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Voter pour les nuls

Par
Judith Lussier
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Si vous ne savez toujours pas pour qui voter en ce jour de scrutin, ce texte risque de ne pas vous aider. Ou peut-être.

L’autre jour, ma mère m’a appelée en catastrophe pour me dire «ça y’est, je pense que je vais voter stratégique!» Ma mère vit dans L’Acadie. Je lui ai donc expliqué qu’il serait peu probable que sa stratégie ne fonctionne, peu importe en quoi elle consiste, puisque quoiqu’il arrive, Christine St-Pierre risque de l’emporter. Too Close to call lui accorde 51,8% des suffrages, et Votestratégique.com, 49%. Qu’à cela ne tienne, depuis que je l’ai interpellée dans une chronique, elle semble s’être fait un devoir de me mettre à jour sur ses intentions électorales.

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Je l’ai donc invitée à visiter les sites susmentionnés afin qu’elle puisse se faire une idée claire. Au premier jour des élections, ma mère n’était pas trop sûre de la circonscription dans laquelle elle votait, mais elle était pas mal sûre qu’elle ne voulait pas réélire les libéraux pour un nouveau mandat.

Depuis le début de la campagne, le débat «vote stratégique» vs «vote de conscience» intéresse tout le monde. Mais en discutant avec ma mère et d’autres personnes, j’ai réalisé que peu savent exactement comment fonctionne le mode de scrutin au Québec, et en quoi consiste le fait de voter «stratégiquement».

Or, faire son devoir, c’est pas juste voter. Ça demande un peu plus d’efforts que ça. Il faut d’abord s’intéresser à la politique, mais surtout, comprendre comment ça marche.

Comprendre notre mode de scrutin

Vous aurez le temps de vous instruire plus en profondeur après les élections, mais voici un débroussaillage rapide : au Québec, le mode de scrutin est majoritaire uninominal à un tour. En gros, ça veut dire que c’est le candidat qui a le plus de votes qui l’emporte dans sa circonscription, et c’est le parti qui obtient le plus de circonscriptions qui dirige la province. Ça fait en sorte que le parti vert n’est aucunement représenté à l’assemblée nationale même si 2% des gens votent pour lui, parce que dans ce système, le parti vert ne réussit à remporter aucune circonscription. Pas de circonscription, pas de représentation.

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Ça crée un cercle vicieux, parce que tous les gens qui voteraient «vert» se disent «à quoi bon perdre mon vote, aussi bien voter Libéral», et ça engendre encore plus de cynisme. Ça fait aussi en sorte que le vote de certains électeurs est plus important que d’autres. Dans une circonscription où le vote est serré, comme dans Laval-des-Rapides, mettons, c’est vraiment excitant d’aller voter, parce qu’on a une chance de faire élire le beau Léo à la place du Libéral. Dans la circonscription de ma mère, c’est un peu plus poche, parce que peu importe à quel point on est contre les Libéraux, ils vont quand même rentrer.

Vous aurez compris que ce mode de scrutin avantage les gros partis. C’est pourquoi on est pognés avec, parce que les seuls qui promettent de le réformer sont les petits partis à qui ça ne profite pas. Le PQ a eu dix ans pour réformer le mode de scrutin et ne l’a pas fait lors de ses deux derniers mandats.

Ça fait que pour l’instant, on fait avec, même si c’est attardé. Et on consulte des sites comme Too Close to call et Votestratégique.com pour savoir dans quel genre de circonscription on est.

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Voter stratégique

Il y a plusieurs façons de voter stratégiquement. D’abord, il y a celle de Simon Jodoin : sa stratégie consiste à démontrer l’absurdité du mode de scrutin majoritaire en votant par conviction. Cette stratégie vise à contrer le cercle vicieux mentionné plus haut et à démontrer, «scrutin à l’appui, [que les partis condamnés à la marge] obtiennent la faveur d’une partie considérable de la population». C’est vraiment pas fou. Mais j’ai bien hâte de voir si ça va avoir amélioré votre cynisme de voter pour le parti qui vous représente le mieux, aux lendemains d’une élection qui aura reconduit un gouvernement libéral majoritaire au pouvoir.

