idole + Se faire cruiser par son fantasme + Être tout seul dans une salle de cinéma + Gagner le gros lot + Avoir une loge pendant les séries au Centre Bell < Me faire servir par un garçon de café à Paris.
(Ça, vous voyez, ça ne marchait pas tant là-bas, alors qu’ici j’ai battu un record de likes.)
Quand il m’a dit : “Hmmm-mmmm” qui, dans le dialecte des garçons de café, veut dire : “Que puis-je faire pour vous servir?”, je vivais l’ascension sociale! Je faisais enfin partie de la haute! C’était oublier le facteur “accent québécois”. Lorsqu’il m’a entendu, son regard m’a donné l’impression d’être issu d’une fin de race. À croire que pour lui, au Québec, on vivait comme Leo dans Le Revenant. Que pour nous, ce n’était pas un film, mais un documentaire. Pour nous, une bataille avec un ours ça s’appelle un mardi matin. (Ça, c’était vraiment un hit là-bas.)
Le même après-midi, je décide marcher et d’explorer le 5e arrondissement, c’est-à-dire le Quartier Latin. Déjà, je réalise que pour eux “Quartier Latin” c’est un vrai quartier où, autrefois, on parlait latin puisque c’était le lieu des universités et non pas un cinéma avec des tables de hockey sur air et des arcades de Time Crisis 17.
En marchant, j’éprouve de vives émotions. D’abord, j’arpente la rue Saint-Jacques et j’ai cette pensée très spirituelle (selfie incluse) “Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques… Sur la rue Saint-Jacques” (record de likes avec cette selfie). Ensuite, je traverse les jardins du Luxembourg en fredonnant : “Encore un jour sans soleil…” (record de honte avec cette initiative). Finalement, à ma sortie des jardins, j’emprunte la rue Servandoni et m’arrête devant le 11, c’est-à-dire l’adresse de Roland Barthes! Barthes c’est un grand sémiologue qui a écrit de nombreux livres comme Le Degré zéro de l’écriture, Sur Racine ou Fragments d’un discours amoureux que mes parents me lisaient pour m’endormir quand j’étais petit. Bref, me retrouver devant sa maison, c’est comme se retrouver devant le château tout croche de Babar.
Voici le résultat :
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(Je ne peux pas être le seul à y avoir pris une selfie.)
Juste à côté de chez M. Barthes, une petite rue perpendiculaire à la sienne débouche sur un mur vandalisé. Plus je m’approche du mur, plus les mots deviennent lisibles et plus je les reconnais. Le graffiti en question n’était pas un incompréhensible “HYH” ou un “Fuck la police”, mais Le Bateau ivre d’Arthur Rimbaud! AU COMPLET!
Je réalise que je suis sur la rue Férou là où, à 17 ans, il a récité son poème pour la première fois. Je ne sais pas pour vous, mais il me semble que moi, à 17 ans, mon raffinement intellectuel était niveau Têtes à claques et j’écrivais des trucs comme : “T tu down pour clubé ak Mel pi Ju? C bon dés pop tarts! Lolollllll”
Pour Rimbaud, à 17 ans, c’était ça :
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Je sais… Le nombre de gens qui, comme moi, ont versé une larme, eu besoin de s’asseoir, arrêté la circulation pour prendre une photo (ratée) et déclamé à la passante ledit poème sont plus rares que ceux qui crient “C’EST LÀ-DESSUS QUE J’AI PERDU MA VIRGINITÉ!»” en entendant Who Let The Dogs Out.
Mais c’était tellement émouvant.
À peine remis de mes émotions, je passe devant le Collège de France! Pour plusieurs, ce nom n’évoque rien. Mais, pour moi, c’est l’équivalent d’un Colisée de Rome ou du Forum de Montréal. C’est un lieu de légende qui justifie l’achat d’un t-shirt et d’une boule à neige. Roland Barthes justement, Michel Foucault, Paul Valéry, Pierre Bourdieu et plein d’autres de mes idoles y ont donné des cours! Je décide d’entrer dans ce panthéon du savoir en me demandant s’il y a des bannières à leur nom ou si on a retiré leurs stylos.
La suite sera étonnante…
Dans le prochain épisode: Je découvre l’humour égyptien antique. Je réalise l’importance de la chance et suis confronté au désespoir. Mais, je fais surtout la blague de ma vie et comprends finalement ce qui fait rire les Parisiens.
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Pour lire un autre texte de Philippe Audrey Larrue St-Jacques : “Pour en finir avec le ‘Ça va mieux ici qu’ailleurs'”