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5 ans de légalisation à la SQDC: ça roule!
98 succursales, 350 tonnes de cannabis vendues, 50,5 millions de transactions, 800 millions de dollars dans les coffres de l’état (dont 279 millions en profit), 1200 employé.es et bientôt une soupe ramen instantanée au poulet infusé au weed disponible en magasins : la Société québécoise du cannabis (SQDC) dresse un bilan positif des cinq premières années de la légalisation.
Le siège social de la société d’État – une filière de la SAQ (qui relève comme elle du ministre des Finances) – se trouve sur le boulevard Notre-Dame, très loin dans l’est de Montréal.
Un bâtiment discret sur un terrain gazonné qui contraste pas mal avec les succursales de la SQDC qui, elles, se sont multipliées depuis cinq ans, passant de 12 boutiques d’origine à une centaine à travers la province.
J’y rencontre Éliane Hamel, vice-présidente responsable sociale, division de la protection de la santé et des communications, pour faire le point sur les noces de bois de l’entreprise. « On peut être fier du chemin parcouru dans les dernières années », lance-t-elle d’emblée, assise à une table de conférence d’une longueur à rendre jaloux Vladimir Poutine.
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D’abord, un petit bond en arrière.
Octobre 2018: les libéraux de Justin légalisent le pot et les médias documentent la chose d’heures en heures.
Les caméras traquent les réactions à chaud des premiers clients sortant des succursales avec leur sac de papier brun rempli de droye.
« Je voulais être la première personne à acheter du cannabis légal à Montréal », lançait Hugo (pas moi juré), se décrivant comme un « poteux d’expérience » au micro de TVA.
Le buzz ne se fait pas attendre et bientôt, de longues files s’étirent autour des quelques boutiques comme au Super Aqua Club en pleine canicule.
Au cours des semaines précédentes, on ne rapportait aucune controverse, ni grand émoi au sein de la populace. Rien de surprenant là-dedans si on considère que des exemples concrets à Amsterdam ou en Californie avaient permis de démontrer qu’il était possible de vendre du weed sans faire basculer la société dans le chaos total.
Éliane Hamel abonde dans le même sens. La légalisation du pot s’est implantée tout en douceur, et les craintes préalables ne se sont pas avérées. « Il y avait de l’inquiétude au niveau de la croissance de la population et que les gens consomment au travail, notamment. Mais on a finalement démontré qu’il est possible de vendre du cannabis de manière responsable, sans complications », constate Mme Hamel,
Il faut dire que l’entreprise n’avait au départ pas le vent dans la figure. Selon l’enquête québécoise sur le cannabis prélégalisation de 2018, si environ 20% de la population consomme du cannabis, l’acceptabilité sociale de sa consommation récréative, elle, atteint plus de la moitié de la population (56% des hommes, 46% des femmes).
Des statistiques qui n’ont d’ailleurs pas beaucoup bougé depuis cinq ans, note Éliane Hamel. « [la consommation] a augmenté un peu, mais pas de manière significative. Elle a même diminué chez les 15-18 ans.»
Un succès entrepreneurial
D’un point de vue strictement entrepreneurial, la SQDC est un succès. L’entreprise a d’ailleurs été rentable depuis sa première année et le gouvernement n’a pas investi un sou là-dedans, nous rappelle la VP.
La quantité de tonnes de cannabis vendues annuellement représente environ la moitié de la drogue consommée, incluant celle écoulée sur le marché illicite. « On estime qu’il se consomme chaque année 190 tonnes de cannabis au Québec et là-dessus, on en vend 106 tonnes, soit 56% du marché », calcule Mme Hamel, qui dit puiser ces données à même des sondages et enquêtes sur la consommation de cannabis. Cette quantité inclut aussi la consommation à des fins médicales, qui représente environ trois tonnes annuellement.
Depuis cinq ans, la SQDC a aussi diversifié son offre de produits locaux et affirme avoir la volonté d’en mettre davantage à l’avant sur ses rayons. À ce chapitre, la province revient de loin.« En 2018, tout le monde n’était pas prêt et les six producteurs de l’époque étaient surtout canadiens et relevaient du secteur médical. Au Québec, l’industrie a mis plus de temps à s’implanter. Aujourd’hui on fait affaires avec 48 producteurs et plus de la moitié du nombre (29) est du Québec », s’enorgueillit Mme Hamel.
La loterie du weed
À l’heure actuelle, une succursale peut contenir un éventail constitué de 500 à 700 produits, en plus des options offertes sur son site web.
Les producteurs qui réussissent à se frayer un chemin jusqu’aux rayons de la SQDC remportent une sorte de loterie. « On évalue ce que les clients préfèrent et on priorise nos besoins. On le fait de manière transparente dans le but de faciliter l’intégration des producteurs », explique Éliane Hamel.
Cette dernière n’est cependant pas en mesure d’identifier ZE produit vedette qui se distingue du lot depuis cinq ans, mais affirme que la fleur séchée en 3,5g reste le meilleur vendeur. « Ensuite, tous les goûts sont dans la nature. »
Le grind n’est pas fini
Parmi les chantiers à venir, il y a d’abord celui de convaincre les gens encore réticents à pousser les portes de la SQDC plutôt que celles du marché illicite.
L’expérience du client pourrait aussi être relevée d’un cran, mais en respectant la Loi encadrant le cannabis en vigueur au Québec. « On ne peut pas être attrayant pour les enfants. Des jujubes et du chocolat, il n’y en aura pas à la SQDC, c’est dans notre règlement. »
Cette barrière n’existe pas à l’extérieur du Québec. Le modèle d’affaires semi-privé de certaines provinces explique d’ailleurs pourquoi les magasins ressemblent davantage à nos SAQ, avec un service à la clientèle sur le plancher et une gamme plus vaste d’edible (des produits comestibles à base de cannabis). On retrouve une offre semblable dans les boutiques des communautés autochtones.
