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Ce texte est extrait du Spécial ANGLOS, disponible sur notre boutique en ligne

Que doit donc apprendre et comprendre, pour mieux l’assimiler, l’anglo récalcitrant, celui de souche westmontaise, s’il souhaite s’initier aux joies de la québécitude et se fondre un peu à la masse majoritaire? Le français, dites-vous, Non, le joual câlisse!

Voici une lointaine anecdote personnelle : Dans un bar branché où je n’avais jamais mis les pieds, l’ami anglo de l’amie d’un ami de mon ami, bref un parfait inconnu, étudiant à l’université McGill, m’entretenait à propos de ses écrivains favoris, de Samuel Beckett en particulier, dont il avait lu tous les « romans poches. »

Courtois, le jeune homme de lettres s’exprimait à moi en français, mais un français boiteux et laborieux; je ne saisissais de ses paroles qu’un mot sur deux. J’étais passablement pompette et j’avais mis du temps à comprendre qu’en évoquant les « romans poches » de Samuel Beckett, il voulait faire référence aux romans en format de poche. Ses propos n’avaient donc rien de désobligeant. Alors je l’avais gentiment invité à me parler en anglais pour éviter toute éventualité de confusion langagière. Nous avons donc poursuivi la conversation « en bilingue » au sujet de ce grand auteur irlandais qui, coïncidence insolite, a choisi le français pour écrire.

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N’importe quel Québécois francophone ou francophile sait pertinemment qu’un « roman poche » n’est pas nécessairement recommandable. Personne ailleurs qu’au Québec ne médira d’un roman, d’un film, d’une émission de télévision ou du dernier disque de Sylvain Cossette en arguant qu’il est poche. De la même manière, à moins d’être initié au « parler québécois », aucun anglophone, même s’il possède ses bases en français courant, ne comprendra ce qu’on veut dire exactement si on lui parle avec enthousiasme d’un roman ou d’un film écoeurant. Et il sera sans doute complètement dérouté si on lui raconte qu’on a crissé son camp au milieu d’un hostie de show plate.

Il ne s’agit plus, pour l’anglophone qui souhaite vraiment s’intégrer, d’apprendre les bases du français et de savoir dire « merci beaucoup », « ce mets est délicieux » ou « j’ai apprécié ce spectacle ». Il lui faut se débrouiller, en compagnie des pea soup, avec un dialecte complexe, un melting pot verbal où se mêlent ici et là des vocables archaïques et des anglicismes parfaitement récupérés : personne ailleurs qu’au Québec ne sait ce que c’est que de branler dans le manche, expression probablement bûcheronne qui en dit long sur notre passé de colons. Si l’anglo souhaite vraiment s’imprégner et se pénétrer de « culture québ’ », il lui faudra, forcément, maîtriser quelques rudiments du joual. Sinon, y va spinner dans le beurre longtemps, pis pas à peu près.

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La chienne à Jacques

Autre anecdote intime, lointaine et riche d’enseignements : lors d’une petite soirée improvisée où se reniflaient autant d’anglos que de francos, j’ai dû expliquer à une fille de Vancouver, au détour d’une conversation, le sens de l’expression « être habillé comme la chienne à Jacques », formule que j’avais lancée à propos de je ne sais plus qui. La fille, vexée, se demandait ce que je pouvais bien avoir contre Jacques, un ami commun. Confondu en plates excuses (« Ça veut juste dire “être mal habillé” »), j’avais dû admettre mon ignorance quant à l’origine de cette expression, laquelle semble être un running gag de l’ancien temps devenu adage.

Voilà où les choses se compliquent : au bout du compte, nous qui le parlons quotidiennement de manière machinale, instinctive, ne connaissons à peu près rien du joual, de ses mécanismes, de sa grammaire (qui n’existe pas comme telle), de son histoire. Comment, par exemple, expliquer le sens profond, les racines et même la bonne orthographe du mot quétaine, ou l’origine exacte du vocable poutine, alors que les linguistes férus du « parler populaire » ne semblent pas être plus avancés? Les anglos « préservés » de Montréal, imperméables à la culture locale, pour toujours et irrémédiablement canadiens, ceux-là qui ne sortent pas de leurs quartiers-murailles, ceux-là qui ne s’aventurent pas plus à l’est que la rue Papineau, ne s’aventureront pas plus au pays des mots, et ne considéreront toujours le Québec que comme un concept abstrait et le Quèb comme une sorte d’indigène amusant qui « parle bizarre ».

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Si la compréhension du joual est la clé de l’univers étriqué (on n’est pas des masses en cette Amérique remplie d’anglos) de la « québécitude », on comprendra donc assez facilement l’anglo inaccoutumé, pour ainsi dire vierge, de ne pas s’intéresser à nos téléromans, de préférer The Walking Dead à Unité 9, Mad Men à L’Auberge du chien noir. On ne pourra lui reprocher de ne pas participer à la grand-messe annuelle du Bye Bye, de se sentir perdu dans un autre continuum espace-temps en regardant un épisode de La Petite Vie ou des Bougons. On ne lui en voudra pas non plus d’ignorer qui sont et que font précisément Véronique Cloutier, Richard Martineau, le Doc Mailloux, Laurent Paquin, Mahée Paiement, Lise Dion, Jean-Luc Mongrain, Stéphane Laporte, Rodger Brulotte, Janette Bertrand, Louise Deschâtelets, Mario Dumont, Mado Lamothe ou les Denis Drolet.

Les belles âmes déplorent la piètre qualité de l’enseignement du français dans nos écoles et le peu d’intérêt que portent à la culture québécoise les nouveaux arrivants allophones et les irréductibles anglos. Qu’on leur apprenne le joual en bas âge! Oui, il devrait y avoir des cours de sacres, des initiations à l’anglicisme adapté, des classes de syntaxe rapaillée. Ainsi, l’anglo de demain, fort de ces connaissances dûment acquises, pourra franchir, rien qu’s’une gosse, cet étrange gouffre linguistique qui sépare les « deux solitudes ».

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