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Voyage au royaume ermite de la pizza

Naples, New York, Chicago... New Haven? Oui! Oui! La pizza est délicieuse au Connecticut.

Par
Benoît Lelièvre
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« Qu’est-ce que t’aimerais faire pour ton 40e, mon coeur ?

– Je veux aller manger de la pizza à New Haven.

– Euh, OK? Si c’est ça que tu veux, c’est ça qu’on va faire. »

Ma blonde est habituée à mes trips niches et étranges. J’ose même croire qu’elle y trouve un peu de magie.

Pourquoi la pizza de New Haven, au juste? Avant décembre 2018, peu de gens étaient au courant que le délice du peuple était nécessairement meilleur là-bas qu’au Normandin.

Elle aime aussi beaucoup faire des choses inoubliables pour mon anniversaire. Elle m’a emmené à Las Vegas pour mon 30e. En 2016, elle m’a acheté deux billets pour aller voir mon équipe de basketball fétiche au Madison Square Garden. Quelques mois avant que la pandémie vienne fermer la planète, elle m’avait planifié une semaine de vacances à mon insu avec ma patronne de l’époque (allô, Barbara!). Vous voyez le genre. Oui, je suis le gars le plus chanceux au monde.

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Si j’ai le malheur de lui répondre un jour « j’veux juste aller chez Pacini pis me nourrir au bar à pain toute la soirée », elle risque de questionner mon manque d’ambition et d’imagination. Elle risque de questionner ses choix de vie aussi. Je prends mon rôle de compagnon de folies au quotidien très au sérieux.

Pourquoi la pizza de New Haven, au juste? Avant décembre 2018, peu de gens étaient au courant que le délice du peuple était nécessairement meilleur là-bas qu’au Normandin. Puis, Dave Portnoy est passé par-là. Le controversé visage du blogue Barstool Sports et saint patron de la pizza sur le web est venu faire la tournée des grands ducs du Connecticut pour promptement déclarer New Haven capitale mondiale de la pizza. Grosse déclaration pour un gars avec plus de 1 300 critiques au compteur pour sa série iconique One Bite.

Oui, je suis allé manger de la pizza à New Haven avec ma blonde pour célébrer mon 40e anniversaire à cause de Dave Portnoy. Oui, c’était un peu fou de faire ça. Non, je ne regrette rien. Voici comment c’était et pourquoi vous devriez y aller si la pizz est un mode de vie pour vous.

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Premier arrêt : Sally’s Apizza

Pourquoi donc y aurait-il de la pizza d’exception dans une petite ville comme New Haven?

Bonne question. C’est atypique, j’en conviens. Il y a eu une énorme vague d’immigration italienne aux États-Unis au début du XXe siècle. La plupart de ces nouveaux arrivants se sont établis à New York, à Boston et dans d’autres villes près de la côte, mais des communautés napolitaines, siciliennes et du sud de l’Italie se sont établies un peu partout dans le Connecticut, plus spécifiquement à New Haven. Les boys fraîchement débarqués du bateau y ont aussitôt construit des fours à charbon pour la pizza, une méthode de cuisson à très haute température peu répandue, qui donne une texture et un goût particuliers à la pâte et la croûte.

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On ne retrouve cette technologie ancestrale que très peu ailleurs, mais à New Haven, toutes les artisans de l’apizza (prononcé Ah-beetz) l’utilisent. Aucune idée pourquoi le nom est différent. Il semblerait que c’est une question de dialecte régional, mais je n’ai pas de source pour le prouver.

L’épopée des papilles commence avec une visite chez Sally’s, la pizzeria historique la mieux cotée par Portnoy. Le pape de la pizza a donné entre dix et vingt notes au-dessus de 9/10 sur 1 300 critiques et Sally’s est l’heureux récipiendaire d’un 9,2. Pour avoir déjà fait l’essai de la pizzeria new-yorkaise préférée de Dave Portnoy John’s of Bleecker, mes attentes sont hautes. C’était de loin la meilleure pizza que j’ai mangée dans ma vie.

En tournant le coin de Wooster Street, on comprend déjà être au bon endroit. Des pèlerins transportent des boîtes en carton tachées de graisse dont émanent des fumets divins et sur lesquelles on peut lire : Sally’s Apizza.

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Un sympathique placier qui ressemble à un concierge d’école secondaire nous attend devant notre premier arrêt. Pantalons de travail, mousqueton et trousseau de clés à la ceinture, casquette aux couleurs de l’entreprise. « Welcome to Sally’s », nous accueille-t-il. Il nous ouvre les portes de son temple de l’équilibre des saveurs et nous invite à prendre place sur l’une de ses banquettes en vinyle brun.

L’endroit est à moitié plein. Il semble y avoir plus d’employé.e.s affairé.e.s aux commandes que de client.e.s, mais il n’est que 17 h. Tout le monde a l’air occupé. Tout le monde fait des allers-retours. Ç’a l’air important. D’ici la fin de notre repas, non seulement Sally’s sera plein à craquer, mais une file se sera formée dehors.

C’est peut-être la seule des trois pizzerias historiques de New Haven qui vaut 100 % le détour.

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Notre serveur est un colosse sans cheveux ni sourcils nommé Matt. Son accent et son débit de parole le rendent indéchiffrable. J’ai la mauvaise idée de lui demander s’ils vendent les t-shirts à l’effigie de Sally’s que porte fièrement le personnel. J’ignore quelle fut sa réponse en termes exacts, mais je suppose que ça voulait dire non, parce qu’il ne m’en a pas apporté.

