L’art de la ceinture fléchée
L’art de la ceinture fléchée
Félix L’Heureux-Bilodeau cherchait à s’acheter une ceinture fléchée authentique au motif du Docteur Chénier, le patriote mort à la bataille de Saint-Eustache en 1837. Il a sursauté quand on lui a annoncé le prix : 8000 dollars. « C’était bien au-delà de mes moyens d’étudiant », avoue-t-il. En effet, ça semble élevé, mais il faut comprendre qu’une ceinture fléchée de cette ampleur représente des centaines d’heures de travail.
De fil en aiguille (OK, elle était facile), l’étudiant au doctorat en agronomie a décidé qu’il essaierait de s’en fabriquer une lui-même. « Je n’ai jamais fait d’art textile, donc ça me semblait vraiment gros, de commencer à flécher ». Grâce aux encouragements de sa conjointe, Andrea Surprenant, elle aussi étudiante en agronomie et une habituée des bracelets brésiliens, ils décident de se lancer.
Un emblème politique
Au départ, Félix s’est intéressé à l’art du fléché, pour des raisons politiques. Militant pour l’indépendance du Québec, c’est surtout l’aspect symbolique de l’objet qui l’intéresse. « Lorsque les patriotes entrent en conflit avec la Grande-Bretagne, ils vont appeler à faire un boycott des produits anglais, afin de promouvoir ce qui se fait ici. C’est là que la ceinture fléchée devient un peu un symbole patriotique », explique-t-il.
Avec le temps, l’étudiant a malheureusement l’impression qu’on a un peu « folklorisé », voire « ringardisé » la ceinture fléchée. Lorsqu’il la porte à Québec, on lui sert parfois des : « Eille, c’est pas encore le temps du Carnaval! », et déplore qu’on l’associe seulement avec un événement ponctuel.
« On a un art qui est unique au Québec, unique dans le monde et qui est extraordinaire. Le monde savent même pas que ça existe. Mon rêve serait de réussir à ramener la ceinture fléchée dans l’habit québécois de tous les jours. »
C’est en cherchant comment garder cet art vivant et comment l’actualiser que le couple a trouvé une panoplie de nouvelles utilisations : bretelles, signet, courroie de sac ou de guitare, abat-jour, etc. Un complet-cravate entièrement fléché ne semble également pas être exclu de l’équation.
L’art et la science
Pour sa part, Andrea dit apprécier cet art aussi pour son côté méditatif. « Ça me permet de décrocher et en même temps, ça me laisse la tête libre pour penser à mes expériences. Ma tête est scientifique, mais mon cœur veut être artiste. Je vis avec cette dualité », révèle l’étudiante touche-à-tout, passionnée notamment par la microbiologie des sols.
La jeune femme trouve également que c’est un art accessible à tous et qui nécessite peu de matériel : quelques baguettes, de la laine et un « bon gros livre » pour tenir en place la pièce pendant sa conception. Pour le livre, on va le choisir selon le poids et la qualité de l’ouvrage. Il est déconseillé de flécher avec, disons, du Marc Cassivi. On se tournera davantage vers des classiques. Félix a pris une anthologie de Rabelais illustrée par Gustave Doré. Andrea y est allée avec le must de l’apprenti agronome, l’imposant Biologie de Neil Campbell.
Une passion à transmettre
Même si le couple flèche depuis seulement un an, il s’est donné pour mission de transmettre ce savoir en dirigeant des ateliers d’initiation à l’Université Laval.
Et pour la petite histoire, Félix a finalement réussi à mettre la main sur son Saint Graal, une « Chénier » authentique à un prix raisonnable, grâce à une vente de succession. Une magnifique pièce confectionnée par Véronique Hamelin, « l’une des grandes maîtres flécherandes du 20e siècle », si l’on en croit le principal intéressé. La longue quête aura tout de même eu du bon, parce que s’il l’avait obtenue aussi facilement à l’époque, lui et sa copine n’auraient probablement jamais commencé à flécher.
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Vidéo réalisée par Jules Falardeau.
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