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Visiter l’expo des Cowboys Fringants avec domlebo 

Comme une étoile filante dans l’histoire du groupe.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« J’y vais en touriste! », lance Dominique Lebeau, alias domlebo, en débarquant avec sa chemise à fleurs, son chapeau provençal, ses bermudas et sa bouteille d’eau réutilisable au Centre d’art Diane-Dufresne de Repentigny.

Sa mission : visiter avec moi l’exposition consacrée jusqu’en octobre aux Cowboys Fringants, des héros locaux devenus des chouchous nationaux près de trente ans après leurs premiers accords à la brasserie La Ripaille.

Et qui de mieux pour me servir de guide que l’ancien batteur qui a vu le petit band humoristico/country/grunge devenir un phénomène de masse, avec plus de deux millions d’albums vendus et une vingtaine de Félix.

domlebo était à la batterie durant la première décennie de l’histoire du groupe, de 12 grandes chansons à La Grand-Messe. Les meilleures années de mon point de vue de fan qui a décroché après La Grand-Messe (selon moi le black album du groupe), même si les Cowboys sont toujours bien en selle (ho-ho) et fédèrent de nouvelles cohortes de fans (dont ma fille adorée et ma vieille mère).

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Avant d’entrer voir l’expo, on profite un peu du soleil sur les chaises extérieures de l’espace culturel, où se voisinent de jolies fontaines d’eau, le théâtre Alphonse-Desjardins et un cimetière.

L’architecture des lieux impressionne l’ancien conseiller municipal de Saint-Lambert (où il habite toujours), qui avait aussi brigué la mairie en 2017.

« J’aime l’urbanisme. Il y a de beaux parcs à Repentigny et ça fait chaud au cœur de voir ce qu’on a fait avec la piste cyclable sur Brien », analyse domlebo, qui a fait un arrêt chez son père à Charlemagne avant de me rejoindre.

Si Repentigny (by the sea) est indissociable de l’épopée des Cowboys Fringants, domlebo s’est toujours senti un peu outsider ici, à l’image de son statut au sein du groupe.

Loin de l’amertume, la séparation s’est faite sans animosité, mais sans effusion non plus. Un courriel après un spectacle au festival des Mongolfières, envoyé comme un plaster qu’on enlève d’un coup sec. « Il n’y a pas de rupture élégante », affirmait-il avec transparence il y a une douzaine d’années à La Presse.

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Avouant être doté d’une personnalité qui n’est pas toujours facile à vivre, il résume grosso modo son départ au fait qu’il n’allait pas dans la même direction que les autres membres du groupe.

Pour illustrer ça concrètement, il tend sa main ouverte, où quatre doigts pointent en l’air et le pouce part seul de son bord.

Quinze ans plus tard, il regarde le groupe aller de loin sans être resté buddy avec ses membres, sauf peut-être le bassiste Jérôme Dupras qu’il a revu dans des événements militants.

«Je suis conscient que c’est risqué de se coller à un parti politique, mais ils pourraient se prononcer sur des projets de loi ou sur l’actualité. Je les féliciterais si c’était le cas.»

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Parce que c’est un peu ça qui l’a fait partir. S’il a aimé le virage engagé du groupe avec Break syndical, domlebo voulait aller plus loin. « JF Pauzé (le compositeur principal) dresse un portrait triste, réaliste, descriptif, mais on n’entend pas parler de mobilisation ou d’espoir. Je ne changerais pas un mot de L’Amérique pleure, mais c’est depress et débuzzant. Ça ne suffit pas de mettre un accord majeur à la fin pour changer ça », confie-t-il.

Et quand il regarde son ancien groupe dans le rétroviseur, il a du mal à le trouver engagé socialement autrement qu’en consacrant une partie des recettes de ses shows pour planter des arbres depuis près de vingt ans via sa fondation (ce qui est quand même à son honneur).

« Je ne les vois pas dans les médias en train de se mobiliser, je ne les ai pas entendus critiquer Bay du Nord, mais je sais qu’ils vont au Festival du boeuf, probablement en avion », souligne ce végane, qui aimerait voir ses anciens comparses profiter de leur gigantesque tribune pour brasser la cage. « Je suis conscient que c’est risqué de se coller à un parti politique, mais ils pourraient se prononcer sur des projets de loi ou sur l’actualité. Je les féliciterais si c’était le cas », assure domlebo, qui a écrit récemment à Marie-Annick Lépine, multi-instrumentiste du groupe, pour la féliciter d’une prise de parole bien sentie lors d’un récent Gala de l’ADISQ.

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Mais domlebo n’a aucune volonté de jouer les belles-mères ou de casser du sucre sur le dos de ses ancien.ne.s camarades.

Il se dit heureux, affirme que « la vie le gâte » et roule sa bosse de son côté depuis quatre albums. J’ai fait mes devoirs avant de le rencontrer et j’ai découvert avec bonheur ce côté saltimbanque à mi-chemin entre Brassens et les Trois Accords sur Grand naïf (2009) et sur son livre-disque Ensemble (2019).

