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WAGS moi non plus : les autres femmes dans la NFL

Les coulisses de la NFL comme vous ne les avez jamais vues.

Par
Florence Dubé-Moreau
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Florence Dubé-Moreau a rencontré Laurent Duvernay-Tardif dans une boulangerie. Moins de quatre ans plus tard, elle atterrissait elle aussi dans la NFL. Rien, mais vraiment rien, ne prédestinait cette auteure et commissaire en art contemporain à ça. Dans cette série, elle nous transporte dans les coulisses du football professionnel avec une perspective peu conventionnelle sur le sport et la culture américaine. Pour lire sa chronique précédente, c’est ici.

Les parties 1 et 2 de la dernière chronique mettaient en lumière les conjointes de joueurs.

Mais on ne peut pas parler des femmes dans la NFL sans parler de celles qui y travaillent directement, celles dont l’employeur est la NFL ou une de ses franchises — parce que oui, il y en a (contre vents et marées, si vous voulez mon avis).

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Je me suis donc affairée à définir et cerner trois profils de femmes y œuvrant à différents niveaux depuis le gazon du stade jusqu’aux stratosphères de la ligue.

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Commençons par un groupe plus visible, parce que paré de paillettes et de pompons tous les jours de match : les cheerleaders.

Être cheerleader NFL est un emploi rémunéré, oui, – mais assez frugalement, disons-le. Ce sont des athlètes qui travaillent extrêmement fort, qui ont passé des processus d’auditions féroces et qui sont fières de représenter leur équipe. Elles sont impliquées bénévolement dans les communautés de Kansas City et performent devant des centaines de milliers de personnes pendant tout l’automne.

Être cheerleader NFL est un emploi rémunéré, oui, – mais assez frugalement, disons-le. Ce sont des athlètes qui travaillent extrêmement fort, qui ont passé des processus d’auditions féroces et qui sont fières de représenter leur équipe.

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Difficile de trouver des chiffres exacts, mais en moyenne elles seraient payées au salaire minimum. Cela dit, de nombreuses meneuses de claque ont décrié au cours des dernières années qu’en compilant toutes les heures de répétition, de match, de promotion et de photo shoot, d’apparitions publiques et de performances en milieu corporatif (vous pouvez faire appel à leurs services pour un évènement), elles gagneraient en fait beaucoup moins.

La logique qui prévaut pour justifier ces conditions de travail questionnables est le bon vieil adage — qu’on connait si bien en culture et en art : « C’est un privilège [insérer la gig de votre choix ici], c’est une visibilité sans pareil. »

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Je vais en profiter pour nous débarrasser de quelques préjugés au passage : non, les joueurs et les cheerleaders ne hang pas ensemble tous les jours. Sorry.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, elles et ils n’ont pratiquement aucun contact, et s’entrainent sur des horaires complètement différents. Elles et ils se croiseront peut-être les jours de match dans les couloirs du stade, mais ça s’arrête pas mal à ça.

Une illustration assez comique (et combien triste) de cette réalité? Laurent a déjà raconté en direct à la télé qu’une cheerleader avait vécu six mois dans son appartement avant qu’il ne s’en rende compte… Lapsus : il voulait dire dans sa tour d’appartements à Kansas City et non pas dans son appart avec nous, n’est-ce paaas.

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En fait, c’est pire que ça : le contrat des performeuses précise qu’elles sont tenues de quitter tout endroit public où un joueur se trouverait lorsqu’elles sont hors fonctions. Autrement dit, il leur est interdit de sympathiser/parler à un joueur à l’extérieur du stade de football. Si ce règlement ne connote pas sexuellement leur présence au sein de l’équipe, j’ignore ce qui l’exacerberait davantage…

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En date d’aujourd’hui, 26 équipes sur 32 possèdent une troupe de meneuses de claque.

Objectivement, c’est un peu weird de juxtaposer des filles en petites tenues à des gars revêtus littéralement d’armures pour aller au front, non ?

Ce qui est croustillant, c’est qu’au 19e siècle, ce sont les hommes qui assuraient l’animation des foules de manière organisée. Les femmes vont obtenir la permission de fréquenter les lignes de côté seulement en raison de l’enrôlement massif des hommes dans l’armée pendant la première moitié du 20e siècle. Fun. Quelques décennies de patriarcat et d’homophobie plus tard, le cheerleading féminin devient partie intégrante de l’expérience NFL en 1954.

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Quelles soient dénudées en train de faire des chorégraphies PG-13 vaguement sexu, ne me tracasse pas vraiment… C’est leur corps, et c’est comme la base des droits et libertés de pouvoir faire ce que bon nous semble avec.

De quoi ces femmes joviales et chatoyantes sont-elles le symbole ? La réponse me fait peur.

Ce qui me perturbe par contre c’est le théâtre où cela prend place. Difficile de ne pas y voir un alignement de filles-ornements — majoritairement blanches (alors que 80 % des joueurs sont afro-américains), toutes habillées, coiffées et découpées à l’identique — pour le plaisir de l’œil masculin hétéro.

La féminité en spectacle… *Une féminité unidimensionnelle et violente* en spectacle, dis-je. Alors qu’en fait, elle n’est même pas LE spectacle : elle agit à titre de faire-valoir au vrai spectacle.

