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Vivre au motel en attendant un logement
« Il y a de tout, ici, c’est un microcosme de la société. Ce qui nous unit tous, c’est la misère. »
Antoine s’allume une nouvelle clope dans le stationnement de l’Hôtel Newstar, un complexe bon marché situé en bordure de l’autoroute Métropolitaine, dans le quartier Saint-Léonard.
« Je pensais arrêter de fumer, mais ça m’aide à socialiser, ici », soupire ce père de trois enfants âgé de 37 ans, qui a atterri ici après un divorce difficile.
Ça fait trois mois qu’il vit dans une chambre du Newstar, avec son Husky et un colocataire à qui il ne demande pas une cenne. Avant d’échouer ici, il a aussi habité dans son char pendant un moment.
« Tu ne peux pas demander de l’argent à des gens qui n’ont rien, des compagnons de galère », lance le gaillard sympathique, qui refuse toutefois de me laisser entrer chez lui pour prendre quelques photos. « C’est mon terrier, j’aime mieux pas. Et puis, il y a des canettes de bière qui traînent… ».
Ici, Antoine est loin d’être le seul à essayer de survivre. Prostitution, drogues, problèmes de santé mentale : le voisinage est instable, parfois bruyant, mais bien soudé.
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« Je n’ai jamais vu de violence. Ce que j’aime, dans cet hôtel, c’est justement sa diversité », souligne le locataire, qui, à l’instar de plusieurs, cherche un moyen de s’en sortir. En vain, vu le contexte de crise actuel. « Quand tu trouves un logement, t’es toujours en compétition avec au moins dix autres personnes. Avec un chien, c’est encore plus compliqué et moralement, ça devient très difficile. Un hôtel, ça peut rapidement devenir un piège », déplore Antoine, téléchargeant malgré lui dans ma tête les paroles de Hotel California :
You can check out any time you like,
but you can never leave.
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Antoine doit allonger environ 1700$ par mois pour sa chambre, un prix qui inclut le wifi, une télé, un mini-frigo, une plaque de cuisson à induction et le chauffage. Le tarif de base est de 1450$, mais il doit payer un supplément pour son chien, en plus d’un dépôt de 100$.
C’est cher, mais c’est la réalité de plusieurs qui sont incapables de trouver un logement décent et abordable. D’autres, croisés ici, disent préférer la formule tout inclus d’un hôtel à un bail et des comptes à payer.
Une décennie au motel
En fait, j’ai l’impression qu’il y a ici autant d’histoires que de locataires.
Comme cette dame en file devant la réception, qui attend de refaire magnétiser sa carte lui donnant accès à la salle de lavage . « J’habite ici depuis trois ans, dans une chambre du fond, avec les autres mensuels. Dans mon cas, c’est surtout pour ne pas mettre la moitié de ma pension de vieillesse dans un loyer », justifie la dame, qui a toute la misère du monde imprimée sur son visage.
Les chambres situées au fond du stationnement sont réservées pour les longs séjours. Elles sont moins chères que celles de la section où habite Antoine, soit 1200$ par mois.
Je m’improvise locataire pour voir à quoi ressemblent les deux modèles de chambres. L’employé à la réception me tend deux cartes d’accès en échange de ma carte d’assurance maladie. « Si tu veux des ustensiles, c’est 28,74$ pour les louer et 50$ pour les acheter », mentionne-t-il.
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La première chambre, celle à 1450$, est relativement propre. Bon, ça ne vaut pas le prix, mais si on le divise par jour, ça revient à environ 50$ par nuit. Le matelas a l’air confortable et la vue donne sur la rue Jarry.
Je marche vers le fond du parking pour comparer avec la chambre à 1200$.
En chemin, je fais un arrêt au bar du lobby, où la barmaid est seule. « C’est plus tranquille qu’avant, ici. Mais il y a toujours des gens un peu malades, comme partout. Si tu restes dans ta chambre, t’auras pas de problèmes », résume-t-elle. Cet avant faisant référence au Métropole et au Excel, les deux anciennes vies du complexe hôtelier qui avaient la réputation de brasser.
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La situation s’est effectivement calmée, atteste le policier qui surveille la circulation de son autopatrouille garée à l’entrée du stationnement. « On a pas mal de proxénétisme, mais pas trop d’appels de bruit et de violence », souligne-t-il, avec un non verbal me suggérant d’aller vivre ailleurs.
Le policier écarquille les yeux quand je l’informe des tarifs mensuels pour une chambre. « À ce prix-là, tu pourrais sûrement trouver un 3 et demi à Saint-Léonard! »
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De retour à l’intérieur, j’emprunte un couloir poussiéreux pour accéder aux chambres du fond. Des travaux de rénovation sont en cours et des ouvriers sont à pied d’œuvre. La chambre 198 est une version défraîchie de la première visitée. La salle de bain est plus petite.
