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Vivre son rêve d’ado à 40 ans

Une histoire de passion, de batterie et de grosse musique intense.

Par
Benoît Lelièvre
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Le premier objectif professionnel que je me suis fixé dans ma vie, c’était de devenir lutteur. Puis, j’ai voulu devenir chanteur métal et combattant professionnel en arts martiaux mixtes, respectivement. Ça m’a pris beaucoup de temps avant d’accepter que mon seul talent viable, c’était avec les mots.

Mon vieux chum Michel Bélanger, lui, a toujours voulu être batteur.

« La batterie était l’instrument parfait pour mon type de personnalité. »

En fait, il l’a toujours été. Depuis l’âge de neuf ans, il pratique religieusement, qu’il ait un concert ou un enregistrement à son horaire ou non. Il joue du drum parce qu’il aime passer du temps derrière ses tambours plus que tout ce que vous aimez le plus faire dans votre vie quotidienne.

Il n’a jamais arrêté de jouer de son instrument au fil des années. La différence entre vivre un rêve et pratiquer un passe-temps, il l’a connue le mois dernier, lorsqu’il est parti faire une tournée de 12 concerts à travers l’Amérique du sud avec Beyond Creation, en première partie de Cynic, son groupe favori depuis l’adolescence. Michel déconstruit et s’approprie les chansons du groupe prog-jazz-death-metal-fusion culte à la batterie à un niveau nanomoléculaire depuis des années et à 40 ans, il est devenu leur collègue de tournée, mais aussi leur égal.

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Michel n’a jamais diminué l’envergure de ses ambitions, même si elles sont passées près de lui filer entre les doigts à de multiples reprises. Après plus de vingt ans à passivement prendre des nouvelles l’un de l’autre par l’intermédiaire des réseaux sociaux, je l’ai contacté pour qu’il m’explique comment on réalise ça, un rêve d’ado.

Surtout à l’âge où la plupart d’entre nous ont cessé de rêver.

Une histoire déjà écrite

« La batterie était l’instrument parfait pour mon type de personnalité. J’ai réalisé ça il y a pas longtemps », me confie Michel par visioconférence. Il s’est coupé les cheveux depuis l’époque, mais sinon, il n’a pas vieilli d’un jour. « C’est un rôle de soutien dans un ensemble musical. On est protégé par notre instrument. On n’a pas la responsabilité d’établir un lien avec le public. Du moins, pas au même niveau qu’un chanteur ou un guitariste. Moi, ça me convient. Ça me permet de me concentrer sur mes forces. »

Cette passion qui l’habite, elle lui a été transmise par un père musicien qui pratiquait tous les mardi soir dans le sous-sol. C’est d’ailleurs son paternel qui lui a trouvé sa première batterie lorsqu’il avait neuf ans, qui l’a achetée et montée avec lui sans le dire à sa mère. Gros move!

L’histoire de Michel a pris une nouvelle dimension en secondaire deux, quand deux étudiants plus vieux l’ont approché après un concert avec le groupe de son père. « Je savais pas ce qu’ils voulaient. Je vivais de l’intimidation à l’époque, alors je craignais un peu leurs intentions. »

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Ce jour-là, il ne s’est pas fait tapocher, mais a plutôt rejoint les rangs de Rotting Inside, son premier groupe death metal. « Ma vie a changé vite après ça. Faire partie du groupe m’a donné un certain statut social. Soudainement, j’avais des amis plus vieux. L’intimidation a arrêté. On a arrêté de m’appeler Michel tout d’un coup. On m’appelait Mike. J’étais devenu cool. »

À l’époque, j’étais très envieux de lui. Il avait trouvé sa place dans le monde et j’ignorais si j’allais même un jour trouver la mienne. On s’est perdu de vue après la graduation et c’est à partir de ce moment que son trajet s’est mis à louvoyer dans des directions imprévues.

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« C’est tellement juvénile, le métal. T’es meilleur que ça. »

« J’suis parti de la maison pour étudier la musique au Cégep de Trois-Rivières et j’étais simplement pas prêt à prendre cette étape dans ma vie. »

Il sera expulsé de son programme à sa troisième session. Autodidacte consommé à un très jeune âge, il préfère passer son temps dans son local de répétition plutôt qu’en salle de classe. Il fait un cours en sonorisation à Drummondville l’année suivante et déménage à Québec par la suite, où son premier patron lui offrira à la fois une job et une place dans son groupe.

« Il m’a donné un CD pour apprendre les chansons et je lui ai répondu que j’allais être prêt demain. Il m’a dit : “Ben non voyons. Prends la semaine.” J’en avais pas besoin. Je suis arrivé le lendemain à la pratique et j’ai joué les quatorze chansons. C’est là que j’ai compris que j’avais un force que pas tous les batteurs partagent. Je suis capable d’assimiler vite et bien », raconte Michel.

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Pendant quelques années, il se joint à tous les groupes qui lui offrent du boulot, peu importe le style ou l’envergure. Ça lui permet de s’accrocher à son instrument et de le laisser continuer à forger son chemin. Ça lui permet aussi (avec un side hustle à temps partiel dans un magasin de musique) de gagner sa vie pendant quelques années.

