Les coulisses du film culte de Pierre Falardeau expliquées par son fils
Quand le cinéaste Pierre Falardeau a commencé à distribuer des cassettes vidéo de son film Le Temps des bouffons, en 1993, il ne s’attendait jamais à ce que ça devienne un film culte, tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ce court métrage d’une quinzaine de minutes n’a pas seulement dénoncé la haute bourgeoisie canadienne anglaise avec une férocité inégalée; il a marqué une génération et a prouvé qu’un petit film, né hors des circuits traditionnels, pouvait avoir un impact colossal.
30 ans plus tard, sa veuve Manon et leur fils Jules replongent dans les archives entourant la production de ce brûlot de 15 minutes pour nous révéler les coulisses de ce film que la haute bourgeoisie canadienne anglaise n’avait jamais vu venir.
Un festin pour les élites, un festin pour la critique
Tourné en 1985, mais monté près de neuf ans plus tard, Le temps des bouffons plonge dans les délires du Beaver Club, un souper annuel où les élites anglo-canadiennes célèbrent « le bon vieux temps ». Ce « bon vieux temps », dans les mots mordants de Falardeau, n’est autre que l’ère de la conquête britannique de 1760. Déguisés en bourgeois d’antan, ces grands noms – McGill, Ellis, Smith – festoient dans une parodie grotesque de leur propre héritage colonial.
Avec une plume acérée et un ton oscillant entre le sarcasme et l’indignation, Falardeau dépeint ces figures de pouvoir comme des « profiteurs déguisés en philanthropes » et des « crosseurs pleins de marde ». Il n’y a rien de subtil dans cette attaque, mais c’est précisément cette crudité qui a scellé le statut culte du film.
La naissance d’un film underground
Le projet a vu le jour presque par hasard. Falardeau, en panne de financement pour d’autres œuvres comme Octobre, décide de tourner ce court métrage sur le souper annuel. Avec l’aide de sa conjointe, qui signe une fausse lettre se faisant passer pour une étudiante de l’UQAM, il infiltre l’événement sous prétexte de faire un film sur la fourrure. Le résultat : un pamphlet cinématographique qui ne mâche pas ses mots.
Les premières copies du Temps des bouffons étaient artisanales, distribuées sous le manteau. « Ce film appartient à tous », écrivait Falardeau, incitant les spectateurs à le dupliquer et à le faire circuler comme une bouteille à la mer. Bien avant l’ère d’Internet, le film est devenu viral d’une manière purement analogique : VHS après VHS, il s’est propagé dans les salons, les écoles et les ciné-clubs.
Un mythe qui persiste
Au fil des ans, Le temps des bouffons a accumulé une aura presque mystique. Certains pensaient qu’il était interdit – une rumeur alimentée par son ton subversif et sa diffusion clandestine. Pourtant, aucun ban n’a jamais été prononcé. Comme l’explique Falardeau, « Ce qui fait la richesse du film, c’est sa rareté. »
Le réalisateur lui-même a souvent sous-estimé l’impact de son œuvre. Alors qu’il était occupé à tourner Octobre, le film a continué de se diffuser, traversant même les frontières. Une version espagnole, El tiempo de los bufones, a permis à l’œuvre de voyager, prouvant que son message résonne au-delà du contexte québécois.
L’héritage d’un rebelle
Aujourd’hui, Le temps des bouffons reste une œuvre incontournable pour comprendre le Québec, ses tensions historiques et ses rapports complexes avec le pouvoir. Pour Falardeau, ce n’était qu’un « petit film », fait avec des bouts de ficelle et beaucoup de volonté. Mais ce brûlot rappelle qu’avec un peu de guts, un cinéaste peut bousculer les puissants et faire écho à travers les décennies.
Et comme le dirait Pierre Falardeau, parfois, le talent, ça passe après la rage de dire ce qu’on a à dire.
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