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Y’a du ketchup su ta blouse

Par
Jonathan Roberge
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Un mélange d’odeurs de combines humides pis de steamés remplissait le hall d’entrée de l’aréna où j’allais faire aiguiser mes patins avant d’aller y jouer ma première partie dans ma nouvelle ligue de garage. J’arrive dans le proshop.

Proshop : Nom masculin désignant l’endroit où l’on peut acheter un jackstrap, des rondelles des Nordiques pis une paire d’épaulettes usagées jaunies par la sueur d’un autre dude.

Pendant que je regardais ces artefacts qui allaient faire de moi un Maurice Richard en plus gras, le « vendeur » avec une casquette des Roadrunners, l’équipe de rollerhockey, m’approche et me dit :

« Jo Roberge! Ben voyons, donc! Fais longtemps man! Comment tu vas?! »

Je le fixe quelques secondes avec un léger sourire d’épais. Tsé, le genre de sourire qui veut dire :

« T’es qui toé, crisse?… Ta face me dit de quoi… AH! OUI! DAVE! »

Dave était le gars cool de mon école secondaire, celui avec un beau snowboard quand on faisait des sorties « classe neige ». Y’avait un discman anti choc de 8 secondes dans lequel il écoutait du Limp Bizkit. Ses parents étaient riches et il était le premier à avoir un scooter.

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Scooter : nom masculin désignant un objet qui, en banlieue, est cool à posséder à l’adolescence, mais pu pentoute cool une fois adulte. Ce qui est totalement l’inverse en ville.

Au secondaire, Dave avait gagné la loterie de la puberté. Celle qui te donne une mâchoire carrée, des pectoraux pis de la barbe avant même que les autres morveux aient rasé leur stache de duvet. Quand il jouait au basket, Dave tenait le ballon à l’envers d’une seule main. C’était le seul gars capable de faire ça dans le cours « d’éduc ». Les gars, on était jaloux et les filles trippaient sur ses longs doigts.

Dans les douches de la polyvalente, Dave n’avait aucune pudeur. Un peu comme les petits vieux qui se sèchent les parties génitales en dessous du sèche-mains à la piscine. Les personnes âgées ont cette caractéristique particulière de pouvoir rester à poil l’un en face de l’autre en jasant de n’importe quoi sans que ça ne les dérange. C’est fascinant.

Moi pis les autres de la horde des voix non muées, on se promenait en serviette. Pas parce qu’on avait de la classe, nous étions gênés et c’était compréhensible.

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Dave avait un pénis de pornstar. On ne regardait pas le pénis de Dave, NON! Le pénis de Dave nous regardait! Aucun gars n’osera l’avouer, mais dans les vestiaires, on spot la graine des autres. Pas par contemplation, mais plutôt par contrôle d’estime…

Dave avait bien beau avoir été le gars hot de mon école avec une pine dans le sourcil qui lançait ses restants de lunch en arrière de la tête du monde dans l’autobus pis un band hommage à Korn, aujourd’hui, il vend du « tape à palette » pis des lacets!

Je suis le premier qui ne juge pas les gens par leur carrière. Nous ne pouvons jamais connaître l’histoire qui peut avoir poussé un individu à laver les cabines d’un cinéma XXX, à être concierge dans un zoo ou, bien pire, à être vendeur de poudre chimique à smoothies qui fait maigrir. Chacun fait ce qu’il peut et c’est ainsi.

Jamais, je n’avais eu ce sentiment en dedans de moi…

Celui d’avoir gagné sur quelqu’un! Gagné sur celui qui m’avait déjà câlissé un yogourt sur mon t-shirt de Weezer en revenant d’un voyage à Boston en sortie scolaire.

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Pendant qu’il aiguisait mes patins, je souriais par en dedans. Je me disais : « La vie, le karma et le destin… Ce ne sont pas que des mots qui sont utilisés à profusion dans des phrases de marde sur des photos de gros arbres perdus dans brume qu’on post sur Facebook…
Ça existe peut-être réellement… »

Et comme il me remettait mes patins, je lui ai dit avec mon air de gagnant :
« Pis toi, quoi de neuf? »

Ce que j’ai entendu m’a fait mal… J’suis tombé sur le cul. Quel con j’étais d’être satisfait du manque de réussite de Dave…

Il travaillait, aujourd’hui, dans un proshop pour remplacer l’un de ses 50 employés!
Il possède plusieurs magasins et des immeubles dans un quartier industriel!

LE TABARNAK!

Il s’est marié avec une super belle femme qui a repris une shape de déesse après leurs 2 enfants qu’il a conçus avec son super pénis! Il m’a montré une photo de sa petite famille sur SON CÂLISSE DE VOILIER!

J’ai pris mes patins, mon surplus de poids pis une poignée de peanuts au BBQ dans une machine à 25 cents pis j’ai quitté SON fucking commerce en fixant l’horizon pis en me mordant le dedans de la joue.

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Juste avant de sortir il m’a dit avec son petit crisse de sourire : « Roberge! »

Moi : « Quoi? »

« Tu as du Ketchup su ta blouse… »

J’avais échappé du ketchup en mangeant mon pâté chinois avant de m’en venir à l’aréna.

AVOIR DU KETCHUP SU TA BLOUSE : Suite de mots utilisés par un homme condescendant qui veut me rappeler que je l’avais jugé à tort pis que dans la vie y’aura toujours des gens meilleurs que moé.

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