Cet « inventeur de chansons » propose même des concerts interactifs prenant la forme d’un karaoké, ce qui a tout pour me plaire. Il investit aussi du temps dans diverses causes, dont des actions concrètes dans son quartier, en plus d’élever deux ados qui le rendent aussi très fier. « Ça me comble de bonheur, de poils blancs et de perte de cheveux. C’est encore plus fantastique que de jouer du drum au Centre Bell! », assure-t-il, sourire en coin.

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Est-ce qu’il s’ennuie de la visibilité à grande échelle? « Non, mais je m’ennuie parfois de la grande communion », nuance-t-il.

domlebo louange au passage les Cowboys Fringants pour leur intégrité de maintenir une distanciation sociale avec le vedettariat. « Leurs concerts sont encore très abordables et ils sont encore généreux sur scène », ajoute le musicien.

Bon assez placoté, l’exposition nous attend.

Prépare-toi petit garçon

Elle s’ra longue, l’exposition

(Oui, je me calme, désolé.)

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À part être venu porter un artéfact en avril dernier pour contribuer à l’exposition, domlebo n’en sait pratiquement rien, souhaitant se faire sa propre idée.

Il n’a pas lu les critiques à son sujet non plus, ni eu d’échanges avec le groupe ou son entourage.

« Comme pour la musique, j’aime découvrir les choses sur un coup de tête. Je hais aussi les bandes-annonces au cinéma », souligne-t-il.

Il n’a même pas voulu me dire quelle pièce de sa collection il a apportée en avril.

« Tu verras! », me fait languir le snoro, dont la chemise bleue à motifs est elle-même un vestige de ses années fringantes.

Avant d’entrer, il ramasse spontanément un papier qui traîne au sol pour le jeter au recyclage.

Une facture de poutine commandée à une serveuse prénommée Cynthia.

Suivez le guide!

L’anonymat de domlebo dure aussi longtemps que celui de la toune cachée sur Break syndical.

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Il flâne dans la merch à l’entrée depuis deux secondes lorsque le monsieur à l’accueil le reconnaît et l’accueille chaleureusement.

« Ah! Tu fais partie de la question la plus posée de l’exposition : “Pourquoi domlebo est parti?” », lance l’employé avant de nous tendre un coupon pour un concours en partenariat avec une clinique d’optométrie du coin.

Les deux hommes discutent un peu de cynisme et de candeur militante flétrie depuis la chute du mur de Berlin (rien que ça), pendant que les haut-parleurs du vestibule jouent en sourdine Marine marchande.

Je n’suis qu’un pauvre raté, c’est toi qui avais raison

Mais maintenant, laissez-moi rentrer à la maison.

On pousse la porte menant à une grande salle où se trouve l’exposition. L’harmonica de l’Amérique pleure se faufile aussitôt à nos oreilles. Un son qui nous accompagnera tout au long de la visite, puisque le vidéoclip joue en boucle sur écran géant, devant un plancher où la chorégraphie a été reproduite.

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D’emblée, domlebo trouve intéressant d’avoir placé la ligne du temps du groupe dans le contexte historique de l’époque. Ainsi, les faits saillants des Cowboys vont de pair avec le référendum, Passe-Partout, la Marche du pain et des roses, le 11 septembre, la Commission Gomery ou le printemps érable.

Moins de dix minutes après notre arrivée, le compositeur de Léopold repère une première faute d’orthographe dans les descriptions.

La ligne du temps fait le tour de la salle et mène à différents espaces regroupés par thèmes, comme la banlieue, la rue (prise de conscience sociale), l’environnement ou les chansons à boire.

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Tout le long des murs, on peut lire les observations sur le groupe des membres du comité scientifique (le parolier Stéphane Venne, l’auteur David Goudreault, la journaliste Marie-Christine Blais, le philosophe Jonathan Durand Folco, etc.), qui réfléchissent selon leur champ d’expertise à l’impact des Cowboys Fringants dans nos vies.

domlebo sourcille un peu en constatant qu’aucune mention de son arrivée au sein du groupe n’apparaît sur la ligne du temps. « Ça serait ici », estime-t-il, devant l’année 1997 sur la ligne du temps, où on mentionne la signature du protocole de Kyoto et de premiers concerts à Repentigny.

Son attention s’attarde sur une vieille cassette originale de 12 grandes chansons et le crédit des photos éparpillées sur les murs. « Celle-là, je pense que c’est la soeur à Jérôme qui l’a prise », suggère-t-il devant une vieille photo où les membres ont encore des baby face.

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Dans l’espace « banlieue », les commissaires de l’exposition (Anne-Marie Matteau et Philippe Lupien) ont reproduit sur les murs un rappel au motel Capri. L’effet est bien réussi.

