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WAGS moi non plus : Où sont les femmes dans la NFL – Partie II

Les coulisses de la NFL comme vous ne les avez jamais vues.

Par
Florence Dubé-Moreau
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Florence Dubé-Moreau a rencontré Laurent Duvernay-Tardif dans une boulangerie. Moins de quatre ans plus tard, elle atterrissait elle aussi dans la NFL. Rien, mais vraiment rien, ne prédestinait cette auteure et commissaire en art contemporain à ça. Dans cette série, elle nous transporte dans les coulisses du football professionnel avec une perspective peu conventionnelle sur le sport et la culture américaine. Pour lire sa chronique précédente, c’est ici.

Dans le dernier billet, je vous disais qu’un des facteurs qui contribuent à creuser l’écart hommes-femmes au sein des couples de la NFL est lié aux inégalités de revenu ; rares sont les femmes ayant un salaire aussi important que leur moitié. Ce qui a donc pour effet de :

1) participer à les décourager à concilier travail/famille avec l’horaire inflexible et atypique de leur mari footballeur, et 2) les assigner ipso facto à un rôle de gestionnaire du foyer.

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Mais un autre facteur doit être mis dans la balance : l’attention médiatique entourant les joueurs, faisant d’eux le centre du spectacle.

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Tous les jours de saison régulière, au sortir des pratiques, les joueurs se présentent devant un scrum de journalistes et de caméras pour commenter leur performance de la journée en prévision de la game de la fin de semaine. Des chaines télé tournent 24 h du contenu NFL. Les demandes d’entrevues, d’apparitions publiques, de commanditaires pleuvent. Dans la rue, au resto, à l’aéroport, les athlètes se font arrêter pour signer des autographes ou prendre des photos (et souvent, c’est justement nous, les WAGS, qu’on sollicite pour prendre ladite photo…).

On compte souvent sur nous pour jouer au G.O.

Tous les jours, nous tombons sur nos amoureux à la télé, sur les réseaux sociaux, dans le journal, à la radio. Cette machine médiatique alimente le fait que notre entourage proche et moins proche nous en parle régulièrement; qu’il fait le voyage pour un weekend de match à KC; et que finalement, nous nous retrouvons à gérer des groupes d’amis-es/fans/famille huit home games… sur huit. Puisque les joueurs sont occupés sur le terrain, on compte souvent sur nous pour jouer au G.O. dans les 36 h (du vendredi au dimanche) qui composent leur vacance sportive. Une logistique qui — en termes de questions de couchages, déplacements, activités touristiques, distribution de billets, coordination du tailgate, accès au stade avant/après la partie — mobilise temps et énergie.

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C’est le lot des partenaires de toutes personnalités certes, et nous sommes extrêmement chanceuses et chanceux de recevoir autant de soutien et d’amour, me direz-vous.

Oui. Vraiment.

Je pense, par contre, que ça crée un déséquilibre. Le centre du spectacle est perpétuellement l’homme. C’est lui qu’on vient voir, c’est de lui dont on veut parler, c’est systématiquement les mêmes questions qui sont posées sur l’alignement partant, sur Pat Mahomes ou sur le prochain Super Bowl.

Récapitulons. Le ou les lieux de résidence sont dictés par l’équipe du mari; la structure de l’année se fond dans le calendrier de football; les femmes qui désirent une vie de couple et de famille stable font de l’adaptabilité un incontournable dans leur choix de carrière; mais en plus, leurs interactions quotidiennes tournent largement autour de l’emploi de leur conjoint.

C’est une attention, mais c’est aussi une pression.

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Évidemment, ce n’est pas mal intentionné. Les gens admirent les exploits de nos amoureux et de leur équipe. Nous aussi.

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Et même plus que ça. Ces exploits, on considère qu’ils nous appartiennent aussi un peu — précisément parce qu’on fait autant de sacrifices et de travail afin que les conditions soient réunies pour optimiser la performance et l’image de nos conjoints. Plusieurs de mes amies WAGS font épicerie, ménage, cuisine, lavage, gossage des assurances/taxes/comptes divers, soin des enfants… SEULE – et se retrouvent même à faire la valise de leur mari quand celui-ci joue à l’extérieur de la ville.

C’est un travail d’équipe. C’est juste une équipe où une des deux parties tend à s’élever au-dessus de l’autre. Du moins dans le regard extérieur, peut-être.

Combien de fois des personnes ont-elles interrompu une conversation entre Laurent et moi pour lui partager leur admiration en me faisant dos […]?

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Combien de fois des personnes ont-elles interrompu une conversation entre Laurent et moi pour lui partager leur admiration — en me faisant dos, en ne s’excusant pas à moi, en m’ignorant? Ou à l’inverse en me complimentant d’avoir si bien choisi mon parti comme si c’était la plus grande réalisation de ma vie. [La fois la plus délicieuse restera toujours celle où on m’a félicité d’un tel « accomplissement » CONSIDÉRANT QUE j’étais en arts — thanks bro, forever in my heart.]

Intéressant cette propriété transparente des femmes quand ça arrange.

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Le problème, c’est surtout que cette glorification des hommes et de leurs exploits physiques va très loin. Elle remonte même — et ce que je dis est fort — jusqu’à l’expression par certains fans d’une tristesse ou d’une inquiétude pour le futur de l’équipe lorsqu’un joueur est suspendu ou renvoyé pour violence conjugale. Alors que les conséquences de tels actes devraient être sans équivoques, cette violence est encore tolérée par certains clubs professionnels envers des footballeurs collégiaux qui seront recrutés malgré des allégations à leur endroit.

