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Le lendemain du party de Noël, votre collègue est dans vos DM : «Wow! Excellent ta prestation de Maudit bordel a cappella debout sur la table avec la bouteille de mousseux comme micro!»
Des images floues, vibrantes et troublantes de la veille vous envahissent. Vous ne pouvez juste pas croire que ça s’est passé pour vrai. Vous finissez par répondre: «Hein?! De quoi tu parles?? J’ai jamais fait ça!» Vous êtes dans le déni.
C’est, en quelque sorte, la version soft de cet état, celui qu’on a à peu près tous expérimenté au cours de notre vie.
On se demande comment les agresseurs peuvent lancer des « J’ai pas toujours été correct avec X, mais je n’ai jamais agressé personne » sans sourciller.
Mais dans le contexte actuel de la vague de dénonciations, et complètement à l’autre bout du spectre, le déni dont font preuve certains agresseurs – parfois publiquement à travers des excuses qui n’en sont pas vraiment – peut faire bien des ravages pour les victimes en processus de guérison.
Devant des témoignages parfois accablants, on se demande comment les agresseurs peuvent lancer des « J’ai pas toujours été correct avec X, mais je n’ai jamais agressé personne » sans sourciller.
On s’est entretenu avec Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, pour comprendre ce mécanisme et savoir ce qu’il nous apprend sur les agresseurs.
Déni ou négation?
«Il faut faire la distinction entre le déni et la négation. La négation se résume à invalider l’existence de quelque chose complètement. Être dans le déni, c’est ne pas reconnaître un fait tangible comme étant vrai», résume Christine Grou.
Encore pas trop clair? La psychologue donne un exemple pour illustrer ses propos. « On peut penser à quelqu’un qui reçoit un diagnostic de cancer, mais qui ne veut rien entendre et fait comme si de rien n’était. Ça, c’est du déni. En gros, c’est un mécanisme de défense que le cerveau adopte lorsqu’il ne veut pas gérer une information trop choquante. C’est une manoeuvre inconsciente», explique-t-elle.
«Il faut faire la distinction entre le déni et la négation. La négation se résume à invalider l’existence de quelque chose complètement. Être dans le déni, c’est ne pas reconnaître un fait tangible comme étant vrai.»
Comprendre la distinction entre le déni et la négation est fondamental pour analyser les réactions des personnes accusées en ce moment selon Christine Grou. «Quelqu’un qui fait une mauvaise lecture des désirs de l’autre et pense qu’elle est consentante sur le coup ne comprendra pas que la personne l’accuse d’agression par la suite puisque dans sa tête, tout était correct. Elle tombe donc dans le déni face à ces accusations».
En revanche, quelqu’un qui agresse «consciemment» une autre personne et rejette les faits est dans la négation selon elle. «Sur le plan psychologique, on peut dire que la personne qui est dans le déni n’est pas de “mauvaise foi”. Celle qui nie, oui», résume la psychologue.
«Si on regarde des personnalités connues récemment inculpées, on retrouve les deux types de profils d’agresseurs. Il y a ceux qui ont agi en sachant pertinemment qu’ils faisaient du mal et ont renié toutes les accusations par la suite. Ce sont généralement des gens très narcissiques. Puis il y a ceux qui ont été surpris de se faire arrêter pour leurs actions, qu’ils ne jugeaient pas nécessairement blessantes sur le coup ».
Éduquer, prévenir
Selon la présidente de l’Ordre des psychologues, dans les deux cas les actions sont répréhensibles, mais la personnalité de l’agresseur et son parcours vont jouer sur la façon dont on peut intervenir auprès de lui « Certaines personnes ont des carences en ce qui a trait aux aptitudes émotive et empathique, d’autres ont des troubles neurologiques ou psychologiques. Il faut donc les traiter au cas par cas et évaluer ce qui est à l’origine de ces agressions».
Une étude de 2007 de l’Université de Montréal auprès d’agresseurs vient appuyer les propos de Christine Grou. La thèse intitulée Les variables associées chez les agresseurs sexuels incarcérés relève que «la négation est un phénomène complexe et multivarié qui est influencé non seulement par les faits et actes associés au crime commis, mais également par un ensemble précis de variables qui comprend la situation psychologique et émotive de l’agresseur, son type de personnalité, les difficultés qu’il a rencontrées dans l’enfance ou dans les heures précédent le crime, ainsi que les désinhibiteurs situationnels qui ont accompagné la commission de son crime».
«Ce ne sont pas toutes les victimes qui sont à l’aise de dénoncer l’agression. Pour certaines d’entre elles, c’est mieux d’éviter d’en parler pour protéger leur entourage ou simplement se protéger elles-mêmes.»
Pour la psychologue, la meilleure manière de prévenir de tels actes de violence sexuelle reste la prévention sur plusieurs plans. «Quand on parle d’entreprise par exemple, il faudrait revoir la culture organisationnelle qui favorise le peer pressure et la modifier afin que l’environnement de travail demeure sécuritaire. Dans les sphères sociales, je crois qu’il ne faut pas hésiter à en parler avec ses proches. Tous les gestes pour éduquer les gens là-dessus sont importants».
Et si on est témoin d’une agression ou que l’on connaît quelqu’un qui en a été victime, faut-il encourager la dénonciation? Pas nécessairement selon Christine Grou. «Ce ne sont pas toutes les victimes qui sont à l’aise de dénoncer l’agression. Pour certaines d’entre elles, c’est mieux d’éviter d’en parler pour protéger leur entourage ou simplement se protéger elles-mêmes. Pousser quelqu’un à dénoncer peut même recréer une forme de violence».
Chaque victime gère son agression différemment. C’est pourquoi il vaut mieux demander directement à la victime si elle a besoin d’aide et si oui, comment on peut l’aider explique la psychologue. «C’est aussi important que la victime connaisse ses recours et qu’elle puisse se sentir en confiance lorsqu’elle partage son expérience».