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J’ai vu Philémon Cimon deux fois en show. Toujours au Cinéma l’Amour, un endroit où on diffuse habituellement des films de cul sur écran géant. C’est d’ailleurs des vidéos pornographiques (relativement légères) qu’il a offert aux spectateurs à titre de première partie : Dita Von Teese en plein strip-tease, un début d’orgie sur le bord d’une piscine et des secrétaires frivoles dans un party de bureau qui lève.
À la fin du deuxième concert, Philémon Cimon a chanté nu, le sexe caché par une feuille. Une fausse feuille, je pense.
Parce que si l’artiste chante le couple qui fait mal, l’inceste et l’infidélité, il s’amuse en plus à nous faire prisonniers d’une sexualité ostentatoire.
Bon, on peut toujours quitter la salle, mais le fait est que c’est bon. Les malaises provoqués par l’artiste sont importants, en salle comme sur album (Les sessions cubaines, L’été, Les femmes comme des montagnes et Psychanalysez-vous avec Philémon Cimon).
Pour le mois du sexe URBANIA, j’ai eu envie de lui remettre la monnaie de sa pièce. J’ai proposé au chanteur une entrevue dans un bar de danseuses. C’est que dans la bataille aux malaises, je refuse d’être une spectatrice passive. Il a accepté, à condition que ce soit dans un endroit éthique.
Je ne sais pas à quel point Chez Parée offre des assurances de qualité à ses employées, mais la réputation jetset de l’endroit nous a rassurés.
Récit d’un mardi après-midi aux danseuses…
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L’arrivée
Il est 15h30, j’attends mon taxi. Le comptable d’URBANIA me rappelle de tiper le doorman. Je panique un peu, je ne connais rien au domaine. Je ne suis allée aux danseuses qu’une fois et je n’avais pas du tout été à la hauteur.
J’arrive avant Philémon, ce qui me permet de faire du repérage et de constater que je suis attendue. Le portier connaît mon nom (j’assume donc que contrairement au comptable d’URBANIA, je n’ai pas besoin de le soudoyer pour entrer). Le gérant me serre la main, des dames me saluent de la tête. Il est tôt, personne ne danse, mais les employées commencent à se déplacer lascivement dans l’espace pour jaser avec les premiers clients.
Je retourne à l’extérieur, où je trouve le jeune chanteur. Il me prévient : le lieu le rend très mal à l’aise. Il sera probablement figé, mais il comprend la démarche et ne la désapprouve pas.
Dans mon cœur, je viens de gagner. Paradoxalement, je suis aussi mal à l’aise que lui.
On entre. Game on.
Le sexe, ce n’est pas si beau
Le photographe qui nous accompagne nous demande de nous asseoir près du bord de la scène, question d’avoir la meilleure lumière possible. On obéit en commandant rapidement à boire. On a besoin d’une béquille pour se lancer. Je cale mon verre et j’ose.
Philémon, si une danseuse devait s’exécuter sur une de tes chansons, tu aimerais que ce soit laquelle?
Ève ! Je crois que ce serait approprié, c’est une de mes plus inconfortables [NDLR Ça parle d’inceste]. En même temps, elle dure six minutes… Ce serait un double shift.
Tu la choisis parce que c’est ta plus inconfortable? Quel drôle de réflexe. D’où vient ton amour de la provocation érotique?
Ça vient peut-être d’un malaise face à la sexualité. À force de me questionner, je me suis rendu compte qu’on a tendance à embellir la sexualité, à mettre des belles images là-dessus. Mais ce qui se passe sous ces images-là est très complexe. Je pense qu’il y a plein de choses qu’on ne veut juste pas dire, même si on est en 2016 et qu’on est supposé tout accepter.
Je pense que la sexualité finalement, c’est un canevas qu’on remplit de notre imagination. On plonge dans tout ce qu’on ne peut pas dire et faire dans la vie.