Au cours de leur première année dans la ligue, les nouveaux ont, chaque semaine, un après-midi de séminaires sur des sujets divers entourant leur nouvelle réalité NFL. Parmi les sujets, qui ratissent aussi large que leur syndicat des joueurs, la fiscalité et les médias, il y a celui des femmes. Comment traiter une femme?

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« But I still talk that ca-a-sh,

Cuz a lotta WAGS wanna hear it »,

chantait joyeusement Kanye aux côtés d’Estelle en 2008.

Pour celles et ceux qui me l’ont demandé, je n’ai jamais été témoin de scènes glamour dignes des téléréalités WAGS LA ou WAGS Miami… Il faut dire qu’on est à Kansas City au beau milieu du Midwest et que je sors avec un lineman — fair enough — mais sincèrement, et au risque de me répéter, ce cliché ne définit vraiment pas ce que j’expérimente dans la NFL et surtout ne rend absolument pas justice au dévouement des femmes que j’y côtoie.

Je n’ai jamais été témoin de scènes glamour dignes des téléréalités WAGS LA ou WAGS Miami…

Cela dit, ça ne veut pas dire que le statut de football wife n’est pas convoité. J’ignorais cette réalité avant d’y être confronté, mais c’est vrai que le football relève d’un statut social aux États-Unis. De nombreuses WAGS indiquent d’ailleurs en profil Instagram à quel « numéro » elles sont mariées pour se décrire. C’est une fierté.

De manière intéressante, il y a réellement quelque chose d’une identité double qui se développe. Je me demande si c’est à force de se faire éroder par ce feu roulant NFL qui nous souffle perpétuellement. Comme si toute cette folie devenait une sorte d’accomplissement pour nous aussi, les WAGS. Le sentiment d’y avoir survécu, peut-être. Au début, je ne comprenais pas. Ça m’outrait. Je me distanciais de l’image de Laurent et ne revendiquait aucun crédit ni rien à voir avec sa carrière. Puis, tranquillement, au fil des saisons, des sacrifices, des mois à distance, des heures consacrées à voyager pour aller le visiter, à l’aider, à l’encourager… le pendule est de plus en plus difficile à faire revenir vers soi. Cette dynamique centrée autour de l’homme devient tellement ancrée profondément. Bien que nous bénéficions d’un rythme de vie privilégié, rendre la pareille en termes de temps et d’engagements donnés par les filles est-il même possible pour les garçons ? Alors nous passons sournoisement du « sa » au « notre » victoire.

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Dernièrement, on m’a demandé ce que ça me faisait d’être en retrait par rapport à Laurent au sein de sa [SIC] fondation.

Une phrase anodine, mais tellement révélatrice.

La Fondation LDT est ma fondation aussi. Elle ne porte pas mon nom, mais j’en suis co-présidente. J’en suis la co-fondatrice. Laurent en est la face publique. Mais je suis celle qui attache tout en arrière et qui en consolide la mission et les axes de communication. Ces deux postures découlent de choix conscients et volontaires. Laurent et moi savons que nous sommes plus forts en répartissant les responsabilités de cette façon. Notre Fondation est née d’un désir commun de donner du sens à tout ce qui nous arrivait avec l’entrée de la NFL dans nos vies en mettant sur place un projet qui nous permettrait d’organiser des activités pour les jeunes.

Je ne suis ni la face publique de ma fondation ni de mon couple parce que ce n’est pas là que j’ai choisi d’être et d’agir.

Je ne suis ni la face publique de ma fondation ni de mon couple parce que ce n’est pas là que j’ai choisi d’être et d’agir. Mais puisque les caméras sont braquées sur Laurent, on présume d’emblée que son rôle est prédominant, voire plus important.

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Comment valoriser les femmes dans la NFL ?

Comment fait-on, si le spotlight n’est jamais sur elles, et que si peu de mesures au sein de la ligue ne semblent encourager l’égalité entre les sexes ?

Comment fait-on pour ne pas automatiquement les cantonner à un rôle secondaire au sein de leur propre vie?

J’ai besoin de me dire qu’en 2019, on peut travailler à faire des WAGS plus que des « femmes de ». Que leur identité n’est pas uniquement attachée à celle d’un homme. Qu’on peut faire en sorte que leur identité se construise non pas en marge de celle de leur mari, mais par et pour elle-même. Comment voir à l’empowerment de ces femmes, autrement ?

Je pense que ça passe par l’éducation des femmes et des hommes. Apprendre qu’on est over l’essentialisme des rôles de genres, et sensibiliser toutes et tous aux enjeux féministes.

Faisons le pont avec la première partie de ce billet : il y aurait donc bel et bien plusieurs nuances à la notion de périphérie. Être en bordure du spotlight ne veut pas dire être soustraite à l’action, impuissante. C’est moins une absence, qu’une présence différente. Ce qui est dommage, c’est que collectivement nous tendons à ne pas y donner la même valeur. Et ce qui est dangereux avec cette ombre portée, c’est qu’elle peut compromettre la croissance et l’épanouissement de celles qui y œuvrent.

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Conçu en complicité avec Laurent.

Merci à mes formidables relectrices : Marie-Laurence, Sophie-Charlotte et Laurence G.