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Vivre une première bat-mitsva à Brooklyn

Voici une fête que vous n’avez (probablement) pas eue à 13 ans.

Par
Guillaume Denault
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Quand j’ai été invité, l’automne dernier, à assister à une bat-mitsva à Brooklyn en mars, j’ai d’abord pensé à la douceur du printemps à New York. J’ai pensé à ce bel habit que je n’avais eu l’occasion de porter qu’une fois. J’ai pensé au plaisir que me procure l’observation des gens. Alors j’ai répondu: «Oui, bien sûr que je veux y aller!» Et je me suis empressé d’essayer mon habit pour m’assurer qu’il me faisait encore.

C’est ensuite que je me suis demandé: «Coudon, c’est quoi déjà une bat-mitsva?» Maintenant que je le sais, laissez-moi vous raconter.

Je me trouve dans un lieu de culte réformiste.

Par où commencer? Par les 160 invités? Par le bar à sundaes? Par le DJ faisant danser 80 enfants de 5 à 13 ans au rythme de «Shots» et de «Trap Queen»? Non. Commençons par le début. Par la cérémonie religieuse à la synagogue. Parce qu’au départ, c’est bien de cela qu’il s’agit.

***

16h: L’arrivée à la synagogue

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Le printemps new-yorkais dont je rêvais s’avère finalement glacial. Dehors, on gèle. Et l’entrée principale de la Congregation Beth Elohim est verrouillée. Attente et confusion. Sur le côté de l’édifice, une porte s’ouvre enfin et un homme, guitare en bandoulière, nous fait signe de le suivre. Je remarque sa kippa en macramé et la sangle de sa guitare aux couleurs de la fierté gaie. On m’explique qu’il est le «cantor» (le chanteur, en quelque sorte) de la synagogue. Et que je me trouve dans un lieu de culte réformiste.

Noa, 13ans, des broches aux dents et une jolie robe sur le dos.

16h15: La prise de photos

Pendant que mon copain attache une kippa à mes cheveux, je regarde l’intérieur des lieux. Pour le catholique occasionnellement pratiquant que j’ai été enfant, le décor n’est pas tellement dépaysant: des rangées de bancs en bois, une allée principale, quelques vitraux. À l’avant, je reconnais Noa, des broches aux dents et une jolie robe sur le dos. Elle se prête à une séance de photos. C’est pour elle que nous avons fait le trajet Montréal–New-York. D’autres sont venus d’aussi loin que Hong Kong.

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À 13 ans, Noa est sur le point d’atteindre la majorité. La majorité religieuse, du moins. Car c’est bien cela, le sens de la bat-mitsva: un rite de transition, le passage de l’enfance à l’âge adulte. Le rituel juif le plus célébré, le plus emblématique.

16h30: La cérémonie I

Le jeune rabbin trentenaire qui officie me paraît sympathique. «Laissez votre esprit vagabonder cet après-midi», va-t-il jusqu’à nous conseiller. J’essaie tout de même de demeurer attentif pendant les lectures et prières, mais les nombreux passages en hébreu me perdent. Je me mets à penser à ma propre confirmation religieuse: je n’en ai aucun souvenir, sinon celui d’avoir été déçu de ne pas recevoir d’argent ou de chaînette en or. Mes parents m’avaient offert un cactus. Symbole de l’assèchement de leur foi?

Une pluie de bonbons se déverse sur Noa.

Une voix haute interrompt mes rêveries. Celle de Noa. Penchée devant un énorme rouleau de parchemin, appliquée et visiblement nerveuse, elle lit –elle chante, plutôt, puisque c’est la règle– un passage de la Torah, le livre saint du judaïsme. L’exercice est ardu: le texte ne comporte ni voyelles ni ponctuation. Noa s’est entraînée pendant des mois en vue de cette longue récitation.

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Quand elle s’arrête, les applaudissements retentissent. Une pluie de bonbons se déverse sur elle. Je comprends alors que je dois moi aussi lancer dans sa direction la pâte de fruits Sunkist qu’on m’a remise plus tôt.

