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Which witch is which?

Amir Khadir, la sorcière d’Éric Duhaime. La chasse est ouverte.

Par
Sarah Labarre
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Salem Town/Salem Village, circa 1691

Nous sommes en plein conflit avec les Amérindiens et n’avons pas de gouvernement légitime. Ça brasse dans la ville de Salem. Samuel Parris, le révérend de la paroisse, cause de plus en plus de mécontentement parmi ses ouailles. En octobre, la communauté refuse désormais de lever une taxe pour son bois de chauffage et son salaire est de plus en plus maigre et sporadique. Ça ne va pas bien pour le pasteur qui commence alors, dans ses sermons, à évoquer une conspiration contre lui, et surtout contre l’église, fomentée par Satan lui-même. Les accusations se répètent et l’inquiétude commence à se dessiner dans la communauté. Quelques mois plus tard, en 1692, sa fille Betty ainsi que sa nièce Abigail se trouvent affligées d’un mal mystérieux, que Parris lui-même désigne comme étant une possession diabolique. Qui sont les coupables de cette sorcellerie? La chasse aux sorcières est alors ouverte.

Mégantic/Montréal, 10 juillet 2013

Nous sommes en plein cœur de l’enquête sur l’incident du train de la MMA à Lac-Mégantic qui fit de nombreuses victimes ainsi que plusieurs dizaines de disparus et qui détruisit une trentaine de bâtiments environnants. De nombreux politiciens/journalistes/chroniqueurs/opinionneurs à gauche et à droite se jettent dans l’arène et tentent de se mordre une petite bouchée du profit politique. Le commentateur d’actualité Éric Duhaime y va d’une vindicte fort peu étonnante : Ça y est, les dés sont jetés. Levant et Duhaime, avec leur supposition, jettent les bases d’une théorie visant, directement ou pas, à discréditer le mouvement de colère qui gronde contre la supposée négligence de la compagnie Maine, Montreal and Atlantic Railways ainsi que contre les institutions en place qui ont permis ladite négligence. Qui, donc, est derrière ces présumés actes criminels? La chasse aux terroristes est alors ouverte.

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Salem Town/Salem Village, circa 1692

On consulte des médecins afin de déterminer de quel mal sont atteintes la fille et la nièce de Parris, ainsi qu’une dizaine d’autres présumées victimes, mais il est impossible de poser un diagnostic. On accorde alors de plus en plus de crédibilité aux affirmations de Parris et à la possibilité d’un complot sataniste, et on presse les jeunes filles à dénoncer leurs agresseurs. Betty et Abigail commencent alors à donner des noms. Les trois premières accusées sont Sarah Good, une mendiante qui murmure à la dérobée lorsqu’on lui offre de la nourriture, Sarah Osburne, une vieillarde alitée qui est déjà haïe de sa famille pour avoir remis l’héritage de son premier mari à son second, enfreignant la tradition qui veut que les biens aillent aux fils et non à la mère, et Tituba, une esclave Sud-Américaine dont l’aura de mystère est amplifié par son passé trouble et ses traditions autochtones.

Les trois femmes sont inculpées et accusées de sorcellerie, en mars 1692, et le festival des accusations débute : Tituba accuse d’autres personnes sans pouvoir se disculper mais dans l’espoir d’alléger son propre fardeau en dénonçant d’autres menaces satanistes. Toute personne qui détonne de par son allure ou son mode de vie est dénoncée tantôt par l’un, tantôt par l’autre. Tout est légitime pour écarter les soupçons qui pourraient peser sur sa famille et ses biens. Le plus souvent, il s’agit de femmes seules, ou de vieilles femmes dont la fortune pourrait profiter à quelqu’un. Les prisons se remplissent à une vitesse alarmante, mais comme il n’y a pas de gouvernement légitime, personne ne peut formellement juger ces sorcières qui pullulent maintenant dans la ville de Salem. Lorsque le gouverneur William Phillips débarque enfin et met sur place une Court of Oyer and Terminer – d’entendre et de décider – Sarah Osburne est déjà morte en prison, Sarah Good a accouché d’une fille et environ 80 personnes sont en prison, dont plusieurs déjà malades.

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Tout ceci se transforme en rivalités entre familles, entre porteurs de rumeurs, entre Salem Town et Salem Village. Au total, environ 300 personnes – ou peut-être plus – seront emprisonnées sur une période plus ou moins étendue. Le procès des sorcières de Salem se soldera par 25 mises à mort et 5 prisonniers décédés en prison, dont le bébé de Sarah Good. Ce scandale aura non seulement secoué les liens de confiance qui tissaient cette communauté, mais aura fait souffrir autant la terre que les familles. On fuyait vers Plymouth ou vers New-York afin d’éviter les accusations. On aura négligé les terres, le bétail, les commerces. L’économie, et même l’âme de la ville, dépérissaient.

