Le « ugly privilege », les faux traumas familiaux et les élections américaines
Le « ugly privilege », les faux traumas familiaux et les élections américaines
Saison 1 | Épisode #5
Cette semaine, Flo s’intéresse au « pretty privilege » récemment acquis d’Andrée-Anne Frappier, une Québécoise dont l’histoire est virale sur TikTok, Gab se demande si on est pas en train de s’inventer des traumas familiaux, et elles invitent leur collègue journaliste Malia Kounkou à leur parler de sa virée sur des campus américains, à l’aube des élections.
Florence : 💅 Pretty privilege
Gab, As-tu vu passer l’histoire d’Andrée-Anne Frappier sur TikTok?
C’est une Québécoise de 37 ans qui est atteinte d’une maladie rare, qui s’appelle la sclérodermie, et qui fait en sorte qu’elle a, notamment, une dentition super mal en point et assez proéminente, à un point tel qu’elle raconte, sur sa page TikTok, se faire constamment regarder tout croche, recevoir des moqueries qui minent sa santé mentale, et celle de ses enfants, et même aller jusqu’à souvent se « cacher » dans sa maison (ce sont ses mots). C’est tellement triste, ça a même pas rapport.
Elle a lancé un cri du coeur, le 6 juillet dernier, en organisant un GoFundMe qui avait pour objectif de l’aider à financer une opération dentaire de 50 000$ (qui n’est pas couverte, parce que c’est considéré comme une intervention esthétique. C’est un peu scandaleux).
Eh bin elle a atteint son objectif grâce à ses vidéos TikTok qui ont fait des millions de vues, et le 3 octobre dernier, elle a subit l’opération, qui l’a complètement transformée. Les dernières images d’elles qui sont parues sont hallucinantes : on est passé de quelqu’un qui (je la cite) avait « peur d’exister », à littéralement une super belle femme. Elle est un peu méconnaissable.
Moi, en regardant tout ça aller, je me suis dit : wow, y’a quand même peu de gens, qui font un aussi gros bond sur le spectre de la beauté dans vie, et cette fille-là va naviguer dans le monde d’une façon totalement nouvelle. Et ça, ça m’a fait réfléchir sur à quel point être belle ou beau c’est un game changer dans une vie.
Tu connais sûrement le « pretty privilege » Gab : c’est tous les avantages pas juste relationnels, mais aussi professionnels, financiers, moraux, et j’en passe, qu’ont les personnes qui collent aux standards de beauté.
Y’en a plein, des études qui ont révélé que les personnes « belles » (entre guillemets) ont plus d’amis, de partenaires amoureux, de chances de se marier, d’avoir des enfants, ont de meilleurs revenus, plus de diplômes… C’est pas drôle, une de ces études-là, de l’Université d’Arizona, qui a été publiée cet été, a démontré que les personnes dont le visage est moins « beau » mourraient plus jeunes.
Mais il y a aussi des désavantages à être beau ou belle dans notre société : même si on a vraiment de la misère à avoir pitié pour ces personnes-là, parce que souvent elles nous confrontent à nos propres complexes, les personnes belles sont souvent réduites à leur apparence, ont tendances à avoir des insécurités quant à leur compétences ou qualités de peur d’être utilisées dans toutes sortes de contexte pour attirer l’attention.
C’est pourquoi je jugeais intéressant, aujourd’hui, et pour toutes les personnes qui n’ont pas été bénies par les Dieux de la face (ou n’ont pas la crowd TikTok d’Andrée-Anne Frappier), de s’intéresser au « ugly privilege », et ça, c’est la chance qu’ont les personnes qui ne correspondent pas aux standards de beauté, de ne pas se faire objectiver, catcaller et ramener trop souvent à leur apparence physique. J’ai trouvé plein de témoignages, sur TikTok, tellement et intéressants, et presque choquants, de personnes qui se considèrent « ugly » et qui jugent qu’elles ont peut-être des relations plus sincères parce qu’elles ne sont pas le crush potentiel de tout le monde.
