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Y a-t-il des anguilles cocaïnomanes dans le St-Laurent?

Et pourquoi on devrait s'en inquiéter.

Par
Marianne Desautels-Marissal
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En juin dernier, l’équipe d’une chercheuse italienne publiait une étude à propos de l’effet de la cocaïne sur les anguilles. Chez URBANIA, on s’est tout de suite inquiété pour les anguilles du Saint-Laurent : en plus d’être sérieusement menacées par les activités humaines, les soumet-on aussi à un cocktail de drogues ?

« La drogue, c’est mal, voyez », résumait le professeur Mackey à sa classe dans South Park. Il semble que ce sage constat s’applique aussi pour certains poissons, comme l’ont montré les travaux de la biologiste Anna Capaldo, chercheuse à l’Université de Naples – Frédéric II. Son équipe a fait subir tout un trip à des anguilles, qui ont vécu durant 50 jours dans une eau qui contenait 20 nanogrammes de coke par litre, une concentration comparable à celle que l’on retrouve dans plusieurs rivières autour du globe, et inférieure à certains cours d’eau à proximité de grandes villes, dont Londres.

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L’étude ne dit pas si les anguilles cokées accaparaient les conversations pour parler d’elles toute la soirée. L’article paru dans la revue Science of the Total Environment rapporte toutefois que comparés au groupe contrôle, les poissons drogués étaient hyperactifs et nageaient plus rapidement, comme on pouvait s’y attendre. Mais l’analyse de leurs organes a révélé qu’un tel dopage comporte plus d’effets secondaires que d’avantages compétitifs.

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Les muscles squelettiques des anguilles, des tissus vigoureux qui leur permettent de parcourir près de 6000 kilomètres (6000 km !!) pour aller se reproduire dans la mer des Sargasses, semblaient particulièrement affectés. Les fibres musculaires des anguilles exposées à la cocaïne se sont révélées enflées et endommagées, et la drogue a aussi perturbé leurs fonctions hormonales. Des effets délétères qui étaient toujours observables même après un séjour-détox de dix jours dans une eau exempte de stupéfiants.

Les fibres musculaires des anguilles exposées à la cocaïne se sont révélées enflées et endommagées, et la drogue a aussi perturbé leurs fonctions hormonales.

Or, les anguilles européennes sont assaillies de toute part depuis quelques décennies : la surpêche, les parasites, les contaminants, les changements climatiques et la fragmentation de leur habitat ont eu raison de plus de 90% de leur population. Le portrait n’est pas plus réjouissant de notre côté de l’Atlantique. Les anguilles qui passent des années dans le Saint-Laurent avant d’atteindre leur maturité sexuelle rencontrent aussi des barrages électriques sur leur route vers le sud, quand vient le temps d’aller se reproduire. Selon le biologiste Martin Castonguay, de l’Institut Maurice-Lamontagne, environ 50% des anguilles qui passent par des barrages comme celui de Beauharnois sont broyées dans les turbines, malgré l’installation de passes migratoires.

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À sa connaissance, l’effet de la cocaïne n’a encore jamais été étudié sur les anguilles d’ici: «Je ne sais pas si des résidus de cocaïne s’accumulent dans les tissus des anguilles d’Amérique, mais nous savons que d’autres contaminants peuvent avoir des effets toxiques, comme les enduits que l’on applique sur la coque des bateaux. Les contaminants sont accumulés dans les graisses, et quand les anguilles migrent vers la mer des Sargasses, elles comptent sur ces réserves de gras comme source d’énergie. Cette étude sur les effets de la cocaïne va peut-être stimuler des projets de recherche ici.»

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Viviane Yargeau, professeure en génie chimique à l’Université McGill, étudie les résidus de drogue des eaux usées depuis plusieurs années. Elle laisse entendre que la concentration utilisée dans l’expérience italienne pourrait refléter celle des cours d’eau canadiens : «Mon groupe n’a pas mesuré spécifiquement les concentrations dans le Saint-Laurent, mais nos travaux sur la rivière Grand, en Ontario, ont démontré des concentrations pouvant atteindre 20 ng/L. D’autres chercheurs dans diverses villes du monde ont aussi rapporté des concentrations de cet ordre de grandeur pour les eaux de surface.»

La journaliste Binh An Vu Van rapportait en 2015 que selon les analyses des eaux usées, la cocaïne semble être une drogue de prédilection pour les Québécois. Et comme personne ne semble vouloir écouter les conseils de M. Mackey ou de Ringo Rinfret, reste à espérer que des solutions plus efficaces de décontamination des eaux usées voient le jour !

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