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Quand on me sert en anglais, je réponds en français. Invariablement. Et qu’on ne touche pas à la Loi 101, j’y tiens. Au peu qu’elle nous protège, du moins. Mais c’est tout.
On m’a déjà vue plus militante que ça, remarquez. J’ai déjà fait la morale à l’unilingue anglophone de Montréal, milité dans une boutique parce qu’on m’avait dit «Hi may I help you», boycotté un dépanneur parce qu’on n’y parlait pas français.
Mais comme je supporte aussi mal l’étiquette de «francophone enragée» que celle de «lesbienne frustrée», je me suis un peu calmée.
Surtout, j’ai réalisé que l’apprentissage d’une langue étrangère était un défi à géométrie variable, et que, bien qu’on en fasse ici un enjeu national, ça n’en demeure pas moins un défi rempli de facteurs très personnels.
J’ai travaillé pendant deux ans au très bilingue magazine enRoute, d’Air Canada, et j’y collabore toujours à l’occasion. Comme il s’agit d’un des meilleurs magazines au pays (pour de vrai, il gagne les prix les plus prestigieux de l’industrie), enRoute peut se permettre de puiser sa main d’œuvre d’un océan à l’autre et même, imaginez-vous, à l’extérieur du plus beau pays du monde. J’ai donc côtoyé l’anglophone à souhait.
enRoute étant un véritable pâté chinois linguistique, en fait, j’y ai côtoyé toutes sortes d’anglophones. Un indien ayant grandi à Côte Saint-Luc, une anglo au nom de famille francophone, un stagiaire torontois de passage, deux francophones mariés à des anglophones, leurs enfants seront probablement bilingues, des anglos nés à Montréal qui parlent moins bien français que des anglos arrivés l’an passé, une productrice anglo beaucoup trop timide pour s’essayer à la langue de Molière, et Andrea.
Je ne me souviens plus exactement d’où vient Andrea. D’Halifax ou de Calgary? Dans mes souvenirs, elle a habité dans presque toutes les provinces, et ça doit faire maintenant cinq ans qu’elle demeure au Québec. Andrea semble avoir pris un immense plaisir à apprendre le français. Chaque fois qu’elle avait un doute, avant d’envoyer un courriel, elle venait me voir : «Est-ce que c’est mieux de dire «Prière de me faire savoir si vous avez bien reçu le message» ou «Merci de me faire savoir si vous avez bien reçu le message»? Je lui apprenais alors la formule «Merci d’accuser réception».
Aujourd’hui, Andrea parle mieux le français que bien des Québécois. Il faut dire qu’elle est particulièrement douée pour la langue, et intéressée par l’apprentissage. Elle vient de compléter sa formation d’ostéopathe. C’est elle qui m’a fait comprendre qu’il ne servait à rien de s’énerver devant des anglos réfractaires à l’apprentissage du français, en caricaturant les francophones fâchés à qui elle a dû faire face. Elle me les imitait comme ça, en prenant sa grosse voix : «Vous, maudits anglophones qui veulent pas parler français!»
Honnêtement, je suis contente qu’on ne lui ait pas fait peur. Qu’on n’en ait pas perdu une.
Quand on engueule un méchant anglo paresseux qui ne veut pas faire l’effort d’apprendre notre langue, on aura beau avoir toutes les raisons idéologiques, identitaires, historiques ou coloniales du monde, pour l’anglo à qui l’on s’adresse, on a tout simplement l’air hostiles. Et c’est exactement l’idée que s’est faite des francophones Sherwin Tjia, le méchant unilingue anglophone installé à Montréal depuis huit ans interviewé à l’émission Daybreak portant sur le sujet. «Bon, là je vais recevoir des courriels haineux», a-t-il dit, en anglais, évidemment.
Et l’anglophone unilingue aura bien toutes les raisons du monde de ne pas apprendre le français (manque de temps, faute de formation, dyslexie, blocage émotif à l’enfance), je doute que ce soit en l’engueulant qu’on lui donnera le goût de s’intéresser à la langue française.
Je me suis imaginé le débat dans la cour d’école. Trois petits francophones, leur salopette de neige toute mouillée, la morve au nez et les yeux en larmes, rivés vers la maîtresse, pleurnichant en chœur : «Heille! Les deux anglos là-bas, y veulent pas parler not’langue!» Je sais pas pour la vôtre, mais ma maîtresse à moi nous aurait sûrement répondu «ben jouez pas avec eux».
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Je ne saurais conclure ce billet sans vous inviter à lire les excellents textes de mes collègues urbaniens Émilie Dubreuil et Pascal Henrard.