16h45: La cérémonie II

Cette fois, Noa prend la parole en anglais. Elle doit présenter un commentaire sur une portion de la bible. Une manière d’affirmer son autonomie intellectuelle. Une autre tradition forte de la bat-mitsva. Pour cela aussi, Noa s’est abondamment préparée. Ça paraît. Elle livre un exposé en faveur de l’ouverture aux autres et contre l’enfermement religieux.

Le discours qu’a offert Noa fait jaser.

Dans sa réplique, le rabbin la félicite, mais la met en garde contre une pensée «trop universelle». Il faut «garder un pied dans le particulier» pour préserver l’héritage juif, plaide-t-il. En écoutant leur échange, le débat identitaire québécois me vient à l’esprit.

17h30: Le déplacement vers le party

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À la sortie de la synagogue, un autobus attend ceux qui veulent éviter de marcher jusqu’au pavillon où se déroulera le reste des célébrations. Comme des dizaines d’autres invités, j’opte toutefois pour la promenade à pied. Sur le chemin, le discours qu’a offert Noa fait jaser.

18h: L’arrivée à la salle de réception

Si on m’avait bandé les yeux et emmené ici sans aucune explication, j’aurais été convaincu d’avoir été transporté au cœur d’une réception de mariage.

Barbe à papa, Jelly Beans, il n’y a pas de doute, c’est bien une préadolescente qui est fêtée.

La salle est belle et a été soigneusement aménagée. Au fond à droite, il y a une large table transformée en bar. Au fond au centre, un photobooth. À l’avant, un plancher de danse. Aux quatre coins, des employés qui s’activent. Autour de moi, les gens sont chics et globalement bien habillés: robes de soirée, complets avec cravate. Évidemment, certaines tenues font tout de même chuchoter.

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En y regardant attentivement, il est cependant clair que c’est une préadolescente qui est fêtée. Les centres de table sont faits de barbe à papa. Des pots de Jelly Beans complètent la décoration. Dans le coin gauche de la pièce, ce qui ressemble à un deuxième bar est en réalité un comptoir de boissons gazeuses. Un serveur y prépare des Shirley Temple à la chaîne.

19h: La danse

Il est tôt, mais la piste de danse est déjà peuplée. L’âge moyen de danseurs: probablement 11 ans. L’animateur – qui, de toute évidence, n’en est pas à sa première bat-mitsva – sait comment les faire participer.

Place à la hora, une danse folklorique juive.

Tranquillement, des adultes se joignent au groupe. Le DJ délaisse Maroon 5, Katy Perry et The Chainsmokers pour de la musique traditionnelle. Un cercle se forme, laborieusement. Place à la hora, une danse folklorique juive.

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Quelques minutes plus tard, une nappe est déployée au pied des danseurs. Noa se couche dessus et des hommes, agrippant les rebords du tissu, la projettent dans les airs sous les «ohhhhh» et les «ahhhhh». Le même manège se répète avec sa petite sœur, sa mère, puis son père.

Tandis que je regarde la scène, impressionné, une femme me crie de ne pas rester planté là et d’aller donner un coup de main aux hommes forts. Je comprends qu’elle est l’une des organisatrices ce soir. Les mouvements de danse dont elle fait de temps en temps la démonstration me laissent croire qu’elle est peut-être aussi, de jour, une professeure de Zumba.

20h: Le repas

L’ouverture du buffet est accueillie avec enthousiasme. La station de nourriture montréalaise, offrant hot-dogs, poutine et frites, est prise d’assaut par les plus jeunes. Visiblement, je vieillis, car je me montre surtout intéressé par les options méditerranéennes et par les «pokebowls». Non sans fierté, j’apprends à des Brooklynois que ce plat hawaïen, qu’ils mangent pour la première fois, est en fait très en vogue depuis un certain temps.

De nouveau, l’attention se dirige vers le plancher de danse.

20h30: Le jeu

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De nouveau, l’attention se dirige vers le plancher de danse, où tous les jeunes – à l’exception d’une fille plongée dans la lecture d’un Archie – s’affrontent dans une partie de «Coke & Pepsi». «C’est super populaire lors des bat-mitsva», me précise mon copain, qui s’y connaît. Le jeu rappelle vaguement «Jean dit». Très vaguement. Chaque fois que l’animateur crie le nom d’une boisson gazeuse (7 Up, Dr Pepper, Coke…) ou d’un film (Legally Blonde, Jurassic Park…), une action précise doit être exécutée. Vaillante, une employée à l’organisation, la même que tantôt, s’assure que les participants éliminés sortent bel et bien de l’arène de jeu.

