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10 hommes nous racontent comment ils ont vécu l’avortement de leur partenaire

Parce que l'avortement concerne tout le monde.

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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La semaine dernière, alors que l’Alabama votait la loi la plus restrictive des États-Unis en matière d’avortement, plusieurs lectrices prenaient parole sur URBANIA pour mettre en lumière la façon dont elles avaient vécu leur propre interruption de grossesse.

Mais comme un bébé, ça se fait à deux (ou à plus), il est maintenant temps de passer le micro aux partenaires. De découvrir en quoi ceux-ci ont aussi pu bénéficier – ou non – de l’intervention menée sur le corps de leur blonde. En quoi des règles différentes auraient pu changer complètement leur vie…

Désormais, avec le durcissement des réglementations dans le Kentucky, le Missouri et le Mississippi, restreignant de plus en plus ce droit fondamental et légitime, comment vivent ceux qui n’ont pas pu devenir pères en raison de l’avortement de leur conjointe? Quel souvenir et sentiments en gardent-ils?

Quelques-uns ont accepté de témoigner.

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L’ombre de la honte

« J’avais 16 ans et la fille m’a appelé pour me dire qu’elle était enceinte. Mon coeur a remonté dans ma gorge. Mes mains sont devenues instantanément moites. Je ne savais pas quoi dire. Encore moins quoi faire. J’avais les cheveux longs et je connaissais plus le rock progressif des années 1970 que l’orthographe du mot responsabilité. J’ai pris tout mon courage (que j’avais en quantité extrêmement limitée) et j’ai dit:

— Qu’est-ce que tu veux… qu’est-ce que… euh… tu vas faire?

— Je vais aller à la clinique avec ma mère.

— …

— C’est tout.

Je suis resté avec le téléphone dans mes mains pendant de longues minutes après qu’elle ait raccroché, sans savoir comment me sentir. J’étais rempli de honte et de confusion. Deux semaines plus tard, j’ai croisé la fille dans les corridors de l’école. Elle m’a fait un clin d’oeil et j’ai compris que c’était fait. Puis elle m’a fait un sourire timide et, par ce simple geste, l’ombre de la honte dans laquelle j’errais, mortifié et dégoûté par ce que j’avais fait, pouvait enfin commencer à se dissiper. »

– Daniel

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Un reality check

« J’étais avec la femme de ma vie, celle que j’aime de tout mon amour. Elle est tombée enceinte et on s’est tout de suite mis à penser à des noms d’enfant. Puis, elle a commencé à remettre notre relation en question. Elle a choisi de mettre un terme à sa grossesse, puis à notre couple. Ça a été un immense déchirement de vivre la défaite sur plusieurs paliers : de perdre la personne que j’aime, l’ambition d’avoir un deuxième enfant et l’idée de construire un noyau familial. C’était vraiment intense, mais je respecte ça. Je me suis aperçu que ça déclenche beaucoup de choses, porter un enfant. C’est un des plus gros reality check qu’on peut avoir dans une vie. »

– Ernest

L’impuissance

« Ça fait 4 ans maintenant. J’avais 23 ans et elle 25. Je me souviens qu’elle avait vraiment peur de me dire qu’elle était enceinte, vu qu’on était encore au stade de fréquentation (elle est aujourd’hui ma fiancée). Je n’ai jamais pensé à disparaître. En fait, ça m’a permis de réaliser à quel point elle était importante dans ma vie et qu’il fallait trouver comment gérer ça à deux.

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On était des étudiants et la seule option possible était l’avortement… Je me souviendrai toujours à quel point c’était malaisant d’être dans la salle d’attente. La plupart des jeunes femmes là-bas étaient seules.

Le plus dur pour moi a été d’être impuissant pendant le déroulement de l’intervention. D’être juste là, assis, à me blâmer de l’avoir poussée à se retrouver dans une telle situation.

Mélange d’horreur, de honte, de remords et de questionnements à savoir si l’action qu’on posait était la bonne.

