Dans une tempête de crécelles, de cloches à vache et de cris stridents de parents en transe, je m’assois entre les iPads américains et les drapeaux autrichiens qui flottent fièrement. « Une place de choix! », m’exclamai-je à mon nouveau voisin. « Et si jamais ça brasse, on aura la meilleure vue pour le show! », renchérit-il en riant. Une amitié est née.
Je remarque rapidement que Danny dissimule dans le creux de son Kanuk, pour les maintenir au chaud, un nombre impressionnant de hot-dogs emballés dans du papier d’aluminium. Chaque cinq minutes, il en sort un, l’engloutit et froisse l’emballage en une boulette métallique qu’il accumule sous son banc, en prenant soin de faire descendre le tout avec une longue gorgée de rousse.
Il n’y a pas encore un seul but au tableau que le jingle officiel du tournoi, datant de 1964, nous rentre dans la tête pour ne plus jamais en sortir. Mon compagnon l’entame volontiers les yeux fermés : « 1-2-3 go! Pee-Wee, Pee-Wee, Pee-Wee, Pee-Wee, Pee-Wee! Vive les Pee-Wee du Carnaval! ».
Est-ce de petites boules de ouate logées dans ses oreilles?
Notre relation évolue à coups de call gras et d’analyses pointues d’avantage numérique. Il ne se fait pas prier pour avaler d’un trait le shot de Jack au miel que je refuse, carême oblige. À son tour, il décline de se faire prendre en photo, invoquant un petit mensonge à sa blonde. Il lui a dit être coincé à la job, alors que dans les faits, il se gomme solide devant du hockey mineur. Aux « Pee-Wee », comme il l’appelle, il retrouve quelque chose qu’il chérit depuis qu’il est tout petit, quelque chose comme une tradition.
Mais ce n’est pas trop long avant qu’on se fasse virer de nos places, celles-ci étant réservées aux familles. À peine ai-je eu le temps de me retourner que voilà Danny disparu dans la foule.
Adieu.
.jpg)
Depuis sa création en 1960, le célèbre TOURNOI INTERNATIONAL DE HOCKEY PEE-WEE DE QUÉBEC a vu défiler des légendes, de Wayne Gretzky à Mario Lemieux en passant par Auston Matthews. Même mon père y a joué! Cette année marque donc la 64e édition de ce qui est considéré comme rien de moins que le plus grand tournoi de hockey mineur au monde.
Il s’agit d’une première visite pour moi, du tournoi et de cet orphelin de Centre Vidéotron qui, ma foi, n’a rien à envier aux amphithéâtres de la LNH. Sans surprise, il pullule de ces inconsolables aux couleurs des Nordiques. Vont-ils un jour s’en remettre?
.jpg)
L’équipe autrichienne remporte les honneurs du niveau AA en revenant de l’arrière contre une équipe américaine plaintive et immature. La troupe européenne aura offert une cohésion franchement plus élégante. Un des joueurs a même réussi une superbe passe Michigan. Ils ont quoi, 11-12 ans?
.jpg)
En coulisses, des adolescentes se promènent main dans la main, telles des amazones aux cheveux bouclés, jogging gris et camisoles serrées. L’aréna, semblable au centre commercial, offre un rare lieu de rencontres fortuites pour la jeunesse, où, dans les faits, rien n’est vraiment laissé au hasard.
.jpg)
Le dernier espoir pour le Québec repose sur les épaules des joueurs de l’école Fadette de Saint-Hyacinthe, catégorie AA-Élite. Ils affrontent l’Alliance de la Floride, coachée par nul autre que Vincent Lecavalier, ancienne vedette de la LNH, qui a lui-même participé au tournoi il y a 30 ans. Il entraîne aujourd’hui son fils, Gabriel, qui attend impatiemment sa poussée de croissance.
