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Youtubeuses « true crime » : et les familles des victimes dans tout ça?

Les youtubeuses true crime sont-elles le nouveau Allô Police? Partie 2

Par
Constance Cazzaniga
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Dans un texte précédent, j’ai voulu explorer une question qui me taraudait depuis quelque temps : les youtubeuses true crime (ce sont le plus souvent des femmes) sont-elles le nouveau Allô Police? Avec Stéphane Luce, fondateur de Meurtres et disparitions irrésolus du Québec (MIDQ), et Victoria Charlton, prolifique youtubeuse true crime, ma question a évolué. Les youtubeuses true crime ne sont pas le nouveau Allô Police, c’est devenu assez clair dans mon esprit.

N’empêche, ma comparaison de base n’est pas complètement illusoire, puisqu’il s’agit de deux façons de médiatiser une affaire criminelle. Deux façons très différentes, certes, mais qui m’amènent à me poser une nouvelle question : quelles répercussions le traitement médiatique d’un meurtre ou d’une disparition peut avoir sur les familles des victimes.

Stéphane Luce a même dû intervenir avec la police pour faire retirer une vidéo d’une youtubeuse française qui avait interviewé un quidam prétendant avoir passé plusieurs jours avec une victime avant sa disparition.

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Dans le meilleur des cas, une vidéo YouTube qui couvre une affaire criminelle serait approuvée par les proches de la victime, s’en tiendrait aux faits sans commettre d’erreur et proposerait un traitement respectueux. Ça semble être la base et plusieurs font leur boulot à merveille en suivant ces quelques règles, mais pas tout le monde. Cet hiver, Stéphane Luce a même dû intervenir avec la police pour faire retirer une vidéo d’une youtubeuse française qui avait interviewé un quidam prétendant avoir passé plusieurs jours avec une victime avant sa disparition – un récit tissé de mensonges, selon les enquêteurs, et une vidéo qui a mis la famille dans tous ses états.

Heureusement, elle n’a pas vraiment circulé au Québec, où la disparition a eu lieu et a été fort médiatisée. Si ça avait été le cas, ça aurait pu sérieusement nuire à l’enquête, m’explique le fondateur de MIDQ : « Mettons que 50 000 personnes entendent ça et sont au courant de l’affaire, tout le monde change de traque, jusqu’à tant que ça soit démenti. Mais il en reste une bonne partie qui continue à croire ce qu’ils ont vu ou entendu, et c’est ça qui est dangereux, parce qu’ils vont continuer à en parler. Ça change tous les ragots, et ça, ça doit faire plaisir au coupable. La personne qui a fait le crime doit trouver ça drôle pas à peu près. »

«Nous, ce qu’on fait chez MDIQ, c’est pas nous rendre intéressants, c’est rendre la victime intéressante et sensibiliser la population»

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« Ça arrive souvent [que je reçoive des messages de gens qui se présentent comme] un ami de la victime et ils me demandent d’en parler ou me donnent une information. Je vais leur dire de d’abord en parler aux parents ou à un autre proche », raconte la youtubeuse Victoria Charlton. De son propre aveu, elle a commencé dans le milieu avec une certaine naïveté, mais elle a gagné en maturité avec le temps et, aujourd’hui, elle donne beaucoup de visibilité aux victimes. « J’ai évolué là-dedans. Là, je suis en contact direct avec les familles, j’en ai vu des histoires passer. […] Si je parle, par exemple, du cas JonBenet Ramsey, je dois être la 600e à en parler, je ne vais rien amener, ça ne va rien changer que j’en parle sur ma chaîne, je ne vais pas donner de la visibilité à l’affaire, mes abonnés ne vont pas aider à la résoudre. »