Ce n’était pas un bon moment, mais on devait le passer. On était des adultes un peu irresponsables et il fallait agir. Aujourd’hui, j’ai encore des regrets de lui avoir fait vivre ça. Ça reste un sujet tabou, on n’en a jamais vraiment parlé à personne, sauf à sa soeur. J’y repense et ça m’apporte toujours une vague de tristesse. »

– Arthur

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Une décision de femme

« Faire un enfant, c’est une décision de famille. Une interruption de grossesse, c’est une décision de femme. Si ma blonde était à l’aise avec l’idée, je l’étais aussi. Ma seule préoccupation : son bien-être. Et après tout, je ne perdais pas ce que je n’avais pas. »

– Pierre

La peur de se tromper

« 19 ans, un bête accident de condom. L’envie d’avoir un enfant est là, mais l’âge, les études, les sacrifices, l’avenir qui nous fait peur… On choisit l’avortement, parce qu’au fond on n’est pas prêts.

Au début, la peur de se tromper. Après, la curiosité au sujet de ce que cet enfant aurait pu être et devenir. Mais ça, ça s’est vite dissipé. On ne regrette rien, 17 ans plus tard. On a maintenant deux enfants, qui sont arrivés au bon moment.

La seule fois où on en a reparlé, c’est récemment, en se demandant : “aurait-on réussi à avoir le même parcours si on l’avait gardé?” Avec du recul, on est pas mal d’accord que notre vie aurait certainement été bien différente, qu’on ne serait pas où on est maintenant. »

– Michel

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L’adoption, pas question

« J’avais 20 ans, elle venait tout juste d’en avoir 18. On ne se connaissait pas depuis très longtemps et, pour être honnête, je n’étais pas certain d’être le père. J’étais prêt à prendre mes responsabilités, mais j’étais clairement dépassé par les évènements. Je lui ai dit que j’allais respecter son choix, mais il était plutôt clair que je n’étais pas prêt à avoir un enfant.

Avec le recul, je pense qu’elle a pris la bonne décision, mais ses amis l’ont jugée quand ils ont su qu’elle s’était fait avorter. Elle finissait son DEP et avaient des nausées extra-intenses, ça compromettait l’obtention de son diplôme et, du coup, ses possibilités de carrière à long terme. C’est correct de ne pas avoir à mettre au monde un enfant si ce n’est pas le bon moment. Aussi, c’était son choix et ce n’était pas à moi de lui imposer cette grossesse non-désirée.

Je suis né en Amérique latine et j’ai été adopté.

Pour moi, il n’était pas question que l’enfant soit mis en adoption. Ce n’est simplement pas une solution optimale et de toute manière, il y a déjà plein d’enfants orphelins qui cherchent une famille.

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Je trouve aussi que l’adoption n’est pas idéale puisque dans les cas où l’enfant ne peut pas être pris en charge par un parent, elle coupe tous les liens entre lui et sa famille d’origine et, souvent, on répètera à l’enfant qu’il est chanceux… Ça a comme effet de confondre les sentiments légitimes du deuil de la famille biologique dans une forme de baîllonnement souvent involontaire, mais tout aussi pernicieux.

J’ai récemment repris contact avec des gens dans mon pays natal, où l’avortement est illégal… La femme qui s’occupait de moi à l’orphelinat donne de son temps bénévolement pour aider des jeunes femmes enceintes à se préparer à devenir mère. L’une d’entre elles a 13 ans! Je ne peux pas accepter un monde où l’avortement n’est pas un choix. »

– Daniel

Une sorte de choc nerveux

« L’avortement est un rite de passage tendu et solennel. On n’y va pas de gaieté de cœur… J’en ai deux “à mon actif”. J’étais présent au premier, qui s’est déroulé dans des circonstances plutôt difficiles. Une sorte de choc nerveux. Jeune et désemparé, je n’ai pas été d’un grand réconfort. Dans le deuxième cas, nous n’étions tout simplement pas prêts, c’était encore trop tôt dans la relation.

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Par la suite, lorsque les circonstances ont été favorables, je dirais que le fait de vouloir éviter un autre avortement fut, pour ma part, une sorte d’incitatif positif, couplé à l’envie d’être père.