Crudités, sandwichs, bols d’arachides… Suis-je le seul qui n’a pas apporté son lunch? Ma voisine d’en haut me tend gentiment son sac de Crispers all dressed. Il s’agit de Lorraine, une infirmière à la retraite qui n’a pas la langue dans sa poche, aux « r » roulant comme dans un conte d’antan.
– Check-moi ça, le p’tit loafer. Un vrai p’tit tricheur!
– Y’a mangé son spaghetti pour être grand d’même!
– Un m’ment d’né coco, on peut pas tout pardonner!
– Tu veux-tu danser ou scorer?
– Quand y touche au puck, l’aréna prend vie!
Entre les vieilles tracks à l’orgue et Sandstorm de Darude, sa prose est une poésie dans l’après-midi.
Juste en dessous de nous se dandine un infatigable Fardoche défoncé au Pepsi. À chaque morceau, ce grand incompris se lève et danse pour amuser les partisans.
« Je manque pas une année! affirme-t-il, débordant d’entrain. Tout le monde m’appelle le Père Noël de Limoilou! »
.jpg)
Les preux Maskoutains aux cheveux verts s’imposent par la marque de 2 à 1. Une leçon pour ces jeunes bronzés venus défier la maison des fils de fermiers élevés au maïs. Dans la victoire, il ne faudrait pas oublier le brio de Florence Gagnon, cette jeune gardienne à la tresse d’or.
Le trophée est remis par les hauts dirigeants du tournoi, lire ici les commanditaires, avec la présence symbolique de la Gendarmerie royale du Canada entre les deux créatures emblématiques du tournoi. Difficile de distinguer qui sont les mascottes sur le tapis rouge.
.jpg)
Le vrai tournoi se joue toutefois ailleurs que sur la glace. C’est dans les corridors que se déroulent les parties les plus acharnées, celles de mini-hockey. Partout, des poteaux de but improvisés avec des bottes, des bas sales et des genoux écorchés. C’est là que se gravent les plus beaux souvenirs.
Avant la grande finale AAA, je me retrouve par hasard à une table où ni le français ni l’anglais ne semblent avoir cours. La langue universelle y est celle des affaires. Je découvre un véritable petit marché en ébullition, presque clandestin, où les échanges d’épinglettes battent leur plein.
.jpg)
En effet, j’apprends que ces marchands aux dents bleutées par la slush font perdurer une vieille tradition. De nombreuses équipes font fabriquer des épinglettes à leur image et les offrent en cadeau à leurs adversaires lors des parties. Joueurs, frères et pères s’amusent à les échanger, enrichissant ainsi leurs collections au rythme des compétitions.
.jpg)
Tandis que la zamboni accomplit son lent ballet mécanique, une frénésie s’empare des gradins. Malgré les avertissements répétés, les spectateurs se précipitent aux baies vitrées, avides de capturer un précieux frisbee lancé par Champ-Pee, la mascotte du tournoi.
.jpg)
Devant 10 000 personnes, les Junior Rangers de New York ne font qu’une bouchée des Corneilles de Semiahmoo, de la Colombie-Britannique, qui n’ont d’autochtone que le totem sur leur maillot.
.jpg)
L’ancienne équipe que dirigeait Martin Saint-Louis avant les Canadiens se distingue par sa structure rigoureuse et son unité. Nullement intimidée par les bœufs de l’Ouest, cette formation de petite taille a su tirer profit de son jeu d’équipe qui donnerait du fil à retordre à mon équipe garage.
Ils blanchissent la jeune sensation du tournoi, Parker McMillan, meilleur pointeur et détenteur d’un vrai plomb malgré son âge. Il sera un espoir à surveiller au repêchage de la LNH en 2032. Vous l’aurez appris ici.
.jpg)
Les estrades se vident. L’hymne We Are the Champions retentit tandis que les parents euphoriques mitraillent leur progéniture et dans le camp adverse, les larmes coulent à flots sur les joues de la préadolescence.
Bref, une autre édition réussie.