Dans la chambre voisine, le volume de la télé fait un boucan. Je cogne pour savoir à quoi (ou à qui) m’attendre, si je déménage ici. La porte s’ouvre sur une chambre plongée dans le noir d’où émerge un homme à la chevelure hirsute. « C’est tranquille, ici. S’il y a un problème, la réception est proactive », marmonne-t-il d’une voix éteinte, avant de refermer la porte.
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Au bout du couloir, près de la buanderie, Kathleen revient avec des sacs d’épicerie. Ça fait 10 ans qu’elle habite dans sa chambre perchée au deuxième étage. Ça peut paraître beaucoup, mais elle est loin d’être la doyenne de l’endroit. Un résident du même étage habiterait l’endroit depuis maintenant 35 ans. « Moi, c’est pas tant à cause de la crise du logement que je reste ici. C’est que je me sens plus en sécurité que dans les appartements où je vivais avant », laisse-t-elle tomber.
En quittant, je croise un employé au volant d’un kart de golf dans le stationnement.
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2400$ par mois
Je mets le cap vers la Rive-Sud, où se trouve le Motel La Siesta. Plusieurs établissements du genre peuplent le boulevard Taschereau. La dame à l’accueil est méfiante lorsque je lui demande s’il est possible de louer une chambre au mois. « On ne fait pas ça. Ici, c’est 100$ la nuit », tranche-t-elle.
À 3000$ par mois, on va oublier ça.
Je roule quelques kilomètres jusqu’au Motel Falcon, où on ne fait pas de prix d’ami, non plus. « Je peux le faire à 80$ la nuit, donc 2400$ par mois », me propose l’employée de la réception.
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Un client présent au comptoir intervient et m’encourage vivement à aller au Grand Motel Saint-Hubert pour une location à long terme. « C’est pas mal moins cher, là-bas. La moitié moins! », lance-t-il, piquant au vif l’employée.
« C’est très loin, il n’y a pas d’autobus et beaucoup de prostitution! », avertit-elle.
Une préposée au ménage pousse un panier d’épicerie dans le vaste stationnement du Grand Motel Saint-Hubert. Une piscine remplie d’eau verdâtre trône au milieu de ce complexe vieillot de près de 200 chambres, dont la majorité héberge de longs séjours.
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Au comptoir, on m’informe que les tarifs sont de 1200$ et 1500$ par mois pour les chambres, en plus de 200$ de dépôt en argent comptant, idéalement. « À 1200$, les chambres sont un peu moins tranquilles », souligne l’employée, d’un ton entendu.
La dame, fort sympathique, m’emmène visiter deux chambres, après avoir appelé un taxi pour un des résidents. Elle semble connaître tout le monde par leur petit nom.
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On visite une première chambre, celle à 1200$, où se trouve une femme de chambre. La pièce est vraiment crottée, avec un vieux matelas rapiécé, un bain couvert de traces noirâtres et une nuée de mouches plane au-dessus d’une minuscule télévision. « Internet ne fonctionne pas fort », avoue-t-elle. Certaines chambres sont fumeurs et l’odeur s’est incrustée.
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Ma guide baragouine quelque chose à l’employée de l’entretien, qui ne parle ni anglais ni français.
« Le voisin est bruyant, la nuit, et fouille dans les poubelles. Je réserve mes meilleures chambres aux travailleurs », explique-t-elle, en m’entraînant vers les chambres en question au fond du stationnement.
En chemin, on croise un véritable dépotoir à ciel ouvert devant la chambre du voisin, celui qui fouille dans les poubelles. Par la fenêtre, on voit l’accumulation de ses trouvailles encombrer complètement sa chambre jusqu’au plafond. Les deux prochaines chambres sont barricadées en raison d’un incendie.
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Côté travail du sexe, l’employée m’explique que l’administration a fait le ménage l’an dernier. « On en avait une qui cognait aux portes à 3h du matin, mais elle a déménagé de l’autre bord (dans un autre motel) », m’assure l’employée.
Les chambres à 1500$ sont un peu mieux, mais ne paient pas de mine non plus. Un euphémisme.
Un homme vêtu d’un habit de construction tourne la clé dans la porte de la chambre voisine après sa journée d’ouvrage. Un gros chien et un chat l’accueillent. « J’attends de déménager, mais je pense que tu pourrais trouver mieux qu’ici, pour 1500$ par mois », me conseille-t-il. « Mais si tu as un voisin trop bruyant, tu peux demander de changer de chambre », ajoute-t-il avec empathie.
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En quittant, je croise dans le stationnement deux voitures remplies de cochonneries.
Une vision épouvantable qui me rappelle que la crise du logement, dans plusieurs cas, va bien au-delà de l’aspect monétaire.
Elle prend aussi la forme d’une enclave de misère à 1200$ ou 1500$ par mois, avec le câble, mais pas toujours Internet.