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Afin d’étudier l’impact du confinement solitaire sur la psyché des détenus dans les prisons, des recherches ont été faites sur des rats qui, eux aussi, sont des animaux vivants en société. Il a été démontré qu’un rat que l’on isole du groupe pendant un certain temps n’explorera pas autant un nouvel environnement que les rats qui vivent en communauté. Leur état d’alerte, devant être plus grand lorsqu’ils sont seuls, fait en sorte que les rats que l’on a isolés ne s’éloignent pas trop d’une source de nourriture connue et des endroits qu’ils savent déjà sécuritaires.
(Aviez-vous lu le 31e épisode?: Il y a des jours d’épiphanie)
Il est très facile de transposer le résultat de ces recherches sur les humains. Pour la majorité d’entre nous, qui ne sommes pas derrière les barreaux, l’isolement peut prendre différentes formes. Un individu peut se reclure dans une routine très fermée et ainsi subir les mêmes symptômes qui sont associés à l’isolement. C’est-à-dire de se contenter d’ouvrir toujours les mêmes portes, sans savoir ce qu’il y a derrière les autres.
Pour certains, c’est de conserver un emploi de peur d’avoir l’air incompétent dans un nouveau et de compromettre du même coup sa source de revenus actuelle. Pour d’autres, c’est d’aller toujours dans le même café, de commander le même format de breuvage, de lire le même livre et de parler au même monde. Pour certains, c’est choisir de ne pas entrer en contact avec de nouvelles personnes de peur de ne pas savoir quoi dire ou d’être rejeté.
Dans la société, notre prison n’est pas faite de béton et de métal, mais plutôt de nos choix. Il y a toujours une peur qui nous isole quelque part. Pour chacun elle est différente et d’un degré distinct, mais chacun sait aussi où la confronter.
Plus nous fuyons nos peurs, plus nous devenons confinés dans le cadre du connu. Nos choix deviennent prévisibles et routiniers. Il y a de moins en moins de place pour l’imprévu, le spontané et la découverte. Nous devenons même irrités et impatients lorsque notre routine est affligée par un changement.
Lorsque l’on apprend une façon de faire qui est efficace et qui répond à nos besoins de base, nous avons tendance à vouloir la consolider, et ce, sans avoir pris connaissance de toutes les possibilités qui sont disponibles. On adapte notre budget selon le salaire offert pour notre travail en pensant que c’est ce qu’il y a de mieux pour nous. Est-ce que celui qui passe la serpillère dans un restaurant à service rapide sait que pour le même travail dans une société d’État on paye presque le double? Peut-être qu’il le sait, mais est persuadé, sans jamais avoir essayé, qu’il ne serait pas embauché là-bas de par son âge, son expérience ou son éducation.
On préfère généralement faire des sorties avec des gens que l’on connaît et dans les endroits que l’on fréquente régulièrement. Peut-être que les gens qu’on ne connaît pas seraient aussi des amis très intéressants, peut-être que l’amour est assis à côté de toi dans le métro, peut-être que certains seraient meilleurs banquiers qu’artistes. Il est bien difficile de savoir par la fenêtre de notre cellule.
Malgré toutes les œillères que nous font porter nos habitudes sécurisantes, il n’en demeure pas moins que nos envies et nos désirs sont axés vers une éventuelle et plus grande ouverture sur les autres. Peu importe notre degré d’isolement, notre plus grand potentiel implique toujours une vie d’exploration et de découvertes.
Il y a ce désir, qui devient de plus en plus dur à contenir, d’être généreux et d’exploser de sympathie envers nos compagnons de société. L’idée de transformer un visage faussement indifférent en un sourire timide m’apparaît comme un pas vers une vérité plus grande. Métamorphoser ce sourire incertain par une formule de salutation bègue et saccadée semble être une bien meilleure idée. Convertir ces mots hésitants et presque inaudibles en un énoncé bien porté et articulé m’apparaît maintenant comme une évidence.
Dans notre société, même s’il est mis de l’avant qu’il faut être capable de s’en sortir seul et de se fondre le plus rapidement possible dans le décor, la vérité est tout autre. Il faut s’en sortir tous ensemble et toujours repousser les murs de nos peurs afin que l’inconfort devienne notre nouvelle zone de confort.
À force de vouloir se fondre dans le décor, on finit par devenir le décor.
David Malo
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