21h: La cérémonie des chandelles

Le moment le plus sentimental de la bat-mitsva se prépare. Treize chandelles sont alignées sur une table placée au-devant de la salle. Treize chandelles pour autant de personnes ou de groupes qui ont marqué la vie de Noa jusqu’ici: ses grands-parents, ses parents, sa petite sœur, ses nannys, ses amis du camp d’été, ses amis du cours de préparation à la bat-mitsva, ses BFF, etc. Elle livre à chacun un court hommage et les invite à venir allumer une bougie. Les petites mains en arrachent avec le briquet. Éclats de rire parmi le parterre d’yeux humides.

C’est au tour des amis de Noa de lui témoigner de leur amitié.

21h30: Les discours

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À travers les trous du masque de David Bowie que j’arbore au photobooth, j’aperçois huit jeunes qui attendent debout sur la scène, leur cellulaire à la main. Le silence est demandé dans la salle. C’est au tour des amis de Noa de lui témoigner de leur amitié. Ils ont préparé des discours, qu’ils lisent sur l’écran de leur iPhone. Les trois dernières oratrices ont choisi de prononcer le leur à l’unisson. Leur performance amuse une gang de gars assis jambes croisées sur le plancher. À ce moment-ci, je ne me sens plus comme dans un mariage, mais comme dans un film d’ados.

22h: Le dessert

Ce dont serait fait le dessert m’intriguait. L’enfant en moi, et tous ceux qui jouent du coude autour de moi, sont ravis: crème glacée et choix infini de garnitures: caramel, chocolat, crème fouettée, jujubes, Smarties, Reese’s et plus encore.

Il n’est pas encore minuit, mais la soirée tire à sa fin.

23h: Le départ

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Le DJ fait déjà jouer ses dernières pièces pour une foule dansante de plus en plus adulte et désinhibée. Il n’est pas encore minuit, mais la soirée tire à sa fin. Je me demande si c’est en raison d’un règlement de la salle ou simplement parce que la moitié des invités ont 13 ans ou moins. Avant de partir, la mère de mon copain m’offre le prix de présence qu’elle vient d’attraper au vol: un t-shirt frappé du logo de la bat-mitsva de Noa. Je le porterai au brunch de demain matin. Les célébrations ne sont pas tout à fait terminées.

***

Arrivés au terme de mon compte-rendu, vous voulez peut-être savoir si la bat-mitsva de Noa ressemble à toutes les autres. Pour moi qui n’en ai vécu qu’une, il est difficile de répondre. J’ai demandé à mon copain. Il est juif, vous l’aurez compris. Sa réponse : dans leur portion religieuse, les bat-mitsva sont semblables. Mais les partys qui les suivent varient énormément en taille. Lui n’en a même pas eu.

D’ailleurs, non, je ne commets pas une erreur bête depuis le début de ce texte en écrivant «bat-mitsva».

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Certes, les extravagances existent. Certaines cérémonies rassemblent plus de 350 invités, dans des décors thématiques sophistiqués (le cirque, la jungle, Hollywood, l’hiver, etc.). Des magiciens s’y donnent parfois en spectacle. Des fêtés ont droit à des vidéos de présentation élaborées. En comparaison de ce qu’on peut observer à Montréal et à Manhattan, la bat-mitsva de Noa peut être jugée petite.

Pour terminer, une précision orthographique: non, je ne commets pas une erreur bête depuis le début de ce texte en écrivant «bat-mitsva» plutôt que «bar-mitsva». Les deux expressions renvoient à la même cérémonie, mais la première est dédiée à une fille ; la deuxième, à un garçon.

Si l’on entend plus souvent «bar-mitsva», c’est seulement parce que jusqu’à récemment, il n’était pas commun de célébrer la fille juive. Comme quoi, d’une religion à l’autre, l’égalité homme-femme prend du temps à faire son chemin.

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