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Zoom sur nos amitiés pandémiques

Confidences sur une année de montagnes russes amicales.

Par
Laïma A. Gérald
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« L’amitié, c’est le plus beau pays » chantait Céline Dion.

Les amitiés d’enfance, les amitiés perdues, celles qui sont nées dans la file des toilettes d’un bar, les amitiés jeunes et fulgurantes, les chums de gars, les chums de filles, les chums de brosse: les ami.e.s se suivent mais ne se ressemblent pas.

Depuis un an, au fil des marches et des (maudits) apéros Zoom, certaines de nos amitiés en ont pris pour leur rhume. D’autres ont vu le jour en DM sur les réseaux sociaux, se sont consolidées ou sont tombées dans les craques du plancher.

Quatre personnes nous ont confié comment la pandémie a influencé leurs amitiés, pour le meilleur et pour le pire.

La fin des amitiés de party

« Dans ma vie, je mets vraiment beaucoup d’énergie à entretenir mes amitiés, lance d’emblée Martin*, un papa de 38 ans, en couple depuis longtemps. J’ai quelques ami.e.s proches, mais j’ai aussi beaucoup d’ami.e.s de 5 à 7, des ami.e.s de party, beaucoup de partners d’activités sociales. Et ce sont des gens que je vois très, très souvent en temps normal. J’ai un rapport presque adolescent à l’amitié, je pense ».

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Quand la pandémie a éclaté, Martin s’est senti désorienté sur le plan social. « Comme bien des gens, j’avais besoin de connecter avec le monde, de prendre des nouvelles. Je suis un gars qui appelle beaucoup les gens » explique le trentenaire, qui qualifie la crise sanitaire de véritable néant social.

«J’aurais aimé que les gens prennent des nouvelles de moi, autant que j’essayais de prendre des leurs.»

Après plusieurs propositions de marches, d’apéro au parc et de 5@7 de balcon qui n’ont pas trouvé preneur.euse.s, Martin a dû se rendre à l’évidence. « Je suis peut-être un peu drama queen, mais je réalise que je le prenais personnel que les gens ne veuillent pas me voir. J’aurais aimé que les gens prennent des nouvelles de moi, autant que j’essayais de prendre des leurs. Je sais bien que les gens se sont regroupés en bulle, mais ça a affecté mon égo, j’ai trouvé ça très difficile et j’ai ressenti de la frustration. » avoue-t-il, en ajoutant que ces sentiments négatifs se sont transformés en quelque chose de constructif avec le temps.

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En effet, la blessure d’orgueil a fait place à une forme de tri, de ménage. « J’ai réalisé que je mettais beaucoup (trop?) d’énergie dans des amitiés qui n’en valent peut-être pas la peine. Je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin d’avoir 300 ami.e.s, et que la qualité est plus importante que la quantité. »

Les amitiés-poussière et les amitiés-fleurs

« Dans mon cas, il y a deux cas de figure qui ont émergé dans la dernière année, remarque Andréanne, une trentenaire qui travaille dans le milieu des médias. Tout d’abord, il y a les amitiés qui ont souffert. Je pense notamment à ma relation avec ma coloc. C’est une amitié de plusieurs années qui finit en poussière. »

«avec le confinement, ces amitiés naissantes ne peuvent pas encore se vivre à leur plein potentiel. Elles ont hâte au déconfinement pour pouvoir fleurir»

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En France, l’étude Personne ne bouge : Une enquête sur le confinement du printemps 2020 (récemment relayée dans L’Actualité), révèle que « un répondant sur six affirme que ses liens se sont dégradés, et la catégorie la plus écorchée, ce sont les amitiés (30,4 %), suivies de près par la famille proche (29,1 %) ». Les expériences d’Andréanne et Martin, qui ont vu des relations d’amitié se dégrader et même s’éteindre, ne sont donc pas des cas isolés.

« Il y a aussi des amitiés qui sont nées, qui ont éclos, et qui attendent juste de pouvoir s’exprimer, confie la trentenaire, qui a fait plusieurs belles rencontres virtuelles dans la dernière année. Je pense à deux femmes en particulier. Ce sont des personnes qui étaient dans mon cercle plus éloigné, et la pandémie a fait que l’on s’est progressivement mises à s’écrire sur les réseaux sociaux, presque quotidiennement. Mais avec le confinement, ces amitiés naissantes ne peuvent pas encore se vivre à leur plein potentiel. Elles ont hâte au déconfinement pour pouvoir fleurir ».

«ce sont peut-être des amitiés pérennes qui ressortiront de tout ça, et j’ai très hâte de les découvrir»

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Andréanne, qui avoue avoir hâte de boire des Spritz sur son balcon avec ses nouvelles amies, est très optimiste face à ces relations pleines de promesses. « Pour traverser cette période difficile, je me suis naturellement tournée vers des personnes qui me ressemblent, avec qui je semble partager des intérêts, des valeurs, des goûts. On a appris à se connaître lentement, à travers nos story, les memes qu’on s’envoyait, nos échanges, nos messages. Ce sont peut-être des amitiés pérennes qui ressortiront de tout ça, et j’ai très hâte de les découvrir ».

