Logo

Vivre son coeur brisé sur les réseaux sociaux

Par
Guillaume Denault
Publicité

Unfriend ? Block ? Unfollow ? Après la rupture in real life, la peine d’amour se joue aussi en ligne. Mais est-ce que c’est vraiment plus complexe aujourd’hui que ce l’était dans l’temps ? C’est sûr qu’on n’est jamais trop loin d’une photo qui donne le motton et qui fait retomber dans le pot de crème glacée, mais les réseaux sociaux peuvent aussi aider à passer au travers. Tour d’horizon de la peine d’amour dans un monde où « stalker » son ex est devenu si facile.

#ENPEINEDAMOUR

La peine d’amour, c’était déjà compliqué quand on croisait tous les jours son ex au cégep. Imaginez ce que c’est pour un ado de 2018 qui doit aussi composer avec la présence de cette personne sur Snapchat, Instagram et Facebook (O.K., peut-être pas Facebook, parce que c’est dépassé).

En septembre dernier, la chanteuse et actrice de 18 ans Noah Cyrus, petite sœur de Miley, a cassé avec son chum rappeur Lil Xan. S’en est suivie une chicane étalée ouvertement sur Instagram. Un malheur n’arrivant pas seul, Ariana Grande, autre égérie des ados, s’est séparée un mois plus tard. Elle aussi s’est tournée vers ses réseaux sociaux pour exprimer sa douleur et annoncer son intention de prendre soin d’elle… hors ligne.

Publicité

Règlements de compte en direct sur Instagram, déclarations émotionnelles en forme de storiesSnapchat : sommes-nous devant les nouveaux rituels post-rupture d’une génération qui a grandi avec les écrans ?

Wô les extrapolations, le journaliste trentenaire.

LA RUPTURE LOW PROFILE

Catherine, cégépienne lambda de Mont-Saint-Hilaire, a vu son couple se dissoudre l’an passé. Les gens qui la suivent sur ses plateformes en ligne, eux, n’ont rien vu. Elle ne se gêne pourtant pas pour s’exposer. Cette étudiante en communication, qui caresse « le minirêve d’être une influenceuse web », possède un compte Instagram ultraléché. « Mon feed a un thème », précise-t-elle. Ce qui signifie que toutes ses photos « “fittent” ensemble ». Le sien : les couleurs automnales.

Mais durant les premiers mois qui ont suivi sa séparation, elle n’a publié aucun cliché. Pas de mises en scène mélancoliques dans les teintes orangées. Pas de messages dark du genre « tu me manques » non plus. « Parce que ça ne regardait personne pis que ça a été un moment vraiment dur », lâche-t-elle.

C’est sûr que Catherine connaît des personnes « plus mélodramatiques » qu’elle. « Des posts comme “Ma vie ne mérite plus d’être vécue sans toi”, j’en ai peut-être vu. Mais normalement, c’est bien plus vague. Je pense que les jeunes de ma génération veulent garder leurs ruptures pour eux. »

Pas de mises en scène mélancoliques dans les teintes orangées. Pas de messages dark du genre « tu me manques » non plus. « Parce que ça ne regardait personne pis que ça a été un moment vraiment dur. »

Publicité

C’est exactement ce qu’a fait Catherine, qui s’est montrée « vraiment low profile ». Le cœur en peine, elle a bloqué son ancien chum sur Snapchat et Facebook (non, les jeunes n’ont pas totalement délaissé ce réseau social, mais ils utilisent essentiellement sa messagerie). Bon, elle a continué de suivre son ex sur Instagram, mais seulement pour qu’il puisse voir les stories qu’elle publiait quand elle sortait. Elle espérait que des vidéos d’elle en train de s’amuser le fassent réagir.

Dans l’absolu, on parle de comportements de cœurs brisés qui ont traversé les âges. Jouer sur les apparences et tenter de susciter le regret, c’est intemporel. Mais disons que c’est beaucoup plus facile aujourd’hui (et presque encouragé) d’étaler son fun dans le fil Instagram de son ex.

1998 VERSUS 2018

« Il faut arrêter de penser qu’on est devant une nouvelle race de jeunes à cause des réseaux sociaux ! » affirme la doctorante en communication Nina Duque, spécialiste des usages et des pratiques socionumériques des ados. D’une génération à l’autre, les comportements se ressemblent, selon elle. « Les pratiques se transposent en ligne », nuance la chercheuse, qui est aussi mère d’une fille de 18 ans.

Aujourd’hui, votre gardienne Mégane possède peut-être un finsta, un « fake Instagram », qui lui permet de visionner incognito les stories de sa nouvelle rivale.

