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Vivre le dernier coup d’éclat des militants antispécistes de l’intérieur

«Local! Bio! c’est toute le même couteau! »

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Patrick m’a donné rendez-vous à 15h au métro Longueuil.

Je ne l’ai jamais rencontré, mais il accepte de me laisser l’accompagner pour vivre de l’intérieur le prochain stunt de la branche montréalaise de Direct Action Everywhere, le groupe antispécisme qui a fait beaucoup jaser dernièrement pour ses coups d’éclat au Joe Beef et dans une porcherie de Saint-Hyacinthe.

Patrick est prudent. À sa demande, nos échanges de textos se déroulent via une application permettant une correspondance sécurisée.

C’est un gaillard d’à peu près mon âge au visage dur qui se présente dans l’édicule pratiquement désert, sauf pour un camelot de L’Itinéraire et cette dame qui pourrait être ma grand-mère en train de quêter.

« Ferme ton téléphone et ton réseau s’il te plaît », me demande Patrick, avant de s’engouffrer avec moi dans le métro en direction de Montréal.

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Dans environ une heure, leur nouvelle action ciblera l’épicerie bio Rachelle-Béry de la rue Saint-Denis, mais je l’ignore encore.

Je me doutais bien qu’on n’irait pas dans une porcherie, puisque l’Union des producteurs agricoles du Québec vient tout juste d’obtenir une injonction pour empêcher les militants de manifester dans une ferme.

«Les médias se sont intéressés à nous à cause du Joe Beef, mais on faisait déjà des actions avant qui passaient sous silence», raconte Patrick

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En route vers cette nouvelle démonstration, j’ai l’occasion d’en apprendre plus sur les revendications du groupe. « Les médias se sont intéressés à nous à cause du Joe Beef, mais on faisait déjà des actions avant qui passaient sous silence », raconte Patrick, ajoutant que l’action en cours – comme les autres – sont prévues longtemps en avance.

Le militant se dit bien conscient que leurs coups d’éclat polarisent et suscitent moult critiques, souvent acerbes. Il vit bien avec ça, alléguant que la cause qu’il sert est noble. « Ce qu’on veut, c’est arrêter cette souffrance, cette barbarie à l’endroit des animaux. Les gens plaident qu’on brime leur liberté de manger ce qu’ils veulent, je les comprends. Même moi j’aurais sans doute trouvé qu’on exagère avant d’être au courant », explique Patrick.

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Par « être au courant », l’activiste explique faire référence aux conditions de vie inhumaines des animaux en élevage et aux souffrances endurées par ceux-ci avant d’atterrir dans nos assiettes. Une prise de conscience qu’il a lui-même vécue il y a un peu plus de 2 ans et qui a changé sa vie. « Le 4 novembre 2018 », lance-t-il avec précision, soit la dernière fois qu’il a mangé de la viande.

Ce nouveau mode de vie qu’il dit embrasser sans compromis a ensuite été adopté par sa famille, parfois au détriment de sa vie sociale, admet-il.

«On est contre l’exploitation animale point. Est-ce que c’était si différent d’avoir 20 esclaves dans un champ de coton ou 2-3 que tu traites bien?»

Quant aux critiques reçues sur le fait que le groupe ciblait des restaurateurs qui encouragent des producteurs locaux et non des grandes chaines comme McDonald’s , Patrick se fait cinglant. « On est contre l’exploitation animale point. Est-ce que c’était si différent d’avoir 20 esclaves dans un champ de coton ou 2-3 que tu traites bien? », illustre le militant.

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Patrick justifie sa propre conversion à trois choses qui l’ont profondément choqué : le gazage des cochons, le broyage des œufs mâles de poules et le massacre des veaux séparés de leur mère dès la naissance. « Moi je suis cartésien. J’avais besoin de preuves, j’ai eu ces preuves », explique-t-il, précisant ne pas pouvoir revenir en arrière, sauf en cas de survie.

Meeting au café

Notre métro arrive à la station Mont-Royal. C’est notre destination.

«J’ai l’impression de faire la bonne chose, au même titre que de crier que les Noirs sont libres, que les femmes peuvent voter et que les gais ont les mêmes droits que tout le monde »

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J’ignore toujours où on va. Je demande à Patrick s’il est nerveux. « Oui un peu, mais j’ai l’impression de faire la bonne chose, au même titre que de crier que les Noirs sont libres, que les femmes peuvent voter et que les gais ont les mêmes droits que tout le monde », compare Patrick, qui croit personnellement que la fin de l’exploitation animale est un long processus, qui ne se fera probablement pas de son vivant. « Faut voir ça à long terme.

