C’est ce que je me suis dit il y a cinq ans déjà, ce soir où les Denise et les Kevin du Québec ont étés pris en même temps devant leurs TV d’une crise de bacon monstrueuse en découvrant l’existence d’une jeune artiste qui osait se présenter au gala de l’ADISQ avec ses vêtements et son parlé de tous les jours.
Une fille toi, chose.
Devant tout le monde.
Un gars, déjà, ça passe pas mal mieux. Un peu débraillé, avec du franc-parler? On en aurait fait une bonne blague, un personnage de loser sympathique comme avec Leloup ou Falardeau. Des jokes de mononcles de drogue ou d’odeur. Mais une fille ? Sans l’uniforme en paillette requis ni le maquillage de circonstances, et même pas de larmes d’humble reconnaissance de je-ne-suis-pas-digne ?
Ça c’est non, et la réponse fut violente.
Ce n’est pas Safia que vous avez haïe ce soir-là au point de prendre d’assaut toutes les tribunes imaginables pour lui cracher dessus. C’est impossible.
Parce que vous savez quoi ? Ce n’est pas Safia que vous avez haïe ce soir-là au point de prendre d’assaut toutes les tribunes imaginables pour lui cracher dessus.
C’est impossible.
On ne consacre jamais autant d’énergie à essayer de détruire une personne vue cinq minutes à la télé, qui n’a rien fait ni demandé à personne. Quand quelqu’un nous déplait on est indifférents, on regarde ailleurs, limite on traverse la rue ; on ne court pas après pendant des années pour lui hurler en groupe de changer ou de disparaitre.
Votre réaction était beaucoup trop violente, acharnée et personnelle, et vos insultes tellement loin de la réalité de cette humaine sincère et empathique.
C’était disproportionné et absurde, ça n’avait pas de sens.
Ça cachait décidément quelque chose de plus profond.
Quelque chose d’assez grave pour vous pousser à essayer de l’intimider encore et encore chaque fois qu’elle apparait dans les médias depuis.
Même quand c’est pour défendre une cause noble.
Même quand c’est elle la victime.
Il est évident pour moi que le carburant de cet acharnement c’est que ce n’est pas Safia que vous haïssez en fait. Comment serait-ce possible ? Vous ne connaissez rien d’elle, au point d’être encore incapables d’épeler son nom comme il faut des années après. Et avouez-le donc, vous n’en avez strictement rien à foutre au fond.
Ce sont vos propres vies que vous haïssez.
Ce sont vos propres vies que vous haïssez.
Vous haïssez le fait de toujours être en train de vous demander ce que le monde va penser de vous. De toujours être en train de débattre de ce que les autres ont l’air, de ce qui se fait ou pas. Vous haïssez cette maudite peur d’être différent, de n’être pas assez beau, pas assez mince, pas assez populaire, pas assez riche, pas assez connu, pas assez bon, pas assez désirable, pas assez normal pour mériter d’être aimé.
Vous haïssez tellement cette peur que ce que vous avez de plus précieux c’est le rêve dans l’écran qui vous permet de l’endurer et de l’oublier un peu. Cet univers de beauté, de richesse et de célébrité où rien ne dépasse qui n’existe que dans nos TV ou sur Instagram. Le spectacle : cette illusion de vie parfaitement lisse, préfabriquée, bronzée, équilibrée. Un modèle unique à atteindre, comme par hasard vendu à kit au même poste, de normalité en plastique comme tout le monde, comme tout le monde surtout, mais en mieux, en beaucoup mieux. Comme tout le monde, mais à la manière d’une influenceuse likée à millions, d’un candidat d’OD ou Céline, mettons.
Vous avez retenu quelque chose d’important des films pour ados : la vie de la fille (c’est toujours une fille) un peu marginale devient extraordinaire seulement à condition qu’elle cède et décide finalement d’effacer sa différence. Quand elle se maquille, enlève ses lunettes et s’arrange pour intégrer la gang populaire. Que comme dans les téléréalités avec un montage avant/après ou celles qui fabriquent des chanteuses toutes pareilles, le succès ça se mérite après avoir été dressée, pimpée et chorégraphiée parfaitement. Jamais en arrêtant de chercher l’approbation du groupe. Jamais en assumant son authenticité, sa vulnérabilité, sa différence et en refusant de faire semblant.
C’est pas dit clairement, mais on les intègre quand même, ces règles-là.