Tout ça pour dire que peut-être que l’idéal, c’est d’avoir le « average privilege », qui est celui de se trouver assez cute pour ne pas s’autocoller le tag « ugly », mais pas assez pour avoir l’impression qu’être belle, c’est son identité. J’ai une pensée pour Andrée-Anne Frappier : je me mets à sa place, et je sais pas si je me réjouirait ou si je serais un peu dégoûtée des mes nouveaux privilèges.
Gabrielle : 😵💫 les traumas familiaux inventés
La semaine dernière, je suis tombée sur une vidéo TikTok où on voyait deux enfants en bas âge jouer dans le salon de la maison familiale. Par-dessus cette vidéo en apparence très ordinaire, on pouvait lire : « Je brise enfin un cycle de trauma générationnel familial » #livingroomfamily.
Wow.
Cette vidéo-là m’a plongée dans un méchant bon vortex de contenu où j’ai tout appris sur les « living room family », donc les « familles de salon », ces familles qui chillent tous ensemble dans les espaces communs. Les « familles de salon » s’opposent aux « familles de chambres », où tout le monde se sépare dans ses quartiers après souper.
Les nombreuses personnes qui ont partagé leur expérience sous le mot-clic, qui sont sans surprise majoritairement des mères, mentionnent toutes leur fierté d’avoir une « living room family ». Certaines d’entre elles expliquent que durant leur enfance, elles ne se sentaient pas à l’aise de passer du temps dans le salon avec leurs parents, ce qui les forçaient à se retirer dans leur chambre le soir et les fins de semaine.
Là c’est sûr, on peut comprendre que dans certaines familles avec des problèmes de violence domestique, par exemple, les enfants ne se sentent pas en sécurité dans les espaces communs.
Par contre, c’est-tu moi ou l’équation « living room family » = bon parent est assez simpliste ? Est-ce qu’on ne serait pas en train de mélanger famille introvertie et trauma générationnel ? En gros, on est-tu en train de s’inventer des traumas avec un hashtag ?
Aussi, est-ce que d’adopter une dynamique familiale différente de celle de ses parents, c’est vraiment briser un cycle de trauma ? J’ai l’impression que parfois, quand on a des enfants, on ressent un certain malaise avec le fait de ne pas reproduire ce que nos parents nous ont offert, comme si en faisant les choses différemment d’eux, on les insulte ou on les critique, alors que parfois, on a souvent juste des besoins et des réalités différentes.
Sur TikTok, plusieurs termes et buzzwords ont été créés pour critiquer des schémas familiaux qui me semblent assez normcore. Il y a quelques mois, on parlait beaucoup du « Ingrédient household », donc le « la maison à ingrédients», des familles qui n’ont pas de collations dans leur garde-manger. À la place d’avoir des craquelins, des Doritos ou des rouleaux aux fruits, elles ont plutôt des ingrédients sous la main, genre du beurre de pinottes, des pépites de chocolat ou des tranches de pain.
Oui, certaines familles ont des relations problématiques avec la nourriture et achètent pas de Dunkaroos par souci de contrôle et non par préférence personnelle, mais ça se pourrait-tu que pour certaines familles, ça soit juste que les collations, elles aiment pas ça tant que ça pis qu’un yogourt et une pomme, ça fait ben leur affaire ?
Au Québec, près de la moitié des parents (48 %) ont tendance à se mettre souvent ou très souvent de la pression concernant la façon dont ils s’occupent de leurs enfants.
Alors que l’anxiété de performance parentale préoccupe de plus en plus les parents québécois, je me demande si ces tendances-là ne sont pas en train d’ajouter une pierre à l’édifice de l’anxiété parentale, ou si elles nous aident pas plutôt à réfléchir à la dynamique familiale qu’on a envie de léguer à nos enfants.