Sais-tu ce que je trouve encore plus “malaisant” que la sexualité? Le processus de séduction.
C’est très inconfortable quand tu y assistes, mais quand t’es un peu saoul et que tu le fais, c’est rigolo. Mais c’est vrai que c’est un peu ridicule ! Et je suis accro à ça en plus. J’essaie de ne pas rentrer dans la séduction, même si c’est un bon moyen de défense pour éviter de se livrer. Je passe une bonne partie de ma vie à séduire et une autre bonne partie de ma vie à essayer de me retenir.
En même temps, séduire, ça fait un peu partie de ton métier.
Oui, pourtant ce qui est le plus efficace, c’est l’authenticité. C’est cliché, mais c’est vrai. Quand tu es limpide avec ce que tu es, tu commences à rayonner. Il y a peu de gens qui se permettent d’être en accord avec ce qu’ils sont à l’intérieur. Le quart du temps, je ne suis pas là et j’invente un personnage. Puis la mascarade commence à être inconfortable pour tout le monde.
Pour faire un show, je dois me connecter à mes désirs, mais le chemin n’est pas toujours clair. Des fois, je suis sur scène et ça me prend une heure ou deux avant de savoir qui je suis, pourquoi je suis là, ce dont j’ai envie. Je passe mes journées à faire toutes sortes de compromis par rapport à mes désirs, et je finis par ne plus savoir ce qu’ils sont réellement. Si j’arrive sur scène dans cet état-là, je ne communique rien. Mais quand j’arrive à les retrouver, mon métier devient particulièrement le fun : c’est un lieu où éthiquement, j’ai le droit de répondre à tous mes désirs.
Donc à titre d’artiste, tu as une liberté dont je ne jouirai jamais.
Je pense qu’il y a toutes sortes de façons pour arriver à ce même résultat, mais c’est le moyen que j’ai trouvé. Et j’imagine que j’y tiens parce que ça ne me fait pas gagner beaucoup d’argent et ça me fait perdre beaucoup de blondes… Le rapport qualité/prix est moyen !
On ne se sépare pas du fait d’en vouloir plus, sauf à partir du moment où on décide d’éteindre notre désir. Il y a beaucoup de gens qui se mettent dans cet état-là; on se garde distrait pour éviter de penser à ce qu’on veut vraiment. On a une énergie immense en nous, une énergie qui en veut toujours plus. Si on arrive à la pogner et en faire quelque chose de pas pire, ça devient une force positive.
Souvent, on ne sait juste plus quoi faire avec le désir, alors on le coupe. Mais je n’ai pas envie de faire ce deal-là.
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Considères-tu que la séduction est une arme qu’il faut utiliser?
Des fois quand je suis perdu, je veux séduire pour séduire. Pour aller mieux. Parce que j’ai grandi dans un monde qui m’a dit : “Sois séduisant. Si tu te pognes des filles, t’es cool.” On se met alors à séduire parce que c’est la norme.
Il ne faut pas développer une capacité à l’artifice, sinon on va juste être malheureux. La vraie quête, c’est d’essayer de trouver ce qu’on fait sur la Terre, pourquoi on est là et comment on peut vraiment apporter quelque chose. C’est un idéal, mais en même temps, c’est ce qui apporte de la joie pour vrai.
Se crosser baroque
Un rhum and coke derrière la cravate, nos épaules commencent doucement à se relâcher. L’étrangeté du moment demeure, mais elle ne nous intimide plus. On jase pour vrai. Je deviens peut-être même un peu trop à l’aise…
En mai, à notre demande, tu as créé une playlist parfaite pour l’autoérotisme. C’est ton attachée de presse qui a proposé ton nom quand on lui a parlé de notre idée de “top des chansons pour se toucher”. Pourquoi, tu penses?
Probablement parce que je suis très obsédé par la chose. Pas tant par la masturbation, mais par le désir. Comment vivre avec ça? Il y a là une forme de défi.
