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Visite à ses propres risques au World Press Photo

Sur les murs, quelques fragments de deuil.

Par
Jean Bourbeau
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À l’occasion de sa quinzième édition montréalaise, le World Press Photo, prestigieux concours de photojournalisme international, réinvestit son emplacement traditionnel au Marché Bonsecours, situé dans le Vieux-Port.

Les années s’écoulent et l’exposition poursuit sa mission d’offrir un reflet poignant des maux profonds affligeant l’humanité. Si une visite demeure un incontournable du calendrier culturel automnal, il est essentiel de noter qu’elle a pour objectif principal de sensibiliser un public averti plutôt que de le divertir.

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À titre d’exemple, la photographie primée de cette édition, capturée par Evgeniy Maloletka, est si chargée en émotions que simplement la regarder devient un profond déchirement. Rien qu’avec le nom du photographe, il est facile de deviner la guerre derrière son contenu.

Jeux de lumière sur jeux de pouvoir; nous voilà confrontés au clair-obscur du déchirement. À travers les regards, on perçoit l’inquiétude, mais surtout l’absence, lorsque seul le corps demeure présent, et que tout ce qui subsiste est l’absurde, le sordide, dépourvu d’espoir.

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La salle spacieuse et son éclairage offrent un vibrant hommage à la puissance des impressions. On ne peut qu’admirer tout particulièrement la série consacrée aux alpagas péruviens d’Alessandro Cinque, ainsi que le travail urbain de la photographe vénézuélienne Fabiola Ferrero. Le mysticisme sud-américain perdure avec splendeur.

Au milieu de cette tapisserie de tragédies, nous accueillons chaleureusement l’addition d’une photographie lumineuse qui célèbre la vague humaine inondant les rues de Buenos Aires à la suite de leur dernière victoire à la Coupe du Monde. L’union du sport, dernier rempart de la collectivité dans un monde en ruine.

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La photo intitulée L’ultime voyage des nomades et capturée par Jonathan Fontaine est également un tour de force. Depuis 2016, le photographe français parcourt la Corne de l’Afrique et documente l’évolution des conséquences climatiques sur les peuples pasteurs. Pour cette image de Samira, 16 ans, devant un camp de réfugiés, il s’est rendu dans la région éthiopienne du Somali afin d’immortaliser le processus obligé de sédentarisation des derniers nomades.

Un instant d’éternité saisi après plus de trois ans sans pluie, soit la pire sécheresse jamais enregistrée au pays, au cours de laquelle plus de 13 millions de bêtes ont péri, mettant terme à un mode de vie.

« C’est une culture qui s’éteint. Une économie qui s’effondre. 36 millions de personnes sont touchées. Mon travail tente de mettre de l’avant la responsabilité des pays les plus pollueurs, car les conséquences de nos économies marchandes sont réelles sur le corps du monde », explique le photojournaliste, qui n’a plus d’adresse fixe depuis dix ans.

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« Ce n’est pas un événement météorologique, c’est la conclusion forcée d’une tradition en raison de bouleversements causés par l’humain. L’intention n’est pas que de montrer la détresse, mais de la traduire en appel à l’action, car la situation va continuer de s’empirer », ajoute Jonathan Fontaine dont les plans futurs sont de bourlinguer le long du Nil et de travailler sur l’actuelle crise de l’eau dans le sud de l’Irak.

« Il y a beaucoup à couvrir », conclut-il avec sérieux.

Porte-parole de l’exposition, la comédienne Magalie Lépine-Blondeau dévoile la femme de la Renaissance qu’elle incarne en offrant une série de portraits environnementaux intitulée Ailleurs. Réalisée lors de plusieurs voyages à travers le monde, la collection propose, à travers une lentille sensible, un espace de rencontre intime avec le lointain.

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Sans aucune prétention professionnelle, comme l’indique l’actrice elle-même, elle souhaite partager une vision personnelle empreinte d’humanité. « C’est avec beaucoup d’humilité que je présente ces photos, consciente du paradoxe qui vient du fait de pouvoir voyager, ce grand privilège, et vouloir se faire le porte-voix de la fragilité de certains écosystèmes et simultanément participer à leur effritement. Je n’ai pas de solution autre que cette humble proposition. »

Capturées à l’aide d’un appareil photo numérique Minolta, plusieurs photos sont particulièrement réussies, notamment celle prise dans le département pluvieux et très isolé du Chocó, en Colombie. Alors que sa Jeep était embourbée, quatre jeunes se sont spontanément portés volontaires pour la pousser. Le mariage entre l’émotion et la composition est de toute beauté.

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Le World Press Photo 2023 apparaît comme une année marquée par la perte de repères, qu’ils soient liés au patrimoine, au territoire ou à notre grande histoire commune.

Nous en ressortons déconcertés, habités d’un certain engourdissement et accompagnés de cette étrange impression que la photographie documentaire ne manquera pas de sujets à explorer dans les éditions à venir.