Safia n’entre pas dans ce modèle qui est censé récompenser uniquement celles qui se conforment le mieux aux normes, et j’affirme que c’est ça qui vous fait capoter. Elle s’est retrouvée sans avertissement dans votre écran, avec son identité complexe et en parlant sans filtre, et elle vous a semblé se placer au-dessus des règles du jeu. Ne pas faire l’effort qu’une femme doit impérativement faire pour en public être désirable, convenable, reconnaissante et ne pas déranger. Visiblement pas assez formatée pour mériter d’être là. Pire, son accoutrement vous rappelait presque la pauvreté, cette chose qu’on ne doit absolument jamais montrer. Et pourtant malgré tout elle se tenait là, au beau milieu de vos belles et irréprochables vedettes lustrées. Sans gène, fièrement. C’était inacceptable, elle devrait avoir honte au moins autant que vous. Vous vous êtes sentis attaqués par son existence.
Tout ce temps et cet argent investi en vêtements, en maquillage, au gym, chez le coiffeur par peur de ne pas correspondre au modèle et pourtant vous êtes encore bien loin de passer à la télévision, alors pourquoi elle !?! Ben non. C’était rire de vous.
À preuve, vous avez hurlé partout qu’elle vous « manquait de respect ». Sa seule présence dans la télévision était une insulte parce qu’elle rendait votre conformisme un peu ridicule, grotesque. Tout ce temps et cet argent investi en vêtements, en maquillage, au gym, chez le coiffeur par peur de ne pas correspondre au modèle et pourtant vous êtes encore bien loin de passer à la télévision, alors pourquoi elle !?! Ben non. C’était rire de vous. Elle n’était pas à sa place et il fallait l’y remettre et vite.
C’est ça qui a transformé un dimanche soir une chanteuse qui n’avait rien demandé en un personnage inventé, une sorte d’épouvantail ou de punching bag qui devrait se taire, se cacher, avoir honte, s’excuser, devenir invisible. Ça qui a déclenché ces colossales vagues d’intimidation, alimentées par des chroniqueurs autant sinon plus coupables, qui n’ont fait qu’empirer avec les années chaque fois qu’elle refuse de prendre son trou.
Parce qu’il est très québécois ce réflexe qui nous rend fiers de ne jamais hausser le ton, de ne jamais protester, de ne jamais dénoncer, de supporter plus et mieux que le voisin sans se plaindre. Cette vieille mentalité rurale des choses que tout le monde sait, mais qu’on ne doit surtout pas dire pour ne pas gâcher les apparences. Il est bien implanté ce restant de religion qui dit que le vrai courage c’est d’endurer en silence, jamais d’essayer de changer les choses.
C’est pour ça que chaque fois que Safia se tient debout dans la tempête de vos insultes puériles ça empire. Qu’elle mette en lumière le harcèlement que vous lui faites subir ou celui, ô ironie, de l’une des figures les plus célébrées qui vive dans votre précieux écran, c’est toujours elle qu’il faudrait punir, museler. Elle qui devrait savoir que les gens très beaux, qui jouent selon les règles de la norme, sont inévitablement de meilleures personnes. Elle qui devrait apprendre sa place et à se taire, parce que ce sont eux qui méritent de l’attention, pas les autres. Elle qui doit forcément être jalouse.
Cette célébration aveugle de l’esthétique, ces modèles d’humains glorifiés dont on vénère l’image. Cette défense des valeurs traditionnelles de la masculinité par la violence. Ça pue le petit fascisme de banlieue caché derrière une connexion internet.
Je vais dire un gros mot : tout ça tient du fascisme. Cette célébration aveugle de l’esthétique, ces modèles d’humains glorifiés dont on vénère l’image. Cette défense des valeurs traditionnelles de la masculinité par la violence. Ça pue le petit fascisme de banlieue caché derrière une connexion internet.
Et le fait que cette haine soit nourrie et encouragée par des empires médiatiques pour “faire du clic” ou défendre leur investissement dans la vedette très payante qu’ils se sont créé est dégoûtant et franchement dangereux.
C’est une démonstration de force et de résilience fabuleuse que de voir Safia encore bienveillante, pétillante et baveuse, absolument pas prête à vous céder un pouce, ni à se cacher, ni à se taire. C’est plus de courage que vous ne pouvez même en imaginer, vous pour qui la bravoure c’est de ricaner lâchement en cachette entre hyènes arriérées et anonymes.
Elle ne sera jamais réduite à la caricature épaisse que vous tentez d’en faire. C’est une vraie personne qui ne vous a jamais, jamais rien fait sauf rester sincère et chanter la tristesse fabuleusement. Votre opinion sur la manière dont elle mène sa vie n’intéresse personne.
Plus vous vous acharnez, plus vous nous montrez quel point vous êtes vulgaires, crétins, bouchés et effrayés. Et plus elle se révèle infiniment plus grande et forte que vous.
Laissez-la tranquille.
De toute façon, ce n’est pas elle que vous voulez faire taire.
C’est votre propre peur, et combien vous haïssez ce qu’elle a fait de vos vies.
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