Ce que j’ai remarqué, c’est qu’on associe souvent le désir à la sexualité, mais c’est infiniment plus large. Quand mes désirs ne sont pas assouvis dans toute sorte de pans de ma vie, j’ai envie de sexualité. C’est comme si c’était la soupape facile : je n’arrive pas à gérer ma vie comme du monde, alors je veux juste disparaître pendant un moment. Pour moi, le désir est relié à une quête personnelle très floue et j’essaie de l’accomplir à travers la musique
Mais moi, je n’ai pas de rythme. Je ne pourrai jamais accomplir quoi que ce soit à travers la musique… Que faire avec mes désirs?
Je n’ai pas de rythme non plus ! Si je ne déconnecte pas ma tête, c’est super poche ce que je fais. Pour me pratiquer, je mets de la musique et je danse seul dans mon salon. C’est un peu bizarre. J’écoute du gospel, genre Sam Cooke, et je danse. Ça parle de Jésus, mais si tu enlèves la notion de Dieu, il reste l’idée de s’abandonner à quelque chose d’une façon très convaincue. J’ai quasiment l’impression de m’exorciser quand je fais ça et après un bout, je commence à être capable de danser sur le beat. Ça me demande quand même tout un entrainement. Tu feras ça…
Ok. J’imagine ton autoérotisme très baroque, est-ce que je me trompe?
Baroque au sens qu’il y a toute sorte de décoration?
L’exagération du mouvement, la tension, l’exubérance…
Euh. Ben non, je ne pense pas, malheureusement.
Bon. On devrait peut-être boire des shots…
On s’est exécutés…et on a parlé de Jésus.
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Donc le gospel, hein?
J’ai grandi dans une famille qui a un pas pire passé catholique. Il y a énormément de choses que j’aime dans la religion, mais il y a des choses auxquelles je m’oppose, comme le tabou et l’impureté qu’on peut imposer à la sexualité.
J’aborde beaucoup la sexualité dans mes chansons parce que c’est une affaire qui était très présente dans ma vie, mais je ne pouvais pas en parler et donc, je ne savais pas quoi en faire. C’était là, mais ça restait à l’intérieur.
Quand tu crées, il faut que tu creuses en toi et ce que tu découvres, c’est ce qui est enfoui depuis longtemps. Donc si j’en parle, c’est parce que c’est l’affaire la plus taboue, complexe et difficile à gérer dans la famille.
Et comment réagissent les membres de ta famille quand ils écoutent tes chansons?
Je pense que ça les met tous un peu inconfortables. Et moi, ça me met inconfortable d’imaginer qu’ils vont lire ces affaires-là. Je suis dans une période de ma vie où ça me fait du bien de désacraliser un peu tout. Maintenant, qu’est-ce qu’on fait pour trouver un nouveau deal?
Honnêtement, tu pourrais être un gourou. Si tu me dis comment vivre ma vie, ça se pourrait que je m’y soumette.
C’est peut-être pas une super bonne idée! Je pense que j’ai déjà fait ça avec une couple de filles… Dans mes moins bons jours, je tripais beaucoup sur ma capacité à expliquer ce qui était en train de se passer.
Plus j’avance dans la vie, plus je me rends compte que c’était n’importe quoi! J’avais peut-être bien compris quelque chose, mais il y avait quelque chose que je n’avais pas compris du tout : l’autre. J’étais aveugle, je ne voyais pas la personne devant moi. J’essayais de lui dessiner des beaux schémas, mais j’avais tout sauf compris ce qui était à la base de cette personne-là, ce qui la drivait réellement. Mettons que j’essaie de moins faire ça.
À ce moment-là de l’après-midi, j’étais suffisamment chaudaille pour aborder le nœud, le sujet qui me perturbe vraiment chez Philémon Cimon… L’inceste.