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De quoi ces femmes joviales et chatoyantes sont-elles le symbole ? La réponse me fait peur. Si l’on suit les écrits de Martine Delvaux, qui sont la trame de cette réflexion, elles ne seraient rien de moins qu’une fenêtre par laquelle envisager tout un système misogyne, hétérosexiste, raciste et capitaliste…

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Bon.

Qu’en est-il des femmes arbitre et coach dans la NFL ? Plus de lumière ?

En 2019, on a célébré Sarah Thomas, première femme à arbitrer un match de séries éliminatoires. Arbitre à temps plein dans la NFL depuis 2015, elle est la première à occuper un tel poste… et toujours la seule.

Du côté des entraineurs de position ou de conditionnement physique, Tampa Bay a été la première en 2019 à joindre pas une, mais deux femmes à son coaching staff : Maral Javadifar et Lori Locust. Avant elles, des assistantes coaches à temps partiel avaient intégré différentes équipes depuis 2015.

On pourrait croire que cette entrée tardive des femmes arbitres et entraîneuses est due au fait qu’elles n’ont pas joué [ne peuvent pas jouer] au football professionnel… Pourtant, un tel prérequis n’est pas exigé de leurs homologues masculins.

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Sont-elles moins aptes à comprendre les défis auxquels font face les hommes qui pratiquent ce sport ? Qu’en est-il alors de la large majorité de coachs masculins qui entraînent des femmes ?

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Regardons maintenant du côté des propriétaires de franchises et de la haute direction.

Cinq équipes sont détenues par des femmes : Virginia Halas MCCasey (Bears, depuis 1983) ; Martha Ford (Lions, depuis 2014) ; Gayle Benson (Saints, depuis 2018); et Amy Adams Strunk (Titans, depuis 2013). Un gros 15 %.

Du côté du management des clubs, je n’ai pas trouvé de chiffres à échelle de la ligue sur le taux de femmes engagées. Par contre, chez les Chiefs, si on consulte l’organigramme de l’équipe, on compte moins de 20 femmes sur 200 employés-ées qui sont, sans surprises, concentrées en ressources humaines, au Community Outreach ou au Fan Experience. De l’empathie et du care, c’est tu pas beau çâ.

Et pour celles et ceux qui se demandent encore si le sport intéresse plus les hommes que les femmes… Ne doutez plus, j’ai trouvé la réponse pour vous : 45 % du fan base de la NFL est féminin.

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Une chose est certaine : si aucune femme n’occupe des postes de haute direction ; si aucune femme ne se retrouve sur le terrain, on consolide activement l’invisibilité des femmes dans la NFL, et plus largement dans le sport professionnel.

Parce que c’est actif — ça se passe tous les jours. À chaque nouveau scandale sexuel entourant les cheerleaders. À chaque suspicion d’incompétence envers les femmes qui visent le management sportif ou des titres d’arbitre, de coach et d’agente de joueurs.

Et je vais aller plus loin : si chaque fois que je consomme du sport à la télé ou à la radio on ne me montre et parle que d’hommes ou à peu près, on renforce tout autant cet effacement. Les chaines font un effort depuis quelques années pour embaucher des animatrices et coanimatrices dans leurs talkshows sportifs, mais combien y a-t-il de rendez-vous quotidiens consacrés aux sports féminins ?

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Qu’est-ce que le sport professionnel fait aux femmes ?

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Peut-être le sport professionnel n’aime-t-il pas les femmes… pour paraphraser un titre d’Aurélie Lanctôt.

Comment ne pas se poser la question ? Je vois et je vis tout un système qui n’embauche presque pas de femmes, les protège mal, les montre peu.

« Si l’on veut casser le cercle vicieux des inégalités d’accès aux fonctions à responsabilités entre les hommes et les femmes, il faut certes que des femmes pionnières montrent l’exemple, mais il faut surtout que des hommes aident les femmes à oser braver les interdits implicites. »

Regardez ce qui se passe depuis deux mois avec le démantèlement de la Ligue canadienne de hockey féminin (LCHF)… L’équipe des Canadiennes de Montréal a été dissoute ; et, le 2 mai dernier, les meilleures joueuses en Amérique du Nord ont annoncé une grève indéfinie pour décrier leurs conditions de travail. Pour mettre les choses en perspective, au même moment, les Alouettes de Montréal n’étaient même pas à vendre que les acheteurs potentiels se battaient pour être en haut de la liste. À l’heure actuelle, il n’y aura PAS de hockey féminin de haut niveau encadré par une ligue en 2019-2020 au Québec… Où sont les dollars ?

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La féminisation du sport professionnel est une problématique vaste et complexe, et je vous conseille chaudement l’ouvrage Du sexisme dans le sport de Béatrice Barbusse pour y voir plus clair. Elle écrit :

« Si l’on veut casser le cercle vicieux des inégalités d’accès aux fonctions à responsabilités entre les hommes et les femmes, il faut certes que des femmes pionnières montrent l’exemple, mais il faut surtout que des hommes aident les femmes à oser braver les interdits implicites. »

C’est une responsabilité partagée. Mais la tâche est colossale parce qu’elle implique que des hommes acceptent la transformation d’un système qui les avantage.

« La parité s’arrête là où le pouvoir commence. », remarquait Françoise Héritier.

Indeed.

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Écrit en complicité avec Laurent et Sophie-Charlotte.