Une vision qui se retrouve dans le traitement que préconise Stéphane Luce : « En tentant de rendre une vidéo plus intéressante, plus poignante, on sort un peu de l’idée de rendre service à la famille. Là, je pense qu’on veut se rendre service à soi-même. Nous, ce qu’on fait chez MDIQ, c’est pas nous rendre intéressants, c’est rendre la victime intéressante et sensibiliser la population. C’est ça le message qu’on veut passer et ça devrait être ça le message d’un youtubeur. »

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Les titres accrocheurs et la diffusion d’images sensibles sont le pain quotidien de bien des gens sur YouTube, tout comme d’un journal comme feu Allô Police. « Ça te tente-tu de voir le cadavre de ta mère partout sur internet? », lance Victoria, qui ne diffuse généralement pas de photos de scènes de crime ni ne partage des détails particulièrement sordides de meurtres.

« C’est sûr que quand [les journalistes] étaient capables d’entrer dans la pièce et de photographier la victime, qu’ils entendaient les policiers discuter et qu’ils parlaient aux voisins, là, ils étaient capables de faire une histoire étoffée, et je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui ça passerait. Moi, j’aurais trouvé ça difficile », admet Stéphane Luce, qui s’estime chanceux de ne pas avoir vu le corps de sa mère dans les pages du média, au début des années 80.

Il faut «essayer de pas tomber dans le sensationnalisme et dans le click bait», propose Victoria.

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« Les titres sont toujours accrocheurs, avec ‘’maniaque sexuel’’ en gros, mais c’était ça, c’était un journal à sensation et ça a d’ailleurs encore sa clientèle », ajoute-t-il. Je lui donne comme exemple une page couverture de 1967, où l’on voit Denise Picard, 17 ans, sous un titre qui ne prend aucun détour : « VIOLÉE APRÈS SA MORT ». « Si la victime a été violée après sa mort, c’est vrai. C’est une réalité que la famille sait déjà. On n’était pas obligé de le dire, mais il n’en demeure pas moins que c’est un fait, et c’est tellement dégueulasse que ça vaut la peine d’être dit. C’est sûr qu’écrit de même, en gros… ça aurait pu être écrit dans le texte », analyse Stéphane.

Il faut « essayer de pas tomber dans le sensationnalisme et dans le click bait », propose quant à elle Victoria, qui admet tout de même que ce n’est pas évident, étant donné qu’il s’agit d’une monnaie courante sur le web et qu’il faut savoir s’y démarquer.

le Allô Police avait un gros avantage sur le web : la section des commentaires était inexistante.

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Au final, même si le Allô Police et les chaînes YouTube de true crime sont séparés par une bonne quinzaine d’années et même si le true crime et les faits divers ne sont pas tout à fait pareils, ils font face aux mêmes limites : leur traitement des affaires, qui fait souvent leur signature et leur succès, est aussi ce qui peut faire le plus mal aux proches des victimes. Mais le Allô Police avait un gros avantage sur le web : la section des commentaires était inexistante. Au-delà des faussetés qui peuvent être véhiculées, des méthodes qui peuvent manquer d’empathie et du sensationnalisme dont il est difficile de s’échapper, c’est l’opinion du public qui est vraiment dommageable.

« D’écrire “first” quand je parle d’un viol ou d’un meurtre, ou “t’es belle”, c’est de mauvais goût. De soupçonner des gens ou de les accuser, c’est de mauvais goût. Mais c’est partout. Tu regardes un article du Journal de Montréal sur un meurtre et les commentaires, c’est la même chose », me dit Victoria.

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Stéphane Luce confirme : « Si la youtubeuse a mal approché le cas, ça, c’est une chose, mais des fois, le public est très, très, très dur à l’endroit des victimes. Il y en a qui vont pousser jusqu’à dire qu’elle le méritait. C’est le public qu’on veut atteindre, et là on a la réponse du public, et quand elle est franchement dure, c’est difficile à encaisser. »

Alors gardez l’œil ouvert, fermez vos portes à clé et tournez la langue sept fois avant de commenter une affaire criminelle.