L’inceste
En toute transparence, Philémon, je suis vraiment fan. Sauf que tes chansons sur l’inceste me déstabilisent big time. Ce sont des objets difficiles à apprivoiser.
C’est parce que l’inceste est un gros tabou. La plupart des gens ne sont pas dans des relations où il y a inceste physique, mais je pense qu’il y a énormément de relations basées sur des choses qu’on pourrait assimiler à l’inceste. En fin de compte, il y a quelque chose d’incestueux dans ce que tu vas chercher chez l’autre; ce que tu n’as pas réussi à accomplir avec ton frère ou avec ta mère, tu essaies de le métaphoriser à travers la sexualité. À mon avis, tout ça est bien à partir du moment où tu en es conscient. Le but n’est pas de dire que cette pulsion est mauvaise, mais de la transformer.
Au moment d’écrire ces chansons, je lisais des classiques de la littérature et je voyais de l’inceste partout. J’ai décidé que mon album ne porterait que sur ce sujet. Mon but était de parler de l’inceste sans le nommer, parce que je pense qu’il nous excite beaucoup, mais que le mot nous fait peur. Je me suis dit qu’en ne le nommant pas, mais en en parlant abondamment, ça créerait un malaise qui allait devenir obsédant.
L’inceste à titre de moteur créatif, ça demeure audacieux…
Ouais, mais j’ai arrêté de parler de ça. Dans mes dernières chansons, je me suis concentré sur le désir de mourir. Et ça me semble un peu lié.
Attends, tu travailles actuellement sur le désir de mourir? Tu restes dans le léger… Est-ce un cri à l’aide?
Je ne pense pas. J’essaie de prendre les outils pour trouver un sens à tout ça. À vrai dire, ma constatation, c’est plus que le désir de mourir est inévitable. Dans mon cas, le désir de mourir est très relié à la création.
Je me suis rendu compte que j’ai souvent voulu mourir, mais d’une façon relativement légère. De façon à ce que je ne m’en rende pas nécessairement compte … Parce que le fait d’être plus près de la mort me donne une dose de vitalité.
Mon défi maintenant, c’est de transformer ça en création, plutôt qu’en destruction.
Cette semaine, sur MSN, on a appris que tu fais partie des chanteurs québécois les plus sexy. Comment tu deal avec ça?
Je suis content, pour vrai. Parce que malgré toute l’insignifiance de l’exercice, j’ai quand même envie d’une reconnaissance de la part de l’industrie. J’aime le Québec et j’ai envie de faire partie de cette patente-là, d’ajouter quelque chose à la culture en tant qu’artiste. C’est complètement ridicule comme palmarès, mais on reconnait mon existence et ça va peut-être me permettre de me faire entendre par plus de monde.
En même temps, ça réveille une affaire que j’aime moins chez moi, c’est-à-dire mon besoin de séduire continuellement. Ce besoin me rend malheureux. Il faudrait que j’arrive à m’en sortir ou à en faire quelque chose d’intéressant.
J’ai envie de me rouler en boule et de pleurer, quand tu parles de cette espèce de dictature de la séduction. Me semble que ce n’était pas l’objectif de l’activité.
Ça ferait une belle photo, en même temps…
Ce sont sur ces paroles que la toute première danse de la journée a été entamée. Nous étions toujours accoudés sur le bord de la scène quand les lumières se sont allumées et qu’une plantureuse jeune femme nous a présenté ses fesses sur fond de Santana. Mal à l’aise, nous avons lentement reculé nos chaises. On a observé en silence. Quand la danse s’est terminée, j’ai applaudi. Philémon et le photographe m’ont dit que ça ne faisait probablement pas partie du protocole. Je me suis demandé pourquoi. Me semble que je serais heureuse qu’on applaudisse mon travail.
On s’est levés. On avait fait le tour. Sur Ste-Catherine, il faisait crissement clair. J’étais saoule et ébranlée. Je suis partie en me disant que je devais commencer à créer pour mieux me contrôler.
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