Pour l’instant, je préfère la stratégie de contrer le gouvernement Libéral coûte que coûte. Si vous le pouvez. Voici quelques cas de figures pour vous éclairer :

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1. Vous êtes dans une circonscription où la lutte entre Québec Solidaire et le PQ est serrée :

Mettons que vous êtes dans Gouin, votez comme bon vous semble, de toute façon, les Libéraux ne gagnent pas. Dans ce cas précis, même si Québec Solidaire enlevait un siège au PQ, on peut supposer que Québec Solidaire appuierait la démarche d’un gouvernement minoritaire péquiste dans ses positions plus à gauche, et ne l’appuierait pas dans ses positions plus à droite. Avoir cette balance du pouvoir, c’est un peu le mieux qu’on puisse souhaiter à Québec Solidaire.

2. Vous êtes dans une circonscription où la lutte entre les Libéraux et le PQ est serrée :

J’espère que vous avez pris le temps de visionner cette petite vidéo de Québec Solidaire. C’est sympa, mais ça ne révèle pas les conséquences de voter par conviction dans une circonscription où la lutte entre PQ et Libéral est serrée. Le cas échéant, vous pouvez voter pour qui vous voulez, mais vous vous en mordrez peut-être les doigts si, aux lendemains de l’élection, les Libéraux sont entrés par quelques voix volées au PQ parce que vous avez voté Québec solidaire. Dans ce contexte, voter pour le PQ, même si vous êtes plutôt solidaire, en espérant tasser les libéraux, c’est voter stratégiquement.

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3. Vous êtes dans une circonscription où tout espoir d’élire autre chose qu’un libéral est perdu :

Allez voter pareil. Votez avec votre cœur pour le parti qui représente le mieux vos convictions. Pour que ce parti sache que quelque part au Québec, quelqu’un vote pour lui, mais surtout parce que chaque vote rapporte 50¢ au parti qui l’a obtenu. Si vous êtes 100 000 à voter pour Jean-Martin Aussant, ça fera 50 000$ de plus dans la caisse d’Option Nationale pour les prochaines élections.

4. Vous êtes dans une circonscription où la lutte est serrée entre CAQ et PLQ

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Comprendre les sondages

On peut se fier aux sondages, ou non. Les sites Votestratégique.com et Too close to call ont chacun leur façon de prédire l’issue de ce soir, mais je ne saurais dire lequel est le plus fiable. Depuis quelques élections, Influence Communication prétend que sa méthode de calcul du poids média a révélé avec plus d’acuité que les sondages l’issue du vote. On sait aussi que les sondages ont un effet sur le vote. Aux dernières élections fédérales, quand ils ont su que Jack Layton avait peut-être des chances de remporter des sièges au Québec, plusieurs québécois de gauche ont osé voter pour le NPD. Ma conclusion à tout ça : prenez donc le temps de répondre aux maudits sondages! Plus vous répondez aux sondages, plus vous avez de chance d’influencer les gens à voter comme vous. On est de même, que voulez-vous.

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Voter pour le moins pire

Oui, on vote toujours pour le moins pire, même quand on vote avec son cœur. Le jour où un parti politique représentera parfaitement toutes mes opinions, j’imagine que ce sera parce que j’aurai lancé mon propre parti. Pour mon amie anglo, voter pour le moins pire, ce sera voter pour Québec Solidaire. «Ça me dérange de voter pour un parti séparatiste, mais il n’est pas question que je vote pour un parti raciste, et encore moins pour les Libéraux». Pour ma mère aussi, ça sera Québec Solidaire, même si elle est «anti syndicaliste à mort». «J’ai décidé de voter avec mon cœur», qu’elle m’a dit. Allez comprendre.


PS. Vous pouvez aussi voter pour le parti qui offre la meilleure représentation du colonel Kentucky.

Suivez @JudithLussier sur Twitter.

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