Est-ce que Sally’s vaut six heures de voiture? Eh bien, si vous aimez la pizza comme moi, oui. C’est peut-être la seule des trois pizzerias historiques de New Haven qui vaut 100 % le détour. La pizza contient non seulement beaucoup d’amour, mais elle est aussi le fruit d’une réflexion poussée qui crée un équilibre presque parfait en matière de saveurs.

La croûte est particulièrement mémorable. La texture volcanique et le « crounch » extra-satisfaisant attaquent les sens d’entrée de jeu, mais laissent graduellement s’exprimer une fine couche de farine sous la tranche qui donne du relief à l’expérience.

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La sauce tomate est fraîche, mais pas trop acide. C’est chose rare lorsqu’il est question de tomates fraîches. Le pepperoni est bien gras, mais pas trop lourd. Franchement, l’expérience intemporelle avec les banquettes en vinyle, les murs en panneau de bois, les serveurs italiens qui semblent se multiplier et la pizza des plus divines rendent justice à la réputation de Sally’s.

J’oserais même qualifier l’expérience de gracieuse.

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Deuxième Arrêt : Frank Pepe

Frank Pepe, c’est le OG à New Haven. C’est le plus vieux des trois restaurants historiques encore debout et le premier à s’être franchisé. Le Sally de Sally’s, c’est Sal Consiglio, le neveu de Frank Pepe, qui a décidé de s’ouvrir une pizzeria sur la même rue. Probablement juste pour faire chier, parce que les Italiens aiment le drame. On les aime de même.

Le Sally de Sally’s, c’est Sal Consiglio, le neveu de Frank Pepe, qui a décidé de s’ouvrir une pizzeria sur la même rue. Probablement juste pour faire chier.

On arrive chez Frank Pepe environ à la même heure que chez Sally’s la veille, mais les gens font déjà la file dehors. Il pleut. Il fait froid. Il faut vraiment vouloir se bourrer la bedaine pour être ici. Les placiers et placières (aussi nombreux que chez Sally’s) sont d’ailleurs très confiants en leur produit, parce qu’ils offrent aux enthousiastes de pizza dans la file d’aller chez le compétiteur Abate, juste à côté.

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« C’est la même pizza », explique une jeune femme avec un accent pas si différent de celui de Saint-Léonard. « C’est le même style. Allez. Allez. »

Non, madame. J’ai fait six heures de char pour venir manger chez Frank Pepe, je vais manger chez Frank Pepe. De plus, Dave Portnoy a donné un 6,8 à Abate et un 8,4 à Frank Pepe, alors non, je n’irai pas chez votre compétiteur.

Logistiquement parlant, Frank Pepe ressemble beaucoup à Sally’s, sauf que c’est beaucoup plus grand et que c’est blanc et vert au lieu d’être brun partout. Les banquettes sont aussi faites en bois et sont moins confortables.

Est-ce que l’oncle est meilleur que le neveu? Non, il est même une bonne coche en dessous à mon avis. La pizza de Frank Pepe est excellente selon les standards de tous les jours, mais elle est beaucoup plus lourde et graisseuse que celle de Sally’s. Le pepperoni était aussi tranché très épais, ce qui ajoutait à l’océan de graisse qui gigotait sur notre pizza. Ma chérie et moi avons commandé une moyenne à deux et on roulait par terre rendu aux dernières pointes.

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En plus, à la fin du repas, le serveur nous a apporté une pizza complémentaire parce que la nôtre n’était « pas complètement ronde ». Il y a deux sans-abris qui se sont régalés ce soir-là, je vous en passe un papier.

Appelez-nous le père et la mère Noël de New Haven.

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Dernier arrêt : Modern Apizza

Si Frank Pepe est le OG et Sally est le neveu, Modern Apizza est le cousin qu’on voit juste aux Fêtes. Situé à une bonne demi-heure de marche de Wooster Steet, sur le bord d’une route bétonnée sans aucun cachet, Modern passerait inaperçu si son apizza n’était pas aussi succulente. On croise une douzaine de bros entassés dans un minivan sur le chemin de Modern. Ils sortent comme dans un numéro de cirque.

Modern, c’est un peu un compromis entre les deux autres pizzerias historiques de New Haven. On y retrouve le cachet de Sally’s et l’espace de Frank Pepe. L’offre est également plus large.

Si Frank Pepe est le OG et Sally est le neveu, Modern Apizza est le cousin qu’on voit juste aux Fêtes.

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La pizza y est excellente. Elle me rappelle vaguement celle de Da Lillo’s sur Jarry, mais avec une croûte infiniment supérieure et un fromage plus goûteux. L’équilibre sauce-fromage y est aussi savamment respecté alors que Frank Pepe tendait vers l’excès de mozzarella. Le fromage de Modern est fin et se détache au lieu de faire de grandes coulisses. La grosse différence avec Sally’s, c’est la sauce. Celle-ci est plus salée, moins distincte du fromage.

C’est quand même succulent; un plaisir peu commun.

*

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Ça conclut notre tournée des grands ducs de New Haven, que je ne nommerais peut-être pas capitale mondiale de la pizza (New York l’emporte haut la main au volume), mais qui vaut quand même le détour. Ceux qui vous diront « de la pizza c’est de la pizza » n’ont clairement jamais mangé d’ah-beetz!

Christian Bégin, si tu lis ceci : fais-toi donc plaisir, mon homme. C’est ton devoir d’épicurien en chef du Québec. Pars sur la route de la pizza au four à charbon sur ta mobylette comme un explorateur des temps modernes et ramène-nous un peu de New Haven au Québec. C’est la nouvelle mission de ta vie. C’est assez, New Haven! Vous avez gardé votre pizza pour vous trop longtemps! Les épicuriens du Québec arrivent.