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L’autre soir, le Fils pis moé, on était collés. Sous sa couette. C’tait le moment du on-se-parle-de-ta-journée. Y’était moins jasant que d’habitude. Keke chose, manifestement, lui gossait l’idée. Ça le rendait ver de terre de sa personne, y se tortillait, roulait d’un bord pis de l’autre, se perdait dans ses phrases et avait la chronologie des événements plutôt douteuse.
À un moment donné, une mère se tanne :
Maman : « C’que t’as donc, mon poulet? »
Fils : « Rien. »
Maman : « Arrrrête. Je te connais, t’sais. Même que je t’ai fait.»
Fils : « Je faisais-tu pipi, dans ton ventre? »
Maman : « Oui. Tu faisais ça. »
Fils : « Est-ce que ça remontait jusque dans ta bouche? »
Maman : « Naon. Ça faisait pas ça. Ark-eu. Je faisais pipi ton pipi avec mon pipi. Genre.»
Fils : « Meuh? » [suivi d’un éclat de rire qui me laisse croire que c’est le fait biologique le plus drôle du monde] Maman : « On dévie, là. C’que t’as donc? »
Fils : « C’parce que… té vieux. »
Maman : « Ben là, non. Plus que toi, ok, mais je ne suis pas vieille. C’est quoi être vieux? Avoir des cheveux blancs? Des…»
Fils : « T’en as. »
Maman : [regard plat] « C’pas parce que je suis vieille, c’est parce que c’est de même. Mais on dévie. Encore. Pourquoi ça va pas? »
Fils : “C’est [kekun] qui a dit que c’tait ta fête pis que tu es vieux quand c’est ta fête”.
Maman : « Ben, c’est pas faux. On vieillit quand c’est notre fête. Toissi tu deviens plus vieux, à chaque année. À chaque instant qui passe, en fait.»
Fils : « NOOOOOOOOOOOON. Je reste pas vieux.»
Maman : « Ok, ok. Mais pourquoi tu réagis de même? »
Fils : « Parce que ça me rend triste que tu sois vieux. »
Maman : « Pourquoi? »
Fils : « Parce que ça me fait de la peine. »
Maman : « Mon chéri. C’parce que j’aimerais comprendre la raison pour laquelle ça te fait de la peine. »
Fils : [se tourne de bord, mais reste ben collé, y fait silence quelques secondes] « C’parce que quand on est vieux, on meurt. Comme Basile [notre chat-de-marde, mort il y a un an]. »
[Pis là, y se retourne, y’a une lippe pis des graosses larmes qui déboulent de ses yeux pis peu importe la raison rationnelle qui se préparait dans ma tête, c’est ça que je lui garroche, des mots doudou-chaude-sortie-de-la-sécheuse :
« Maman, ne va pas mourir. Jamais-jamais. » [c’est pile là où j’ai senti le stu-viens-de-dire-là-dont qui me crissait une claque en arrière de la tête]
J’ai de la misère à lui faire croire au Père Nowel, à chaque fois qu’il attribue de la magie à un phénomène, je lui réponds que ça s’explique scientifiquement, je casse le faux même le beau faux à grands coups de réel, à chaque fois que je le peux. Plate de même. Mais faut pas s’inquiéter, le faux, à cet âge, c’est full résilience, ça renaît de la cendre aussi vite que la rationalité a fini de ponctuer son énoncé.
Sauf que là. Je ne sais pas si c’est sa bouche tremblante, sa panique, l’ensemble du toute, mais je ne pouvais pas lui dire la vérité. Ça se tempère ben mal, la mort, l’absence. Même des « plus tard », « un jour quand tu seras rendu grand » [ou demain par un char, on ne sait pas], c’trop flou. Pis là, le Fils, il avait tellement besoin de certain. Il a déjà failli la perdre une fois, sa mère, il s’en souvient des semaines où elle était à l’hôpital, des semaines avant cela où elle n’était pas tout à fait elle-même. Il ne la voit pas à tous les jours, non plus, sa mère. Fa’que oui, l’absence, déjà, elle lui pèse. Fa’que t’sais.
J’ai menti.
Mais c’t’un mensonge que je souhaiterais dont vrai. La première fois que je l’ai tenu dans mes bras, je lui ai inspiré l’odeur, y sentait la vanille [je ne m’attendais pas à ça pantoute que mon dedans corps y sente le gâteau], pis ce qui m’a pris c’t’une nécessité d’immortalité. C’est par sa venue au monde à lui que je me suis sentie, pour la première fois, réellement inscrite dans le temps. J’ai vu une fin. Chu pas innocente, je le savais avant que la mort allait ben venir, mais là, elle est devenue un point visible. Qui n’avait pas le droit d’être parce que y’avait lui qui s’existait, là.
Le Fils pis moé, on va être dans le déni, pendant un moment. On va se faire accroire que les guimauves poussent réellement dans les champs (le foin, en tas, sous des housses blanches…), que le soir, le ciel, yé plein de lave quand il est orange pis que j’ai des pouvoirs de ninja (il a remisé son sens Jedi dans le garde-robe. Momentanément, je précise.) qui vont empêcher la mort de venir me prendre. Faux de même.
Je vais vivre avec ma contradiction interne.