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WAGS moi non plus : La fièvre rouge
Florence Dubé-Moreau a rencontré Laurent Duvernay-Tardif dans une boulangerie. Moins de quatre ans plus tard, elle atterrissait elle aussi dans la NFL. Rien, mais vraiment rien, ne prédestinait cette auteure et commissaire en art contemporain à ça. Dans cette série, elle nous transporte dans les coulisses du football professionnel avec une perspective peu conventionnelle sur le sport et la culture américaine. Pour lire sa chronique précédente, c’est ici.
20 janvier 2019. Arrowhead Stadium, stade des Chiefs de Kansas City.
Nous étions à 4 quarts d’accéder au Super Bowl.
De ma jeune expérience de WAGS, je n’avais jamais vu le stade de Kansas City aussi survolté.
Un ressenti -15 °C bien humide et venteux attendait les partisanes et partisans ce soir-là. Soir de premières par ailleurs. Première finale de conférence, depuis 1993, pour les Chiefs. [Il faut être champion de sa conférence pour participer au Super Bowl.] Première fois que cette finale se dispute à Kansas City.
L’évènement marque donc l’histoire, d’autant plus que l’AFC, la conférence des Chiefs, a été créée par le fondateur de l’équipe, M. Lamar Hunt, et que le trophée de l’affrontement porte son nom.
Let’s bring it home.
Pour mettre les choses en perspective : Patrick Mahomes, le jeune quart-arrière étoile des Chiefs – du haut de ses fringants 23 ans -, n’était même pas né la dernière fois que la franchise a pu rêver à un ticket pour le Super Bowl à l’issue d’une partie.
Il faut savoir que les séries au football, c’est assez expéditif. La pression est immense. Dès que tu perds, tu es out, contrairement au hockey, par exemple, où les séries se jouent en 4 de 7 (le premier remportant 4 matchs passe à l’étape suivante). Ce qui fait qu’à chaque partie éliminatoire, tout est à gagner… ou à perdre.
S’il y a une chose que j’ai apprise en 5 ans dans l’univers de la NFL, c’est que l’important, ce n’est pas de participer…
S’il y a une chose que j’ai apprise en 5 ans dans l’univers de la NFL, c’est que l’important, ce n’est pas de participer…
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Depuis la victoire du 12 janvier en quart de finale, une fièvre rouge s’est emparée de Kansas City.
Les médias locaux ne parlent que de ça. Aux quatre coins de la ville, les rues sont ornées d’allées de drapeaux, les fontaines crachent de l’eau teintée de rouge, le centre-ville arbore les mêmes couleurs par des jeux d’éclairages architecturaux, les tramways ont été recouverts d’une pellicule en vinyle sur laquelle on peut lire : Let’s roll.
« La route du Super Bowl passe par Kansas City. » L’équipe de communications des Chiefs s’en donne à cœur joie et multiplie les one liners pour gonfler à bloc les fans.
Et ça fonctionne.
Elles et ils convergent par centaines vers Kansas City en vue de la demi-finale. Les hôtels affichent complet. La tradition du Red Friday est à son peak, celle-ci voulant que, les vendredis de match, vous vous vêtissiez de rouge ou du jersey de votre joueur favori au travail. Samedi soir, tous les bars dignes de ce nom tiennent un AFC Championships Party. On s’encourage dans la rue. On partage notre stress avec notre caissier d’épicerie. On parle stratégie à notre chauffeuse Uber… Go Chiefs !
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Au cours des dernières années, j’ai été fascinée de découvrir à quel point le football génère un tissu social fait d’expériences et de liens extrêmement forts entre les partisans des Chiefs. La ville tout entière est football. Je trouvais que le hockey était une grosse affaire à Montréal, mais, ne serait-ce qu’en termes d’échelle, ça ne se compare pas… Le fait que le stade de Kansas City soit environ trois fois et demie plus grand que le centre Bell en est une illustration frappante, et je pourrais faire une longue liste d’exemples du même type.
Derrière sa machine tant médiatique que politique, le football américain crée des communautés. Il inspire, je crois, une forme de solidarité entre fans, mais aussi entre les fans et les joueurs pour s’entraider vers la victoire. C’est cette composante sociale ou affective du sport qui motive des gens de partout aux États-Unis (et du Québec, ha !) à parcourir des kilomètres et à braver le froid pour être de la partie.
Chaque admiratrice et admirateur qui porte son chandail rouge le vendredi, qui se rend au stade le dimanche et qui crie pour enterrer l’offensive adverse tout au long du match est convaincu-e de sa contribution : c’est un travail d’équipe – élargie. Sa présence dans les gradins fait une différence. C’est sa victoire aussi. Le fameux : « On a gagné ».
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Dans les estrades, ce soir-là, cette énergie est palpable. Lorsque la défensive s’élance pour contrer Tom Brady, la foule est galvanisée. Je suis, nous sommes, le 12e joueur sur le terrain.
On y croit. Le Super Bowl est à portée de main.
