« Ça me donnait le goût. Je me promenais et j’étais comme : “ok, j’ai envie de goûter à ça”. Une chance que c’est pas de même au Québec… »
Mon collègue Jacob Khayat, consommateur occasionnel de cannabis (« surtout des edibles », assure-t-il), vient de sortir de The Good Cannabis Store, à Ottawa. Son commentaire résume assez bien les différences entre l’expérience de magasiner du pot en Ontario et au Québec.
Dans la province de Doug Ford, des particuliers peuvent demander une licence pour ouvrir un dispensaire et y vendre des produits homologués par Ontario Cannabis Store, ce qui a créé une multitude de dispensaires aux personnalités variées et prononcées.
De ce côté-ci de la frontière, c’est la Société du cannabis du Québec (SQDC) qui contrôle aussi bien le produit que les succursales. La sobriété est le mot d’ordre pour ces dernières.
Pour voir comment la différence législative se manifeste concrètement, Jacob et moi avons passé la journée dans la région d’Ottawa-Gatineau, à quelques jours du 4/20.
Premier arrêt : The Good Cannabis Store
On arrive dans The Glebe, un quartier mi-résidentiel mi-commercial au sud du centre-ville. C’est assez paisible, si on fait abstraction de l’autoroute 417 qui forme la frontière nord de l’arrondissement.
Ici, l’ambiance est de type beach bum. Sur le plexi devant la caisse, une sirène en néon nous surveille.
Sur Bank St, The Good Cannabis Company est le premier de trois dispensaires qui ont pignon sur 300 mètres de rue.
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À l’entrée, on se fait immédiatement carter. Je sors mon permis de conduire et Jacob, son passeport (longue histoire). D’où l’on se trouve, un mur nous empêche de voir le magasin en tant que tel. Un regard rapide de l’agent confirme que nous avons tous deux plus de 19 ans et nous passons de l’autre côté.
Ici, l’ambiance est de type beach bum. Sur le plexi devant la caisse, une sirène en néon nous surveille. Derrière ledit plexi, le jeune conseiller-vendeur-stoner nous vante le côté familial de l’entreprise, un « mom and pop shop » indépendant. Sur le site web, on parle d’un établissement « good vibes only ».
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Les produits à consommer ne sont pas sur le plancher; ici, ce sont plutôt les accessoires qui ont le spotlight. Si vous cherchez un bong, une pipe, une vapoteuse ou même un beau plateau, vous êtes au bon endroit.
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L’employé nous fait remarquer que, contrairement au Québec, la limite de THC en Ontario est de 40 %. Mais selon lui, passé 30 % (le maximum de l’autre côté du pont Cartier-MacDonald), t’es juste trop gelé anyway.
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Pour 24 $, on ressort de The Good Cannabis Company avec trois joints préroulés, cinq jujubes contenant 2 mg de THC chacun et un paquet de papier à rouler – rien de trop extravagant. En prime, on nous donne un deuxième paquet de papier aux couleurs du magasin. J’ai donc suffisamment de pape pour au moins dix ans.
Deuxième arrêt : Spiritleaf Wellington West
On sort de The Glebe par cette fameuse 417 où ça roule bien malgré l’heure de pointe qui se profile, direction ouest jusqu’à Spiritleaf Wellington West. La fin de la prohibition, c’est le début de quelque chose de beau, si on se fie à ce qui est écrit dans la vitrine avant.
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L’accueil est très différent. Dans le vestibule, deux fauteuils avec une grande table ronde donnent l’impression d’arriver à un rendez-vous de soins esthétiques. En haut des quelques marches, nous sommes accueillis par deux sympathiques vendeuses qui nous cartent elles-mêmes.
Nous sommes surtout attirés par le présentoir « Découverte », où sont vendus des crèmes pour la peau, des onguents, du bain moussant…
Elles ne sont pas surprises de voir des Québécois et affirment que beaucoup des habitué.e.s de la succursale résident dans la Belle Province et font la route parce qu’on y trouve des produits plus variés et plus forts qu’à la SQDC.
Spiritleaf est une chaîne de magasins franchisés. Les propriétaires de celui où l’on se trouve en ont deux autres dans la région d’Ottawa. À travers le pays, il y en a plus de 100 (!).
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Ici, on peut observer et sentir différentes sortes de cannabis sans demander la permission à personne. Les contenants sont scellés, mais sont équipés d’une loupe et d’une fente laissant passer les odeurs. Même si les fleurs sont un peu vieilles et ne dégagent pas un effluve de skunk qu’on associerait aux tam-tams du Mont-Royal, ça permet de savoir ce qui nous plait ou pas.