Ce fut finalement le gouverneur royal du Massachusetts qui mit fin à toute cette procédure, après que le clergé bostonien ait publié l’appel « Cases of Conscience Concerning Evil Spirits » (Cas de conscience concernant les esprits maléfiques), qui incitait le corps de justice à faire preuve de prudence : « It were better that ten suspected witches should escape, than that the innocent person should be condemned » (Il apparaît préférable que dix sorcières suspectées puissent s’échapper, plutôt qu’une personne innocente soit condamnée).

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Mégantic/Montréal, 10 juillet 2013

La chasse aux terroristes – et ses divers synonymes (gauchiste, carré rouge, enverdeur et autres communistes) – a la cote depuis plusieurs mois et Éric Duhaime a cru bon d’y ajouter une couche en allant de cette remarque fort imprudente. Suite aux évènements de Mégantic, on s’enrage les uns contre les autres, on s’accuse mutuellement de se faire du capital politique/médiatique (ce dont je me rends malheureusement un peu coupable moi-même), mais, depuis hier, grâce à une supposition douteuse de monsieur Duhaime, basée sur des déclarations découpées à l’emporte-pièce et sur ses phantasmes de dénonciation de la go-gauche, un nouvel ennemi est à abattre : l’éco-terroriste, et donc, puisque selon ses lubies et celles de son auditoire, cela va de soi, le gauchiste, le carré rouge, l’enverdeur à Steven Guilbeault et, pourquoi pas un coup parti, Kamarade Khadir dont l’agenda islamiste se résumerait à manger des hot-dogs même pas halal.

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Si à Salem on avait les sorcières, aujourd’hui, au Québec, on a les gauchistes. Les accusations parmi l’auditoire de Duhaime, d’un camp comme de l’autre, sont de plus en plus précises, de plus en plus vindicatives :

On commence à s’approcher de l’agenda islamiste d’Amir Khadir.
Hum. Subtil.
Attention, nous avons un terroriste dans la salle, ou plutôt devrais-je dire, sur le profil d’Éric Duhaime.
Good. Gauchiste ou pas (puisque ce n’est que la go-gauche qui s’insurge contre l’idée du pipeline), personne n’est à l’abri du soupçon terroriste. Qui sait, c’est peut-être Pauline Marois elle-même qui a fait dérailler le train.
On se rapproche, c’est de plus en plus précis.

La chasse aux gauchistes fait rage. Monsieur Duhaime, par ses suggestions dangereuses, contribue encore une fois à creuser les écarts idéologiques, et, pendant ce temps, ce n’est pas en cherchant des sorcières que l’on va se creuser la tête pour trouver non seulement des moyens d’aider cette population sinistrée, mais également pour trouver des solutions dans le court terme pour éviter ce genre de drame, et dans le long terme, pour trouver des alternatives plus saines, plus vertes.

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Une chasse aux sorcières, ça ne profite à personne

La chasse aux sorcières de Salem Town laissa des marques si profondes en Nouvelle-Angleterre qu’elle aura contribué à réduire la crédibilité, et donc l’influence, de la foi puritaine sur tous les niveaux du gouvernement et aura, de manière indirecte, mise en place les principes fondateurs des États-Unis. Il fallait s’assurer, entre autres, que des agitateurs tels que Samuel Parris ne puissent diviser une communauté pour des simples théories de conspiration, qui, aussi ridicules puissent-elles sembler, représenteraient un danger potentiel.

Ici, l’affaire s’apparente peu à l’histoire de Salem, mais c’est bel et bien une chasse aux sorcières dont nous sommes témoins aujourd’hui. Bien que le bouc émissaire ait changé de nom, Éric Duhaime porte son idéologie de la même manière que Parris autrefois. En jetant une simple supposition, une simple accusation – toujours le complot gauchiste et /ou écologiste et /ou l’agenda islamiste d’Amir Khadir – il met en place un cercle vicieux où tout le monde s’entraccuse, depuis la gogauche du plateau ou la drette jambon.

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Il serait judicieux, admirateurs et détracteurs de Duhaime, de laisser les enquêteurs faire leur travail et de déterminer quels sont les paramètres en place qui ont permis ce tragique incident, avant de mettre tout le monde en prison et de se chercher des volontaires pour les exécutions.

Je vous laisse sur une petite citation de La Presse fort opportune : « ‘Je ne vais pas spéculer sur les éléments que nous avons retrouvés parce qu’ils sont secrets’, a dit fermement l’inspecteur Forget. Il a toutefois indiqué qu’il ne croyait pas que le drame avait été causé par des actes terroristes »

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