Fentanyl : pourquoi on n’en parle pas assez
Il y a quelques années encore, le fentanyl n’était qu’un obscur analgésique utilisé dans en milieu hospitalier. Aujourd’hui, il est au cœur d’une crise nationale. Dans les grandes villes canadiennes, ses ravages sont impossibles à ignorer : des corps vacillent, debouts, mais absents, luttant contre une dépendance qui les consume. Le fentanyl est devenu le symbole d’une épidémie faisant quotidiennement près de 20 victimes au pays, un chiffre qui dépasse désormais les décès routiers.
Paradoxalement, ce même opioïde de synthèse demeure un outil indispensable au sein du corps médical. Violaine Masson, pharmacienne en médecine interne et en psychiatrie, nous éclaire sur son rôle dans le système de santé, expliquant comment il est devenu incontournable pour traiter la douleur, parfois de manière excessive. Sa puissance en fait un allié précieux, mais cette même efficacité est aussi à l’origine de leur potentiel de dépendance.
Ce contraste expose un dilemme majeur : comment concilier l’utilité et la pérennité médicale du fentanyl avec les risques mortels qu’il présente lorsqu’il est détourné et mal dosé dans la rue?
Barbara, une ancienne consommatrice, connaît trop bien ce dilemme. Elle qui menait une existence confortable, a vu sa vie basculer en raison de la dépendance. Les opioïdes lui ont coûté sa carrière, sa famille et son identité. « J’en suis venue à faire beaucoup de choses dans lesquelles je ne me reconnaissais pas », dit-elle.
Aujourd’hui, elle milite pour des alternatives comme les centres d’injection supervisés, qu’elle perçoit comme une lueur d’espoir pour ceux qui, comme elle auparavant, sont prisonniers de la dépendance. Selon elle, ces initiatives peuvent sauver des vies en encadrant la consommation, réduisant ainsi les risques de surdose et les méfaits associés à cette dépendance.
Mais Barbara dénonce aussi la stigmatisation entourant les consommateurs. La société les juge sans comprendre l’enfer de la dépendance. S’extirper de cette spirale n’est pas qu’une question de volonté, rappelle-t-elle. Les racines du problème sont complexes et le fentanyl et les autres opioïdes révèlent un labyrinthe de souffrances personnelles et de défis sociétaux pour lesquels les solutions se font rares.
La Dr Marie-Ève Goyer, spécialiste en santé publique, abonde en ce sens. Selon elle, la criminalisation de la dépendance a échoué. Elle n’a fait qu’aggraver la situation, sans s’attaquer aux véritables causes de la crise. La médecin insiste sur le fait que le problème des opioïdes est enraciné dans des enjeux systémiques plus vastes : l’accès au logement, la santé mentale, la précarité sociale. Ce sont là tous des facteurs qui nourrissent la dépendance et tant que ces causes profondes ne seront pas traitées, la crise persistera. Il est donc impératif, selon la Dr Goyer, de mettre en place des conditions gagnantes et des solutions globales pour prendre soin des plus vulnérables dans la dignité.
Pour ces intervenants, un changement fondamental est nécessaire, avec un engagement clair en matière de santé publique. « On ne peut pas résoudre cette crise sans s’attaquer à ses racines profondes », conclut-elle, rappelant que c’est un problème social, économique et psychologique complexe qui requiert une approche humaine et empathique.
Si vous souhaitez en apprendre davantage sur le sujet, l’épisode consacré au fentanyl et aux autres opiacés est disponible dès maintenant sur la plateforme de Savoir Média.