Garçon, j’ai grandi auprès de femmes qui militaient pour l’avortement et qui ont soutenu le Dr. Morgentaler dès la fin des années ‘60. C’est resté une figure importante à mes yeux. J’ai toujours pensé que s’il était illégal, les femmes se tourneraient vers des moyens de fortune ou vers des charlatans, et qu’elles mettraient alors leur vie en danger. »

– Simon

Quelque chose à régler

« Ça faisait environ un an qu’on était ensemble quand ma blonde s’est faite avorter. Je sortais d’un divorce après 10 ans de relation et j’avais déjà un fils de 5 ans. On traversait beaucoup de choses et c’est comme si dans ce torrent, j’avais vécu l’avortement avec détachement. Je ne l’ai presque pas vécu, on dirait. Ma blonde me l’a dit, et c’est vrai. Autant j’ai profité de la naissance de mon fils à 100%, autant cette grossesse me semblait irréelle, comme quelque chose à régler…

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Je n’étais pas prêt à être père une autre fois. Ma blonde aurait aimé le garder, mais ce n’était pas le moment pour elle non plus, avec sa business, notre début de relation qui allait si bien… Et ce Nuvaring [ndlr: anneau vaginal contraceptif] qui a foiré.

On est allé au Centre de santé des femmes de Montréal. Je l’ai accompagnée. J’ai trouvé ça spécial (mais réconfortant) que les gens là-bas s’adressent juste à elle. C’était son corps, sa décision.

Secrètement, je crois qu’elle aurait aimé le garder. Surtout parce que je ne suis pas plus prêt à en avoir un autre. Je l’ai compris depuis. Maintenant, elle est la “fausse-mère” de mon fils, mon amour, celle avec qui j’ai un condo, que je vois s’épanouir professionnellement et avec qui je rêve d’autres projets. »

– Pascal

Merci

« Mon but n’est pas de donner des détails sur les situations, mais de remercier celles qui, à cause de moi ou avec moi, ont fait une IVG [interruption volontaire de grossesse].

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L’homme ne fait pas grand-chose quand la femme entre dans une clinique… Il attend et tente d’être le plus à l’écoute possible.

Je me souviens des regards que nous avions entre hommes qui attendaient notre conjointe.

Je me souviens du regard des femmes qui l’ont fait et de la connexion que nous avions à ce moment précis. Je n’oublierai jamais ces moments ni la chaleur et l’humanité du personnel.

J’aimerais remercier ces femmes qui ont pris la décision de penser à elles et m’excuser à celle qui a fait ce choix pour moi. Ce qui se passe en Alabama me touche énormément. »

– Kevin

Empathique sans bon sens

« Elle avait deux “trois-quarts d’amoureux”. Elle se demandait à qui donner officiellement son autre quart. Elle a choisi l’autre. Cette répartition fut douloureuse pour mon petit cœur, mais tout était assumé.

Jusqu’au jour où elle m’a avoué, après une cyber-relance désespérée, qu’elle a véritablement tourné le dos à notre potentiel dernier quart… à l’hôpital. Sous-entendu très clair et bouleversant pour le jeune homme de 21 ans que j’étais.

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Constat #1 : Je n’avais pas participé à cette étape qui demande assurément du réconfort. Elle avait préféré la solitude.

Constat #2 : Je m’apercevais concrètement de tout ce qu’elle nous avait épargné, à ce moment-là. Du test de paternité… à la parentalité.

Constat #3 : Même vivre un avortement par la bande, c’est troublant. Je suis empathique sans bon sens envers toutes celles qui doivent le “fronter”, peu importe la situation qui a mené là. »

– Stéphane

L’amitié

Pour terminer, je tiens à ajouter ici un autre type de témoignage que j’ai reçu. Il ne vient pas d’un potentiel père, mais d’une amie qui voulait être là pour une autre. Il est aussi important, je crois…

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« Vers l’âge de 19 ans, j’ai accompagné une de mes amies se faire avorter. C’était son deuxième avortement, et elle ne voulait pas le dire à sa mère. Comme je n’étais pas un membre de sa famille ou son copain, on a refusé que je l’accompagne. J’ai dû rester dans la salle d’attente pendant que ses yeux se remplissaient de larmes. À sa sortie, je l’ai prise dans mes bras. On n’a jamais reparlé de cette expérience. J’ai respecté son silence, mais j’aurais aimé pouvoir effacer la peine et la honte de vivre ça complètement seule. »

– Elizabeth