« C’était rough, mais ça fonctionnait. Puis, en 2008, je me suis réveillé et j’ai pris conscience que j’avais vraiment rien devant moi. Pas de stabilité. Pas de futur précis. C’est là que je suis parti faire un cours en bureautique. »

« J’ai écouté les autres très longtemps au lieu de m’écouter moi-même. »

Ce cours lui méritera une job de bureau à la faculté de droit de l’Université Laval qu’il gardera pendant quinze ans, lui apportant cette stabilité tant souhaitée. Pendant ces années, il deviendra aussi papa d’une petite fille, mais le boulot l’éloignera du milieu de la musique et lui imposera un cadre de vie plus difficile à gérer.

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« Quand j’ai quitté le groupe Forgotten Tales en 2012, j’ai arrêté complètement de jouer du métal. On me disait beaucoup que c’était juvénile et que je valais mieux que ça. Je valais quoi au juste et c’était quoi “mieux que ça”? Je sais pas. J’ai écouté les autres très longtemps au lieu de m’écouter moi-même. »

Graduellement, Michel se rend malade. Ça culmine avec un diagnostic de dépression à l’été 2015 et un séjour dans un centre de crise à l’automne suivant. « J’acceptais pas d’être malade. Je vivais ça comme un échec. Quand ma sœur est venue me chercher pour m’emmener au centre de crise, c’est là que j’ai compris que j’avais besoin d’aide. »

Cette aide, elle n’allait pas tarder à venir.

Death metal, réseaux sociaux et renaissance spirituelle

Didier Samson, un ancien collègue, le contacte début 2016 pour joindre son groupe de death metal The Flaying, avec qui il s’aligne toujours. « Du gros death comme ça, j’en avais pas joué depuis l’école secondaire, m’avoue Michel. Au début, j’étais malade et faible, mais les gars ont cru en moi. Ils m’ont laissé le temps de pratiquer et de remonter la pente. »

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Ça a culminé avec la sortie de l’album Angry, Undead en 2019 qui sera couronné avec le prix Gamiq de l’album métal de l’année, une catégorie où figuraient des légendes locales comme BARF et Anonymus. Pas rien, quand même.

La vraie renaissance, cependant, s’est effectuée lorsqu’il s’est ouvert un compte Instagram pour ses activités professionnelles de batteur. À travers cette plateforme, il s’est mis à publier des vidéos où il joue la musique qui le passionne vraiment et les réactions n’ont pas tardé à se faire sentir. Lorsque la pandémie frappe et l’empêche de vaquer à ses occupations professionnelles avec ses groupes The Flaying et Deviant Process, il se met à publier des vidéos où il joue des reprises de ses artistes préférés, dont Cynic.

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« Dès la première vidéo, je crois, Cynic et Paul Masvidal [ créateur et principale tête pensante du groupe] ont liké la publication. Juste ça, j’en ai eu les mains moites. Ils m’avaient vu. Ils ont vu l’amour que je porte à leur musique. Ça m’a donné des ailes. Pas longtemps après, j’ai écrit à Paul pour lui dire à quel point j’appréciais sa musique. Il m’a répondu et depuis ce temps-là, on correspond, lui et moi. »

Michel et Paul Masvidal entretiennent une correspondance sur les réseaux sociaux depuis quelques années. Ils y parlent de musique, mais aussi de tout et rien. « Juste le fait qu’il complimente mon jeu et qu’il me dise que j’avais une bonne sensibilité à leur musique, je capotais. Ça a validé plein de choses pour moi. Je suis devenu conscient de ma valeur, mais j’ai aussi compris l’importance de m’écouter. Je me suis mis à avoir du succès dans un domaine qui me tient vraiment à cœur », raconte-t-il

Cette belle amitié n’est pas le seul bénéfice né de cette nouvelle présence en ligne. Michel s’est aussi mis à avoir beaucoup d’opportunités professionnelles: des séances d’enregistrements studio, des remplacements en spectacle avec des groupes réputés.

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En janvier 2023, c’est le groupe death metal progressif montréalais Beyond Creation qui lui lance un appel à l’aide. Ils doivent partir en tournée en Amérique du sud au printemps avec nul autre que Cynic! Leur batteur s’est trouvé un boulot pendant la pandémie et il ne pourra pas s’absenter pour les dates choisies.

Les astres s’alignent. Michel saute sur l’occasion. Les rigueurs de la vie de tournée sont multiples, mais auprès d’autres professionnels rodés et passionnés comme lui, même les moments difficiles deviennent mémorables.l

« Juste le fait qu’il [Paul] complimente mon jeu et qu’il me dise que j’avais une bonne sensibilité à leur musique, je capotais. Ça a validé plein de choses pour moi. Je suis devenu conscient de ma valeur, mais j’ai aussi compris l’importance de m’écouter. »

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« On était quelque part en Uruguay à un moment donné. C’était une mauvaise journée. Notre bus avait lâché le matin même et on s’en allait vers un show où on n’aurait pas le temps de faire un sound check. On était tous fatigués. Tous de mauvaise humeur. On s’est arrêté sur le bord de la route pour prendre une pause et Paul s’est mis à faire du yoga dans le champ. Comme ça, sans avertissement. On s’est tous assis autour de lui et on l’a regardé faire du yoga en silence. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas senti si bien, si groundé. »

« On a fait douze concerts ensemble sur dix-sept jours et j’ai regardé chaque set de Cynic », me dit-il avec des étoiles dans les yeux. Michel n’avait pas juste réalisé un rêve d’ado. Il avait retrouvé sa place auprès de ses pairs. Il était exactement là où il devait être.

Là où il mérite d’être.

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