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Votre image à la caméra vous fait flipper? Vous n’êtes pas seul.e.s.
Plusieurs heures de video-conférence par jour, à force ça attaque le cerveau. Toutes celles et ceux qui terminent lessivé.e.s après une journée de Zoom le savent. Mais ce qui est moins connu, c’est que cette nouvelle manière de travailler peut également atteindre l’estime de soi, en particulier notre regard sur notre visage. Ce phénomène a même un nom chez les Anglo-saxons : le «Zoom-Face Envy» ou «Zoom dysmorphie». Que se passe-t-il donc derrière nos écrans? C’est simple : une situation qui me rappelle un peu ce que j’ai vécu chez un dermatologue en Amérique du Nord. Son assistante m’a prise en photos sous divers angles peu gracieux avec une lumière blafarde, puis m’a montré le résultat. Un choc, moi qui venais pour surveiller mes grains de beauté! Sur Zoom, on se retrouve également face à notre visage sous un nouvel angle et de manière moins contrôlée que dans notre salle de bains, si bien que des défauts nous sautent aux yeux. De quoi motiver certains à filer chez leur chirurgien.ne esthétique.
Une giclée de complexes… et de Botox
L’American Society of Plastic Surgeons évoque dans son rapport publié le 27 avril dernier «une ruée sur les procédures faciales en réponse à une augmentation significative des appels Zoom». Nos voisins britanniques ne sont pas en reste, notamment les hommes. Selon le journal The Guardian, les médecins et chirurgiens esthétiques britanniques rapportaient une hausse de plus de 70% des demandes de consultation en 2020, principalement pour du Botox ou autres techniques de comblement permettant d’être «Zoom ready» (prêts pour Zoom).
En France, le syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE) a signalé une augmentation de 20 à 30% des demandes de consultation depuis le début de la crise sanitaire. «Toutes ces réunions Zoom, Teams etc. ont engendré une image de soi qui n’est pas toujours positive», dit le docteur Thierry Van Hemelryck, chirurgien plasticien aux Sables d’Olonne, qui préside également la SOFCEP (société savante regroupant des chirurgiens qualifiés en «Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique»). Pour le chirurgien, le fait d’avoir plus de temps, moins de distractions/dépenses et envie de se faire plaisir dans le contexte morose, ont aussi facilité le passage à l’acte des patient.e.s. Benjamin Sarfati, chirurgien esthétique à Paris, évoque pour sa part « une demande qui explose », boostée également par le télétravail — pratique pour gérer les suites postopératoires — et la prise de poids liée au confinement.
Hello, voici ton visage social
C’est un fait troublant : la caméra nous offre un reflet différent de celui du miroir, et ça peut faire flipper certains. «Les gens, qui se voient pendant une ou deux heures de réunion plusieurs fois par jour, vont s’arrêter sur des choses qu’ils ne voyaient peut-être pas avant. Comme par exemple le double-menton : un grand classique! Et surtout, ils voient leur visage social», explique le dr Sarfati. Quand on est devant le miroir, de face avec la bouche fermée, on passe à côté d’une partie de nous-même, mais «lorsqu’on s’exprime, on voit exactement comment les gens nous perçoivent, avec des mouvements au niveau des sourcils, des yeux et de la bouche qui peuvent faire apparaître plus de rides», précise le chirurgien.
«C’est très perturbant, confirme la psychanalyste Catherine Grangeard, dont beaucoup de patient.e.s se disent « dérangé.e.s» par cette nouvelle image de soi. «D‘ordinaire, nous nous croisons dans la salle de bain ou dans une vitrine, mais nous ne passons pas des heures ou des journées entières face à nous-même. Nous sommes donc perturbé.e.s par cette image que nous n’avons pas l’habitude d’admirer en permanence, d’autant plus qu’en l’occurrence, ce n’est pas recherché car nous sommes là pour une réunion et nous nous retrouvons incidemment face à nous-mêmes», explique la psychanalyste qui constate une «surprise que les autres nous voient de cette façon là».
Selon le dr Sarfati, le choc est d’autant plus grand chez les hommes qui passaient peu de temps devant leur image. C’est le cas d’Alain, qui a décidé de confier ses paupières au dr Van Hemelryck pendant le confinement. Pas de Zoom pour le Vendéen, mais des minutes en plus devant le miroir. D’habitude, je n’ai pas trop le temps de m’occuper de moi. Mais mon secteur d’activité a dû fermer pendant le confinement, ce qui m’a permis de prendre un peu plus de temps le matin pour me regarder devant la glace. Et là, j’ai vu quelque chose qui ne me plaisait pas au niveau des yeux», raconte le sexagénaire. Florence, a pour sa part eu un choc à la caméra. «Pendant le confinement, pour les vidéos ou photos entre confrères, j’ai fini par mettre des filtres, tout simplement pour ne pas faire trop fatiguée», dit celle qui a vite craqué pour une injection de Botox.
L’anti-Photoshop
On ne va pas se mentir, la caméra nous montre rarement sous notre meilleur angle. Si vous travaillez sur votre portable et que vous omettez de le surélever, vous offrez une vue imprenable sur votre double-menton et vos narines. «En plus, parfois nous sommes beaucoup trop près de la caméra parce qu’en même temps, nous tapotons sur le clavier!», lance Catherine Grangeard. Le Dr Harold Chatel, chirurgien esthétique à Paris qui note de plus en plus de demandes pour des injections, évoque pour sa part la distorsion de l’image à la caméra appelée effet «fisheye».
Pour Lola*, 18 ans, la caméra est à la fois souveraine et fourbe. «D’un côté, comme je n’ai jamais eu de webcam d’une qualité folle, cela cache mes boutons, raconte l’étudiante rémoise. Les cours à distance peuvent donc faire disparaître certains complexes liés à ma peau, grâce à l’image qui est moins nette. En revanche, je trouve souvent que j’ai l’air plus fatiguée sur Zoom. Cela se voit encore plus que dans la vraie vie parce que les couleurs sont hyper fades et du coup, quand tu es un peu pâlot.te, ça se voit tout de suite!», dit celle qui confie avoir également développé un gros complexe par rapport à ses cheveux qui lui semblent «tout aplatis» à l’écran.
Pour Catherine Grangeard, la caméra peut venir renforcer l’impact dévalorisant du décalage que l’on perçoit entre l’image de soi et ce que la société désire. «Il y a vingt ans, les hommes venaient me consulter pour des problèmes de santé et d’obésité. Aujourd’hui, les exigences physiques très fortes par rapport aux femmes s’élargissent aux hommes», constate celle à qui ses patients masculins font désormais des remarques sur leur teint. Sans parler des accrocs à Instagram submergés d’images sublimées. Et vous, vous vous trouvez comment dans le miroir Zoom ces derniers temps ?
*Le prénom a été changé
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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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