La première demie est une catastrophe. Aucun point au tableau des Chiefs. L’offensive se fait dominer.
Laurent regarde le douloureux spectacle des lignes de côté; il a appris la veille qu’il ne serait même pas habillé en backup.
Laurent regarde le douloureux spectacle des lignes de côté; il a appris la veille qu’il ne serait même pas habillé en backup. Si tous les joueurs blessés doivent se consoler en se disant qu’ils ont participé à amener l’équipe là où elle est ce soir, ne pas pouvoir aider ses coéquipiers en difficulté est terriblement frustrant.
La deuxième demie commence en lion. Mais une série de punitions et d’appels d’arbitres nous font mal en fin de partie. Certaines décisions ne font pas l’unanimité. Des canettes de bière, devenues dangereux projectiles avec l’altitude, pleuvent du troisième anneau des sièges en direction du turf. Jusqu’à la dernière seconde, les joueurs donnent tout ce qu’ils ont.
Le score est égalisé. Prolongation.
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Bon, parenthèse :
Je ne sais pas qui a inventé le système des prolongations, mais je suis CONTRE.
- Après 3 heures et demie passées dehors au froid, premièrement : ça suffit.
- Deuxièmement, voulez-vous ma mort ?!! J’ai frôlé la crise cardiaque 12 fois pendant la partie… Épargnez-nous un « 5e quart », please !
- Troisièmement, on devrait tous gagner rendu là. Point final. Moitié de trophée aux deux équipes. Chacune joue un quart au Super Bowl. Tout le monde est content. Merci, bonsoir.
- Je sais, je sais. Il existe des arguments plus rationnels à la défense des prolongations et à la critique de leur fonctionnement en séries. Mais, à ce moment précis, la spectatrice frigorifiée/arythmique en moi avait d’autres considérations.
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On a perdu. En prolongation.
Comme médusée, la foule est restée figée quelques instants après le touchdown fatidique des Pats. C’était dur à croire, dur à accepter surtout.
Difficile de ne pas s’imaginer les célébrations inverses si le coin toss avait été en notre faveur… (les fans savent).
Dans la salle des familles au sous-sol du stade, là où on attend les joueurs à la fin des matchs, l’ambiance est lourde. Entre conjointes, on s’enlace, la mine basse et on se souhaite déjà bon off-season.
Parce que, oui, la saison est officiellement terminée à partir de… maintenant !
Nos amoureux émergent des vestiaires au compte-goutte cherchant du regard des visages familiers prêts à les embrasser doucement et à leur dire : c’est OK.
À sa manière, tout le monde préparait déjà les deux prochaines semaines qui nous auraient menées vers Atlanta. Laurent était prêt à pratiquer mardi. Je n’avais pas booké mon billet de retour. Aucune énergie n’avait été perdue à envisager la défaite.
Toutes les défaites sont moches. Mais les défaites en playoffs sont douloureuses. Et cette défaite l’est particulièrement. Same, same, but different. À sa manière, tout le monde préparait déjà les deux prochaines semaines qui nous auraient menées vers Atlanta. Laurent était prêt à pratiquer mardi. Je n’avais pas booké mon billet de retour. Aucune énergie n’avait été perdue à envisager la défaite.
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Étonnamment, le turnover se fait assez vite. Chaque fin de saison, ça m’impressionne. En à peine 48 heures, nous atterrissions à Montréal; notre double vie à Kansas City était officiellement mise en veilleuse pour quelques mois.
Avec un petit pincement au cœur, on va bien sûr regarder le Super Bowl le 3 février.
Oui, j’aurais aimé y voir les Chiefs. Après tout, c’est la finale. Le « World Championship » (même si les États-Unis sont les seuls à y prendre part). La raison pour laquelle les joueurs s’entrainent, se blessent et stressent depuis 6 mois.
Pourtant, je me questionne sur cet évènement à méga-giga-déploiement : l’émission souvent la plus regardée de l’année à la télévision américaine. Je suis troublée par les partys de commanditaires et autres célébrations VIP et VVIP délirantes qui ont déjà cours à Atlanta depuis le début de la semaine. Par les chiffres hallucinants (et alarmants) de consommation à la tonne d’ailes de poulet, de guacamole et de bière… Par les spots publicitaires payés quelques millions de dollars le 30 secondes. Et, cette année, par le show de la mi-temps essentiellement masculin, sur fond de protestations d’autres artistes ayant refusé la tribune (non rémunérée) en solidarité avec les développements dans l’affaire Kaepernick…
Est-ce acceptable ? Viable ?
C’est du haut divertissement, certes, mais sur les plans économiques, écologiques et sociaux, ne manquons pas de remarquer que plusieurs rouages du Super Bowl gagneraient à être réévalués.
Je nous souhaite donc : Bon spectacle ! Avec lucidité et favoritisme pour les Rams ;)
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Conçu en complicité avec Laurent.
Merci à mes formidables relectrices : Laurence B et Laurence G.