Comparé à l’offre des autres provinces, l’austérité des succursales de la SQDC rappelle celle de la défunte Commission des liqueurs lors de sa création, où l’on transigeait au comptoir un nombre limité de bouteilles qu’on enfouissait dans des sacs en papier.
La SQDC n’est pas en reste, mais pourrait mieux mettre ses produits en valeur, admet Éliane Hamel. « On a des offres diversifiées, comme du hasch, des choux-fleurs ou des betteraves infusées, des figues séchées, du jerky de bœuf et on aura bientôt de la soupe ramen. On n’a pas de chocolat, mais le client peut y trouver son compte, » estime Mme Hamel, qui envisage de mieux publiciser l’existence de ces produits.
L’engouement pour les produits à base de CBD est également non-négligeable pour la clientèle qui ne veut pas dealer avec les effets psychotropes du cannabis.
Deux poids deux mesures avec l’alcool?
Si le modèle québécois diverge de celui des autres provinces, Éliane Hamel assure que la SQDC ne ronge pas son frein à l’idée d’écouler des choux-fleurs infusés au lieu des jujubes au pot.
« La loi d’ici est certes plus astreignante, mais on fait avec, » résume-t-elle. « À la fin de l’année, peu importe les restrictions sur les produits et le nombre de succursales, les résultats s’équivalent d’une province à l’autre, » affirme Éliane Hamel, ajoutant que le terrain de jeu est encore vaste, même en respectant le cadre de la loi.
Donc, si rien n’indique qu’une SAQïsation du cannabis soit dans les plans à long terme, pas le choix de remarquer une sorte de deux poids deux mesures entourant la commercialisation des deux principales substances psychoactives vendues par l’État.
D’un côté, la SAQ qui propose des succursales clinquantes, des dégustations, un service personnalisé sur le plancher, des présentoirs attrayants, des soldes fréquents, des cartes Inspire et des produits dérivés jusqu’aux caisses.
De l’autre, la SQDC, avec des boutiques minimalistes gardées par des agents de sécurité, que l’on quitte un peu en catimini avec notre produit enfoui – eh oui – dans un sac en papier.
Éliane Hamel marche un peu sur des œufs sur cette commercialisation à deux vitesses. « Je n’ai aucune idée, mais je sais qu’il y a une volonté de garder une approche responsable. Il nous faut les voir comme deux univers différents », affirme-t-elle.
Deux produits, deux perceptions.
Deux univers différents, certes, mais qui relèvent du même titulaire au gouvernement (le ministre des Finances) et écoulent des produits nocifs pour la santé.
Il ne serait pas bête de croire que la différence majeure réside surtout au niveau des perceptions, même cinq ans après la légalisation du cannabis.
L’alcool, c’est cool, socialement acceptable, intégré dans les mœurs, souvent utilisé à titre de lubrifiant social et accepté sur les plateaux de télévision.
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Le pot, pour sa part, a encore mauvaise presse et nous renvoie plutôt à l’image d’un drogué amorphe échoué dans son sofa dans un demi sous-sol avec des drapeaux du Québec (avec feuille de pot en remplacement de la fleur de lys) en guise de rideaux.
Sans me suivre dans mon délire, Éliane Hamel me donne un peu raison. « Mais cette stigmatisation du cannabis a tendance à s’atténuer, depuis cinq ans », observe-t-elle, me renvoyant à son sondage sur le pourcentage de la population en accord avec la légalisation du pot.
Peut-être, mais nos efforts à trouver des personnalités acceptant de s’ouvrir au sujet de leur consommation de pot récréative dans le présent dossier tend à mettre un bémol sur cette supposée acceptabilité.
« Je ne dis pas que c’est banalisé, mais c’est certainement entré dans le paysage », observe Mme Hamel, citant le fait de mentionner la SQDC dans l’énumération des commerces ouverts ou fermés lors des congés fériés.
Et la santé, dans tout ça?
Reste l’enjeu de la santé, dont on ne tient pratiquement pas compte du côté de la SAQ mais qui occupe un rôle de premier plan dans la marchandisation du cannabis.
Cette préoccupation est même incluse sur la carte d’affaires d’Éliane Hamel (VP responsable sociale, protection de la santé et des communications).
La principale intéressée demeure toutefois prudente. « Faudrait demander à la SAQ. Nous, c’est au cœur de la mission et écrit dans la Loi. C’est un produit qui n’est pas sans conséquences, » résume-t-elle.
On peut tergiverser sur quel produit est le plus nocif pour la santé, mais disons que je miserais sur une soupe ramen et des choux fleurs infusés au weed pour mettre les chances de mon bord si je veux allonger mon espérance de vie.
L’alcool a déjà fait ses preuves de nocivité avec des risques liés à plusieurs cancers en plus d’être associée à des coûts hospitaliers astronomiques à chaque année.
Finalement, si les retombées de l’alcool sont redistribuées un peu partout dans nos infrastructures, celles du cannabis sont plutôt investies en totalité dans un fonds de lutte contre les dépendance, dont la gestion est assumée par le ministre des Finances. « On n’a aucune pression du gouvernement pour livrer des dividendes, » assure Éliane Hamel.
Malgré tout, Madame Hamel admet elle-même fumer un petit joint « très occasionnellement ». Après tout, faut bien tester un peu le produit qu’on met sur le marché.
Si, comme Charlebois le disait avec tant d’éloquence, entre deux joints il faut faire quelque chose, pourquoi pas en profiter pour rassurer le consommateur?