Piler sur ses valeurs à la job, romanticiser sa vie et mourir à la fin de son marathon
Piler sur ses valeurs à la job, romanticiser sa vie et mourir à la fin de son marathon
Gab : romanticiser sa vie
Florence, je m’inquiète pour toi. Je t’ai vue manger ton lunch seule à ton bureau non pas une, mais deux fois cette semaine, et on est dans une semaine de 4 jours. Heureusement, j’ai une solution pour toi : pour pallier ta grande déprime, tu pourrais rendre ta vie plus romantique, ou, comme la tendance TikTok le dit en anglais, « romanticize ta life ».
Le concept est simple : tu prends les petits moments plates de ta vie et tu les rehausses. Ce soir, vas-tu souper devant ton ordi, triste et seule ? Non! Tu peux allumer une chandelle, mettre une nappe et te créer un moment beau moment à toi que tu pourras ensuite partager dans une story Instagram #lespetiteschoses
Les gens qui “romanticize” leur vie s’achètent un bouquet de fleurs au lieu d’attendre que quelqu’un leur en offre un. Ils et elles s’émerveillent devant la beauté de la couleur du ciel, ou devant une corde à linge pleine qui vire au vent. Sur TikTok, il y a une myriade de vidéos très esthétiques qui montrent plein de manières de rendre sa vie plus romantique avec des petits gestes simples comme marcher en forêt ou se faire une tasse de thé.
Bref, y’a une dimension très poétique ou même cinématographique à tout ça.
Ça fait environ trois ans que cette tendance-là roule sur les réseaux sociaux et elle n’est pas prête de s’essouffler. Mais j’aimerais avancer que c’est une tendance moins nouvelle qu’on le pense. Moi, en voyant ça, je n’ai pas pu m’empêcher de penser au romantisme, un mouvement littéraire et artistique du XVIII-XIX siècle, qui s’opposait au siècle des Lumières, très rationnel et axé sur la science avec un grand S, pour plutôt se recentrer sur sur l’émotion et la sensibilité, mais aussi, tiens tiens, sur l’individualité.
Au lieu de rêver à un monde meilleur pour la collectivité, le mouvement était assez égocentrique et se centrait sur le ressenti personnel.
On ne peut peut-être pas guérir les bébés qui meurent en Palestine, mais on peut se mettre à moitié la tête dans le sable en allumant une chandelle à la lavande.
Ma question, c’est : est-ce que ça change vraiment quelque chose ? C’est tu utile ou pas ?
Honnêtement, je pense que oui. C’est peut-être une réponse au climat politique angoissant ou à notre saturation des nouvelles tristes.
Le romantisme a toujours servi à ça : fuir la société pour se réfugier dans l’imaginaire, et peut-être qu’en ce moment, on en a vraiment besoin.
Flo : l’ambition morale
Gab, moi cette semaine, je voulais te parler d’une crotte que j’ai sur le cœur. Pour ce faire, il faut que je te raconte une histoire qui finit bien mais elle commence mal.
Il était une fois, moi, Florence, 20 ans et étudiante à l’université McGill. McGill, c’est une université que j’avais choisie en me pensant fucking bonne et dans l’espoir de faire quelque chose de noble malgré le fait que je faisais toujours bien yink un « bac en job », c’est-à-dire un bac en admin. Fidèle à la fille rongée par l’anxiété de performance que je suis, j’ai d’excellentes notes, mon père est fier et je suis vouée à un avenir prometteur. Le seul souci : je le sais pas, ce que je veux faire de ma vie. C’est alors que se dresse devant moi le Triangle des Bermudes du talent de ceux et celles qui n’ont pas fait sciences nat : la finance, le conseil et le droit commercial. L’heureuse élue : une firme de conseil qui enrichit des pétrolières à coup de PowerPoint qui finit par sucer 3 ans de ma vie. Pourtant, je le jure : j’avais des convictions. Je sais juste pas je les ai mis où pendant ces 3 années-là. Pis ça, c’est une trajectoire plutôt typique des jeunes personnes privilégiées et brillantes.
Ça fait que quand j’ai entendu l’historien Rutger Bergman (qui est un peu viral ces temps-ci) parler du concept d’ambition morale, je me suis dit : hey, je me serais peut-être évité un burn-out pis une crise existentielle à 25 ans si on m’en avait parlé plus tôt.
L’ambition morale, selon Bergman qui a écrit un livre sur le sujet, c’est essentiellement de joindre l’idéalisme d’un activiste à la drive d’un entrepreneur pour investir le peu de temps qu’on a sur Terre pour contribuer au bien collectif. C’est quétaine, mais aussi un peu tellement évident, pis y’a de quoi se demander : bin pourquoi c’est pas déjà ça? Bin jugement, sa thèse, c’est qu’on a un peu collectivement accordé du statut aux mauvaises job, c’est-à-dire celles qui ont peu de valeur sociale. Résultat, beaucoup de talent est gaspillé dans le monde corpo.
Bref, c’est pour ça, qu’on a tous un ami qui était carré rouge mais qui a fini chez McKinsey. La bonne nouvelle, c’est que selon Bergman, ça s’apprend, l’ambition morale, et que plus tu le fais plus t’as envie de le faire (pis pas juste comme hobbie là, comme vocation!).