Publicité

Il faut lui donner raison. Autrefois, on interrogeait tout son entourage à la recherche d’infos sur le nouveau chum de son ex. Aujourd’hui, votre gardienne Mégane possède peut-être un finsta, un « fake Instagram », qui lui permet de visionner incognito les stories de sa nouvelle rivale. (Ces comptes parallèles sont populaires auprès des jeunes. Ils s’en servent parfois pour « stalker », mais plus souvent pour partager des photos sans filtre de leur quotidien.) Autre exemple : avant, on roulait jusque chez son ex pour vérifier s’il passait la soirée chez lui. Votre voisin né en 2000, lui, utilise probablement la Snap Map, une fonction de géolocalisation de Snapchat, pour traquer son ancienne flamme.

Sur la forme, c’est différent. Sur le fond, c’est… relativement similaire. Reste que les réseaux sociaux ont considérablement étendu les possibilités de surveillance, insiste le professeur de communication Nicholas Brody, de l’Université de Puget Sound, dans l’État de Washington. Et ça, ça a pour effet d’altérer ou de compliquer le processus de peine d’amour.

Publicité

« J’ESSAYAIS DE SUIVRE SA VIE »

Victoria G., 18 ans, de Saint-Lambert, peut en parler. La jeune femme, dont la dernière relation amoureuse — « courte, mais intense » — a pris fin au printemps dernier, dit avoir « baigné longtemps dans la rupture ». Une baignade pleine de remous dans les eaux d’Instagram.

« Je me demandais : est-ce que je le “follow” encore ou je l’”unfollow” ? » explique-t-elle. Elle a tout essayé : suivre son ex, arrêter de le suivre, recommencer à le suivre, aimer ses photos, cesser d’aimer ses photos… Tout ça comme une angoissante partie de ping-pong — ou d’échecs ? — à laquelle l’ex en question participait aussi de son côté. Mais le pire, c’est tout le temps qu’elle a passé à essayer de le géolocaliser. « C’était devenu compulsif : j’allais constamment voir où il était sur la Snap Map ! »

Pendant cette période chargées en émotions, Victoria ne s’est toutefois jamais épanchée sur ses réseaux à propos de sa séparation. « Dans mon entourage, on fait vraiment attention à ce qu’on publie. Moi, je demande toujours à ma grande sœur de 20 ans si la photo et la caption que je veux mettre sont correctes. Je vais chercher son insight ! »

Publicité

Le genre d’insight qui a manqué aux (trop) démonstratifs Noah Cyrus et son ex ? Ce n’est pas pareil, car « les célébrités, elles, sont habituées à partager leur vie », juge Victoria. « Dans ma génération, le monde est vraiment plus réfléchi sur les médias sociaux », ajoute-t-elle.

Pas besoin de vous mentionner que son compte Instagram respecte aussi un « thème » et une palette de couleurs.

CONFIDENCES ET CONSEILS

Tous les cœurs brisés le disent : décrocher de l’être aimé, ce n’est pas évident sur les réseaux sociaux. L’ex se trouve toujours à un clic près… mais c’est aussi vrai pour les amis. Et ça, c’est pas mal plus réconfortant.

Nina Duque renchérit : « Il y a quand même de grandes conversations qui se passent en ligne. » Non seulement en privé sur Messenger, mais sur YouTube, qui reste la plateforme la plus populaire chez les adolescents et les jeunes adultes.

Tapez « We broke up » dans la barre de recherche et vous tomberez sur des milliers de vidéos d’influenceurs racontant leur rupture récente. Sous chacune d’elles, les commentaires d’abonnés s’empilent : « J’suis pas mal dans la même situation que toi » ; « Merci de montrer qu’il y a du beau dans la séparation » ; etc. etc.

« Il ne faut pas oublier que les jeunes ont peu d’expérience en matière de peines d’amour. Ils veulent savoir comment ça se vit. Ils ont besoin d’information et de modèles. »

Publicité

« Il ne faut pas oublier que les jeunes ont peu d’expérience en matière de peines d’amour », rappelle la chercheuse Nina Duque, dont la thèse de doctorat porte sur les pratiques de visionnement en ligne des ados. « Ils veulent savoir comment ça se vit. Ils ont besoin d’information et de modèles. » Plusieurs se tournent alors vers les youtubeurs, qui abordent leurs problèmes et leurs préoccupations.

« C’est la grande sœur ou le grand frère qu’ils n’ont pas eu », croit Nina Duque. Ou encore la Louise DesChâtelets qu’ils sont trop jeunes pour connaître.