La grande pause

« J’ai vécu à l’étranger pendant 10 ans, donc quand je suis rentré au Québec en 2015, mon cercle social était assez restreint, explique Jean-François, un jeune quarantenaire aujourd’hui établie à Montréal et dont les ami.e.s les plus intimes vivent à l’extérieur du pays. Peu de temps après mon retour, j’ai rencontré ma blonde, et elle est naturellement devenue le coeur de ma vie sociale ».

«Mars 2020. Pandémie. Confinement. Distanciation sociale. Pas le meilleur timing pour se faire des nouveaux BFF. La pandémie m’a freiné dans mon élan»

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Jean-François, qui par la force des choses s’est rapproché des ami.e.s de sa copine, a cependant ressenti le besoin de développer ses propres amitiés. « C’est vraiment pas évident de se faire des nouveaux ami.e.s passé un certain âge, constate-t-il. Au début de l’année 2020, je voulais vraiment faire des efforts concrets pour rencontrer de nouvelles personnes. J’ai été prendre des bières avec des gens de cercles un peu plus éloignés, avec une résolution claire de développer de nouvelles amitiés ».

Mars 2020. Pandémie. Confinement. Distanciation sociale. Pas le meilleur timing pour se faire des nouveaux BFF. « La pandémie est venue me freiner dans mon élan, se remémore Jean-François, qui se considère comme un ami fidèle, qui butine peu. Dans la dernière année, j’ai plutôt approfondi mes relations déjà existantes. J’ai beaucoup correspondu avec mes deux meilleures amies qui vivent à l’étranger, et j’ai continué de développer mes relations avec deux de mes cousins, que je considère comme des amis. Je me suis recentré sur mes acquis .»

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Jean-François, pour qui la pandémie aura provoqué une réflexion sur son besoin de communauté, compte reprendre son exploration de nouvelles amitiés, dès que les mesures le lui permettront.

« Faut que je trouve ma crew »

Laurence, qui vient de souffler sa 33e bougie, a vécu le premier confinement très durement. « En mars 2020, j’ai crashé assez vite, confie la jeune travailleuse autonome, précisant du même coup qu’elle est célibataire, vit seule et entretient peu de liens avec sa famille. « Quand je ne vais pas bien, j’ai tendance à m’isoler, mais je sais aussi que ce n’est pas bon pour ma santé mentale. La pandémie rendait évidemment les contacts humains assez complexes, donc je me suis vite dit que je devais adapter mon système de soutien social. Il fallait que je trouve ma crew. »

«Mes ami.e.s parents en télétravail avec des enfants à la maison devaient envier ma solitude»

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Mais ça n’a pas été de tout repos et cela a comporté son lot de défis. « Tout le monde vivait et vit toujours la pandémie différemment et a des enjeux avec lesquels dealer, remarque celle qui a rapidement souffert de la solitude. Par exemple, mes ami.e.s parents en télétravail avec des enfants à la maison devaient envier ma solitude. Certains chialaient même sur les personnes confinées seules qui trouvaient ça tough. Et je comprends, dans un sens… C’est comme si personne ne comprenait réellement les défis des autres, et le clash était trop grand pour être capable de se soutenir moralement. »

Laurence avoue même avoir « masqué » certaines personnes des réseaux sociaux, car le simple fait d’être exposée en permanence à la réalité des autres affectait son moral. « J’avais pas envie de ressentir de la jalousie, ou de me comparer. Ça ne me faisait pas du bien et il fallait plutôt que je garde cette énergie-là pour prendre soin de moi » ajoute-t-elle.

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Pour toutes ces raisons, Laurence affirme s’être naturellement « rapprochée » (virtuellement et à deux mètres de distance), de gens qui vivaient une situation similaire à la sienne. En effet, elle explique avoir trouvé plus de réconfort et d’empathie chez ses ami.e.s et ses connaissances qui partageaient sa réalité. « Je me rends compte que les gens à qui j’ai le plus parlé et écrit dans la dernière année, ce sont les personnes seules, qui travaillent de la maison ou qui ont perdu leur emploi, et qui se sentent isolées, témoigne Laurence, qui décrit sa sphère sociale pandémique comme un safe space nécessaire à son bien-être et sa santé mentale. Ça m’a aussi permis d’approfondir et de découvrir de nouvelles amitiés avec des gens qui me comprennent et que je comprends en retour. »

«J’ai trouvé plus de réconfort et d’empathie chez mes ami.e.s et mes connaissances qui partageaient ma réalité.»

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Est-ce que ces nouvelles amitiés survivront à la crise? Seul l’avenir le dira. « Je suis d’avis que tout est dans l’équilibre, nous dit Laurence. Ces relations fonctionnent et trouvent du sens dans le contexte actuel. Quand (et si) tout reviendra à la « normale », on verra comment ces relations se transformeront. »

Au moment de transcrire les propos de Laurence, j’ai une douce pensée pour mes ami.e.s proches et plus lointains, qui me manquent terriblement. Parce que comme le chantait Françoise Hardy, les ami.e.s sincères, c’est « la plus belle saison des quatre de la terre. »

*Tous les prénoms des personnes qui témoignent ont été changés.