Des casques d’écoute permettent de profiter d’une prestation live projetée au plafond. « C’est drôle, ce qui me revient comme souvenir », admet domlebo en revoyant ces images en concert, dont une de lui avec une traditionnelle casquette de camionneur. « Le gars des Respectables m’avait pris à part un jour pour me dire : “Hey, votre look Village des valeurs, c’est voulu et étudié, hein?” Et bien non, ça ne l’était pas », raconte le musicien, nostalgique.

« Je vois un band qui ne se prend pas pour un autre. On est relax, on est détendus, on a du fun », observe-t-il, ému, en reconnaissant la casquette rouge qu’il portait au Centre Bell.

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L’espace voisin prend la forme d’une taverne où l’on rend hommage aux chansons festives, comme Le shack à Hector. Des vidéos en concert sont cette fois diffusées sur des écrans au fond des bocks sur la table. « Je vois un band qui ne se prend pas pour un autre. On est relax, on est détendus, on a du fun », observe-t-il, ému, en reconnaissant la casquette rouge qu’il portait au Centre Bell. « On n’a jamais été trop saouls pour jouer, on était raisonnables dans la vingtaine. Mais je ne dis pas que je ne prenais pas 6-8 bières à la Ripaille, c’était une brasserie après tout! »

domlebo ravive d’autres heureux souvenirs en voyant l’affiche du premier concert en France, le 2 avril 2004 à l’Élysée Montmartre. « Mon père disait : “Vous pognez avec les jeunes, mais si vous allez en France, le Québec au complet va vous reconnaître.” Le soir du premier show là-bas, on était aux nouvelles de 18 h à Radio-Canada. »

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Un peu plus loin, passé l’affiche de la Saint-Jean payante de 2005 animée par les Zapartistes, domlebo aperçoit son nom pour la première fois, lorsqu’on annonce son départ en 2007. « Ah, je ne suis jamais arrivé, mais j’ai quitté au moins! », raille-t-il.

D’ailleurs, domlebo n’a à ce jour jamais été remplacé officiellement, mais quelques batteurs se sont succédé derrière la batterie.

Sur une photo de groupe en 2018 en marge d’un concert avec l’Orchestre symphonique, domlebo remarque surtout la bouteille d’eau en plastique entre les mains de JF Pauzé.

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Dans la section consacrée à l’engagement social, on diffuse le vidéoclip d’En berne. « Ça, c’est mon concept de ne mettre aucun visage à l’avant-plan, mais plutôt de mettre l’emphase sur les textes et notre énergie », s’enorgueillit le drummeur, qui dit s’être aussi battu bec et ongles pour placer l’hymne engagé au début de l’album, ce qui n’était au départ pas prévu.

Au loin, l’Amérique pleure débute pour la énième fois, ce qui est en train de nous faire faire une surdose d’harmonica.

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Notre visite tire à sa fin, avec l’espace dédié à l’américanité (chouette concept avec des rétroviseurs).

Au même moment, un visiteur pousse la porte et s’exclame en reconnaissant mon guide. « Je ne m’attendais pas à voir domlebo aujourd’hui! », confie Jean-François de Granby (et non Gaston Landry), qui calcule avoir vu le groupe sur scène une centaine de fois.

Il suit aussi la carrière solo de l’ancien batteur. « J’aime encore les Cowboys, la magie est toujours là, mais Doum amenait sa petite sauce… », analyse ce fan fini qui savoure l’exposition.

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Avant de sortir, on profite au milieu de la pièce de quelques objets symboliques comme des instruments, un costume de scène du chanteur Karl Tremblay, des brouillons de chansons écrites à la main, une maquette du fameux shack à Hector et les personnages fabriqués par la sœur de Jérôme Dupras pour le clip Plus rien.

Ah et la mystérieuse contribution de domlebo mentionnée au début est un chandail du CH personnalisé, retiré au plafond.

En sortant, c’est l’heure des bilans.

«C’est un wiki avec des moments historiques, des affiches et une toune qui joue en continu», tranche domlebo.

Premier constat : domlebo est un peu resté sur sa faim. Il estime que l’exposition est un bon premier contact pour ceux et celles qui connaissent une toune ou deux, mais les purs et durs n’apprendront pas grand-chose.

« C’est un wiki avec des moments historiques, des affiches et une toune qui joue en continu », tranche domlebo, grâce à qui j’ai au moins pu mettre plus de chair autour de l’os. « Il n’y a rien sur l’impact de l’Erreur boréale de Desjardins, qui a été un déclic, ou sur le fait que le groupe s’est appelé “Les Oiseaux Fringants” durant dix minutes », note enfin l’ancien batteur, qui a surtout apprécié de revoir de vieilles affiches.

J’estime pour ma part que l’exposition offre un beau contenant mais s’avère un peu chiche en contenu. J’aurais pris des anecdotes de la part du groupe, des extraits d’entrevues, des témoignages d’artistes influencés par lui, de proches et de fans même.

Tout le monde n’a pas la chance d’y aller avec domlebo, sympathique étoile filante dans l’histoire du groupe.

Mais au bout du chemin dis-moi ce qui va rester
De notre petit passage dans ce monde effréné ?