.jpg)
Vivre dans le néant professionnel depuis un an
On le sait, certains milieux professionnels en ont arraché plus que d’autres depuis un an. On n’a qu’à penser aux arts de la scène, au tourisme international et à la restauration – trois avenues de carrière qui ont l’air pas mal moins attrayantes aujourd’hui qu’en février 2020, mettons.
Des milliers de personnes qui travaillaient dans ces secteurs de l’économie ont vu leur cheminement professionnel chamboulé du jour au lendemain.
Sans parler des conséquences parfois fâcheuses pour le compte de banque.
Trois anciens travailleurs ont accepté de nous parler de leur réalité un an après avoir perdu leur emploi.
Rester cloué au sol
Martin Robert s’attendait à retourner travailler comme agent de bord en revenant de vacances en mars 2020. Mais la pandémie en a décidé autrement. «J’ai travaillé une semaine puis j’ai été coupé. Je n’ai pas retravaillé depuis ce temps», confie l’ancien employé d’Air Canada.
D’abord éligible à un programme de subvention salariale, puis à la PCU jusqu’à la fin de l’été, le père de famille de quatre enfants s’est finalement tourné vers le chômage. «J’ai étudié en tourisme, ensuite j’ai travaillé en cuisine pendant 12 ans, puis 13 ans comme agent de bord. Donc, disons qu’avec un CV comme le mien, la recherche d’emploi n’est pas évidente.»
«J’ai travaillé une semaine puis j’ai été coupé. Je n’ai pas retravaillé depuis ce temps.»
Vu le relâchement des mesures et un certain retour à la normale l’été dernier, David croyait que son ancien employeur allait l’appeler pour lui offrir des contrats pendant la saison forte. «Finalement, l’été est passé puis j’attendais au temps des Fêtes pour voir si ça allait reprendre, mais la situation a juste continué de s’empirer. Là, je me demande même si je vais être rappelé d’ici Noël prochain…», se questionne l’agent de bord, qui aimerait bien retourner dans les airs plus tôt que tard.
«je me demande même si je vais être rappelé d’ici Noël prochain…»
Côté finances personnelles, Martin explique avoir tout arrangé pour ne pas «être dans le trouble» malgré sa perte d’emploi. «J’ai retiré tout mon CELI au début de la crise pour payer mes dettes et une partie des dépenses courantes. Pendant l’été, j’ai aussi vendu mon auto, donc ça m’a permis de récupérer un petit montant. On est également locataires et l’immeuble appartient à ma belle-mère, qui nous fait un méga deal sur le loyer, donc on sauve pas mal là-dessus. Sans parler des voyages qu’on ne fait plus et des activités coûteuses qui se font rares», explique le père de famille.
En attendant que les voyages reprennent, Martin prête parfois main-forte à des amis du milieu du cinéma sur des plateaux de tournage. «Récemment, j’ai aussi élaboré un menu de Saint-Valentin en collaboration avec un resto. Ce sont des petits contrats qui me permettent d’allonger mon chômage un peu puisque je les déclare», explique-t-il.
«J’ai décidé d’arrêter de me mettre de la pression avec le fait de me trouver une job et de juste apprécier cette période de ma vie», conclut l’agent de bord.
Goodbye, Darling
«La restauration, c’était ma passion», avoue d’emblée Maryse Gagnon, ancienne barmaid et serveuse du café resto-bar Le Darling situé sur le boulevard Saint-Laurent.
Il va sans dire que l’annonce de la fermeture des bars et des restaurants à la mi-mars l’année dernière a été un choc pour la jeune femme de 27 ans. «Ça s’est fait très vite. On nous a annoncé qu’on fermait et nos boss nous ont donné des restants de bouffe pour ne pas la perdre», se remémore Maryse.
«Ça s’est fait très vite. On nous a annoncé qu’on fermait et nos boss nous ont donné des restants de bouffe pour ne pas la perdre.»
Avec une diminution des cas de COVID-19 l’été dernier, le Darling a finalement rouvert ses portes. «Je suis retournée travailler une journée, mais la visière me donnait des maux de tête et des vertiges, donc j’ai préféré ne pas prolonger mon retour et tomber sur la PCU à la place», confie-t-elle au bout du fil.
Au mois d’août, alors que ses anciens collègues sont «à boute» en raison d’un gros achalandage et d’une équipe réduite, Maryse se fait rappeler par ses anciens patrons pour aller donner un coup de main au service. L’expérience a eu un goût doux-amer pour la professionnelle en restauration, qui n’a pu retourner que quelques semaines sur le plancher avant de devoir redonner son calepin de commandes une seconde fois en raison de la deuxième vague qui est arrivée à l’automne.
«Je ne suis pas trop à plaindre puisque je peux toucher jusqu’à 50 semaines de chômage vu que je travaille en restauration», se console Maryse.
«Je ne suis pas trop à plaindre puisque je peux toucher jusqu’à 50 semaines de chômage vu que je travaille en restauration.»