Peut-être quand nos enfants seront des vieillards et que des pays commenceront à interdire l’exploitation animale. En attendant, chaque végan influence le reste de sa microsociété », plaide Patrick.

En sortant du métro Mont-Royal, nous croisons un gars avec un manteau Canada Goose. Patrick le toise avec dédain. « Un manteau rempli de souffrance », soupire-t-il, en référence aux oies et aux coyotes sacrifiés pour fabriquer ces vêtements.

Quelques minutes plus tard, nous arrivons dans un café végétalien de la rue Marianne, lieu de rendez-vous des militants avant leur stunt. Certains se braquent à la vue d’un journaliste, d’autres acceptent de me parler.

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Annick, elle, a fait sa transition végane en 2018, après l’écoute de Dominion, un documentaire choc sur l’élevage industriel.

« Les horreurs de ce documentaire m’ont révoltée. C’est tout simplement inadmissible! », peste Annick.

De l’autre côté de la table, Gabriel milite depuis cinq ans, envers et contre tous. C’est lui qui a filmé leur visite surprise au Joe Beef récemment. « J’étais content, même si j’ai reçu des messages de haine. Je sais que je suis du bon côté et je défends une cause à laquelle je crois », tranche le jeune homme.

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« On va faire ça vite »

16h. C’est l’heure. Le cortège de militants s’ébranle dans la ruelle, en route vers notre cible mystère. Plus d’une vingtaine de personnes ont répondu à l’appel, via la page Facebook du groupe. À ce moment, j’ai l’impression d’être le seul à ignorer la destination.

Au bout de la ruelle, les militants se rassemblent pour écouter les consignes. « Des médias ont ébruité la tenue d’un évènement. On va faire ça vite. On fait un petit discours et ensuite les slogans. Il y a deux stations de métro ensuite, alors disparaissez rapidement », explique un des activistes. Le groupe s’immobilise à la vue d’une autopatrouille, avant de poursuivre sa marche après son passage. De l’autre côté, un homme semble épier la scène en filmant avec son cellulaire. Quelques militants trouvent ça suspect. La tension grimpe d’un cran.

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Puis, les militants traversent Saint-Denis, entrent à la queue leu leu au Rachelle-Béry pour se regrouper devant le comptoir de la viande devant les clients et employés médusés.

Patrick s’époumone: «Les animaux ressentent la douleur! Les animaux ressentent la peur! Les animaux ressentent la tristesse!»

« Local ou bio, c’est toute le même couteau! » ou « Ce n’est pas de la nourriture, c’est de la violence! », peut-on lire sur les banderoles des activistes, pendant que Patrick s’époumone: « Les animaux ressentent la douleur! Les animaux ressentent la peur! Les animaux ressentent la tristesse! »

-Tout comme nous!, répondent d’une même voix les militants.

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Quelques minutes plus tard, c’est déjà la fin et tous les militants ressortent comme ils sont entrés, avant de s’évaporer dans la Ville.

Je suis retourné à l’intérieur recueillir les réactions à chaud des employés, encore saisis. « Notre viande est bio. Je trouve vraiment que ça ne sert à rien et c’est malaisant pour les clients », souligne une employée, approuvée par ses collègues.

«J’aime pas trop leur façon de faire, c’est un peu agressif. Me semble qu’il y a des causes plus primordiales», croit Catherine.

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Une des clientes confie avoir caché ses cuisses de poulet dans son manteau lorsque les militants ont commencé à scander leurs slogans. « J’aime pas trop leur façon de faire, c’est un peu agressif. Me semble qu’il y a des causes plus primordiales », croit Catherine.

En rentrant chez moi, je texte Patrick – sur l’application sécurisée – pour savoir pourquoi ils avaient choisi de cibler une épicerie bio.

« Pour justement démolir le mythe de l’exploitation animale éthique, locale et bio », me répond-il aussitôt, pendant que leur slogan « Local, bio, c’est toute le même couteau » résonne encore dans mes oreilles.

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Un couscous au poulet m’attendait à la maison. Il avait un drôle d’arrière-goût ce soir-là je dois avouer.

Au moment d’envoyer ces lignes, les médias commençaient à rapporter l’évènement. Et à voir les commentaires hargneux au bas des articles sur les réseaux sociaux, force est d’admettre que leur cause est encore loin d’être gagnée.