Mais Jacob et moi sommes surtout attirés par le présentoir « Découverte », où sont vendus des produits d’un autre acabit. Crèmes pour la peau, onguents, bain moussant… L’employée la plus avenante des deux nous révèle que beaucoup de client.e.s utilisent ces produits pour soulager des douleurs corporelles. Il faut se fier à ses dires, parce qu’elle n’a pas le droit de présenter elle-même le potentiel thérapeutique de ses produits.
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Ne sachant pas trop quoi faire de cette information, nous succombons malgré tout à notre curiosité et achetons un ensemble de trois bombes de bain qui feraient un super cadeau dans un échange avec la famille. Prix de vente : 42 $.
Troisième arrêt : SQDC – de la Gappe
Avant de continuer…
- Ottawa, un million d’habitant.e.s : plus de 60 dispensaires de cannabis.
- Gatineau, 290 000 personnes : trois dispensaires de cannabis.
Même pas besoin de faire la règle de trois pour se rendre compte que le ratio est pas mal à l’avantage de la capitale fédérale. Et attendez, c’est encore plus tranché que vous ne pensez.
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La succursale de la Gappe, située dans un centre commercial, nous semble peu accueillante. Elle est en fait fermée. Dans la porte sont collées des affiches dénonçant la SQDC comme étant un employeur « de marde ».
Vous l’aurez compris, les employé.e.s de ce magasin sont en grève. Depuis des mois, ce sont les patrons qui tiennent le fort et les horaires d’ouverture sont considérablement réduits. L’établissement d’Aylmer est dans la même situation.
Notre seule option est la SQDC de Buckingham. Les stoners gatinois.e.s résidant au centre-ville doivent donc faire 34 km de voiture dans chaque direction pour s’acheter du pot en ce lundi pluvieux. Ou bien prendre le pont et pratiquer leur anglais.
Dernier arrêt : SQDC – Buckingham
Nous sommes entre l’autoroute 50 et le cœur de Buckingham, à l’ombre d’un Canadian Tire et d’une épicerie Métro.
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Qu’à cela ne tienne, une fois à l’intérieur, on pourrait totalement être au coin Jarry et Lajeunesse ou sur le boulevard Ducharme à La Tuque tant l’esthétique épurée et lumineuse de l’endroit est calquée sur celle de toutes les autres SQDC de la province.
Ici, on n’est pas dans une « clinique » où sont prescrits des remèdes.
Cette sobriété dans la déco est accompagnée d’une aura de professionnalisme chez les employé.e.s qui nous accueillent, vêtu.e.s d’un bel uniforme. Ici, tout se passe derrière des comptoirs, on ne peut toucher à rien, et il faut donc absolument communiquer avec le personnel.
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Aujourd’hui, j’arrive sans but précis et le jeune homme qui nous répond a l’air complètement à l’aise avec ça. On est loin des souvenirs de mes premières visites, dans les semaines suivant la légalisation en 2018, quand les files interminables étaient encore la norme et qu’on se sentait pressé par les dizaines de personnes qui attendaient derrière.
Il nous présente les produits comestibles – choux-fleurs, betteraves, Beef Jerky, boissons pétillantes – et l’inventaire de cannabis séchés tenus en magasin. La liste est imposante et le choix est plus varié qu’aux deux dispensaires visités plus tôt.
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En payant, on discute avec une employée qui représente bien l’approche prudente du Québec en termes de pot. Quand on lui demande si on trouvera un jour des vapoteuses comme à Ottawa, elle indique que ça n’arrivera pas tant que les producteurs ne réduiront pas le taux de THC pour arriver à la limite de 30 %. Elle semble avoir un malaise lorsqu’on lui parle des produits pour le bain achetés chez Spiritleaf : ici, on n’est pas dans une « clinique » où sont prescrits des remèdes.
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Notre expérimentation transprovinciale complétée, l’heure est au bilan.
« Étant quelqu’un qui ne consomme pas beaucoup et qui va garder ça comme ça, je préfère ça », déclare Jacob, en pointant la SQDC Buckingham, magnifique dans cette lumière de fin de journée. « J’aime mieux quelque chose qui m’incite moins à en acheter, contrairement à ce qu’on a vu à Ottawa. »
De mon bord, sans condamner l’approche québécoise, j’ai un petit penchant pour les magasins vus à Ottawa. Si la SAQ a des cartes cadeaux, des promotions et des annonces à la télé pour vendre de l’alcool, pourquoi le weed de la SQDC devrait-il recevoir un traitement différent?