L’attrait irrésistible des vidéos morbides
Ce reportage fait partie d’un dossier sur l’univers des vidéos ultraviolentes accessibles en ligne. Consultez les autres reportages ici.
Les vidéos ultraviolentes – torture, accidents, meurtres – sont plus accessibles que jamais sur Internet. Si, il y a quelques années, ce type de contenu relevait plutôt du dark web ou d’échanges clandestins entre ados curieux, il est aujourd’hui à portée de clic. Que ce soit sur Reddit, TikTok ou des sites spécialisés, tout le monde peut tomber (volontairement ou non) sur des images qui marquent à vie. Mais pourquoi, malgré la violence et l’horreur, certains internautes recherchent-ils continuellement ce genre de contenu? Et surtout, quel impact ces vidéos ont-elles sur notre santé mentale?
Pour beaucoup, la fascination pour l’horreur remonte à l’enfance ou à l’adolescence. Souvenez-vous de la première fois où vous avez vu un film un peu trop intense pour votre âge, par exemple The Wall de Pink Floyd (des enfants qui tombent dans une machine à saucisses?) ou des vidéos traitant de tueurs en série. Ces images perturbantes nourrissent une curiosité malsaine, mais irrésistible. C’est plus fort que nous : on veut comprendre l’indicible, toucher du doigt les limites de l’humain. Et puis, le phénomène ne date pas d’hier : les films d’horreur existent depuis des décennies. Mais si on s’en tenait autrefois aux fictions, aujourd’hui, avec Internet, on peut tomber sur des vidéos bien réelles, et la frontière entre curiosité et traumatisme devient floue.
Les premiers pas vers cette réalité numérique remontent à l’époque de plateformes comme eMule ou Napster. Ces réseaux ont permis à une génération de jeunes de télécharger toutes sortes de contenus, souvent découverts par hasard. Des films violents, des vidéos de guerre, des accidents capturés sur le vif. Sauf qu’à l’époque, on se lançait là-dedans sans vraiment savoir sur quoi on pouvait tomber. Aujourd’hui, en trois clics, n’importe qui peut être confronté à des scènes insoutenables, et l’impact est bien réel.
Regarder ce genre de vidéos n’est pas sans conséquence. Des témoignages révèlent que beaucoup de spectateurs sont hantés par ce qu’ils ont vu. Certains souffrent même de symptômes se rapprochant du stress post-traumatique : cauchemars récurrents, flashbacks, angoisse. Ce qui était au départ une simple curiosité peut laisser des cicatrices invisibles. Le cerveau humain n’est tout simplement pas fait pour assimiler autant de violence aussi rapidement.
Alors, pourquoi continue-t-on à regarder? Pourquoi ces vidéos fascinent-elles autant? Si certains y voient un moyen de comprendre l’inhumain, d’autres cherchent l’adrénaline ou se testent, question de voir jusqu’où ils peuvent aller. Il y a aussi une dimension communautaire puisque des forums ou groupes en ligne permettent aux gens de partager ces vidéos pour provoquer, choquer, ou tout simplement voir la réaction des autres. Le gore devient presque une monnaie d’échange pour affirmer sa résistance à l’horreur.
Le problème, c’est qu’on parle rarement des conséquences et dans la plupart des cas, on subit en silence puisqu’on hésite à en parler. Pourtant, cette souffrance est bien réelle, et il serait temps de l’étudier de plus près. Car si les vidéos morbides deviennent mainstream, il est urgent de comprendre les impacts psychologiques que cela peut avoir sur ceux qui les consomment.
Dans une société où tout est à portée de main, le contenu gore n’est plus réservé à une poignée d’initiés. Mais à quel prix? Peut-être qu’il est temps de poser la question : sommes-nous vraiment prêts à gérer ces images… et leurs conséquences?
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Ce reportage a été rendu possible grâce aux bourses d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).