Si l’avenir demeure incertain pour Maryse, elle ne se décourage pas pour autant. «Je suis retournée vivre chez mes parents à Saint-Agathe-des-Monts et j’ai sous-loué ma chambre dans un appart à Montréal, donc je n’ai pratiquement plus de dépenses courantes à me soucier. J’ai commencé à m’entraîner, je vais dehors tous les jours et j’ai arrêté de boire pendant un bon bout de temps depuis que je suis ici. Ça me fait un bien fou. Je me suis rendu compte que c’était pas viable à long terme de faire le party tous les soirs», confie-t-elle en direct de chez ses géniteurs.
L’argent qu’elle empoche avec le chômage, elle le laisse «dormir» dans son compte, chose qu’elle n’a jamais faite auparavant. «J’avais littéralement rien comme argent de côté. Je dépensais tout ce que je faisais dans la bouffe et l’alcool consommés après mes shifts. Là, je peux enfin voir le montant grimper de mois en mois. Je commence à comprendre ce que c’est qu’être une adulte», affirme Maryse en riant.
«je peux enfin voir le montant grimper de mois en mois. Je commence à comprendre ce que c’est qu’être une adulte.»
Récemment, l’ancienne serveuse a également commencé des démarches auprès d’un orienteur afin de voir «d’autres chemins d’avenir possible». «Je ne sais pas trop encore ce que je veux faire de ma vie. C’est sûr que j’ai encore beaucoup d’amour pour la restauration, donc peut-être que je vais me diriger vers l’entrepreneuriat pour en apprendre plus sur comment gérer une business. On verra bien!»
Perdre sa job, mais être plus riche qu’avant
Avant que la pandémie ne tire les rideaux sur pratiquement tous les événements culturels de la province, David Monterrey Dugré travaillait chez Solotech, une entreprise spécialisée dans l’équipement de scène. «J’ai entamé des études en technique de l’électronique en audiovisuel dans le but de devenir technicien de scène et je m’étais dégoté une job là-bas comme responsable des commandes d’éclairage pour en apprendre plus sur le milieu», raconte David.
Alors que le coronavirus commençait à être sur toutes les lèvres l’année passée, l’étudiant au cégep n’a pas hésité à prendre congé de son boulot en raison d’un mal de tête, un des nombreux symptômes de la COVID-19. «Je voulais pas prendre de chance, donc j’ai avisé mon boss que je ne rentrerais pas et il m’a annoncé du même coup qu’il y avait des mises à pied temporaires.»
«mon boss m’a annoncé du même coup qu’il y avait des mises à pied temporaires.»
Trois mois plus tard, il reçoit la nouvelle: les mises à pied sont permanentes. «Ils ont clairé pas mal tout le monde», explique-t-il.
Comme bien des Québécois, David s’est retrouvé dans une situation un peu bizarre et ne savait pas trop sur quel pied danser. «Je me suis dit que je prendrais la PCU et que j’attendrais que les choses se stabilisent pour retrouver mon emploi. Un an plus tard, ça ne regarde pas très bien pour ça», confie David, qui a récemment contacté une connaissance chez Solotech afin de voir les possibilités de stage de fin d’études.
«Je me suis dit que je prendrais la PCU et que j’attendrais que les choses se stabilisent pour retrouver mon emploi. Un an plus tard, ça ne regarde pas très bien pour ça.»
Dans les mois qui ont suivi sa mise à pied, David mentionne avoir «surfé» sur la PCU pendant un bon bout de temps. «Même en travaillant 30 heures par semaine plus l’école, je faisais moins d’argent qu’avec [la PCU] et le chômage des derniers mois», avoue-t-il.
L’étudiant a même réussi à économiser plus d’argent qu’auparavant. Son CELI est passé de 25$ à 1000$ et il a accumulé plus de 2000$ dans son compte d’épargne. «C’est vraiment ironique que j’aie autant d’argent puisque c’est la première fois en 12 ans que je ne travaille pas», explique David, qui confie avoir vécu un été «comme celui de ses 14 ans», où ses journées tournaient autour des games de Xbox qu’il allait jouer.
«Même en travaillant 30 heures par semaine plus l’école, je faisais moins d’argent qu’avec [la PCU] et le chômage des derniers mois.»
Si l’année qui vient de passer lui a appris quelque chose, c’est qu’il n’a pas envie de retourner travailler dans une «jobine». «Je me suis rendu compte que ça n’avait pas de bon sens de vivre avec un salaire aussi bas quand Trudeau a décrété que ça prenait 2000$ par mois pour vivre dignement et que moi, je faisais la moitié de ça en travaillant quasiment à temps plein.»
Avec son DEC qui tirera à sa fin dans deux mois, David ne sait pas trop ce que l’avenir lui réserve ni même s’il restera dans le milieu des arts de la scène vu le contexte actuel. «Je pense que je vais devoir me résigner à envisager un plan B en termes de carrière si ça continue comme ça.»
Presque un an jour pour jour après le début (officiel) de la pandémie, naviguer l’incertitude professionnelle fait toujours partie du quotidien de bon nombre de travailleurs qui aimeraient retrouver un salaire décent.
En attendant le jour où on pourra déguster un repas au resto sans distanciation, aller voir une pièce de théâtre dans une salle comble ou aller dans le Sud sans se faire traiter de «touristata», plusieurs Martin, Maryse et David de ce monde se cherchent un avenir professionnel. Ayons une petite pensée pour eux et elles.