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C’était autour de la machine à café (et à côté de la petite cuillère qui ne trouve jamais son chemin jusqu’au lave-vaisselle) il y a quelques jours. « Faut absolument voir ça! » nous a dit un membre de l’équipe. La veille, il était à une présentation spéciale au Cinéma Beaubien. Un long-métrage, un soir seulement, et une salle comble.
Pétris de curiosité, on a investigué. Et on a pas été déçu. Parce qu’on a trouvé deux histoires étonnantes : celle d’un film, Jean et Béatrice, tiré d’un joyau du théâtre québécois, et celle d’une (co-)réalisatrice, qui a longtemps pensé qu’elle n’en était pas une.
Rencontre avec Amélie Glenn, mais aussi par la bande avec Jean et Béatrice.
Jean et Béatrice, c’est d’abord une pièce écrite il y a plus de 15 ans, racontant l’histoire d’une jeune héritière offrant récompense à l’homme qui pourra l’intéresser, l’émouvoir et la séduire… dans l’ordre! L’auteure, Carole Fréchette est Québécoise, tu es Française. Encore une fois la mythique magie Québec-France a opéré?!
Je suis tombée sur cette pièce de manière complètement inattendue! Je devais participer au festival Fringe et pour diverses raisons je ne pouvais plus présenter ce qui était convenu au départ. Bref, un soir mon père me propose d’aller au théâtre voir Jean et Béatrice. Nous nous disions lui et moi qu’il y avait quelque chose de québécois dans les tournures de phrases, mais dans un propos universel – l’amour, l’argent, le temps qui passe. Immédiatement, j’ai su : c’est ce qu’il me fallait pour Fringe!
C’est embarrassant, mais je t’avoue que je n’avais jamais entendu parler de cette pièce auparavant. Si je pouvais, j’insérerais un emoji gêné [ici]…
Tu n’es pas la seule! J’ai le sentiment qu’au Québec, on connait moins bien cette œuvre, du moins quand j’en parle dans mon entourage [Amélie vit désormais au Québec]. Pourtant c’est LA pièce qui est jouée tout le temps. Elle a été traduite en 15 langues et mise en scène 56 fois à travers le monde, notamment au Japon, en Espagne, en Lituanie et en Russie.
Et tu as voulu la faire voyager sur grand écran?
J’ai joué la pièce mise en scène avec Nicolas Melocco en 2010 et c’est comme si elle ne m’avait jamais vraiment quittée. Un jour de 2012 ça m’a sauté au visage : cette histoire, c’est un film! En fait, je dis « un jour », mais c’est littéralement arrivé en pleine nuit! Je voyais les scènes en gros plan et les visages des acteurs de près, ce que nous permet le cinéma, mais pas le théâtre. Le cinéma impose une réaction, on y est plus actifs.
Un instant! L’idée t’est venue en 2012… mais le film a été tourné la même année?
Oui! Ça s’est passé très rapidement, totalement dans l’esprit Kino « faire bien avec rien, faire mieux avec peu, mais le faire maintenant ». Comme à l’époque je ne m’assumais pas comme réalisatrice, j’ai cherché un coréalisateur – Filip Piskorzynski, réalisateur allemand lui aussi associé au mouvement Kino – à qui j’ai lu la pièce d’un bout à l’autre, d’un trait. J’étais de passage à Hambourg quand il m’a dit « allez, on le fait ». En un temps éclair, il a rassemblé une équipe de tournage, nous avons trouvé un édifice avec un étage libre qui pouvait nous servir à reconstituer l’appartement de Béatrice et ça y’était. Nicolas Melocco a aussi embarqué dans l’aventure.
Une démarche un peu DIY finalement! Alors de quoi avaient l’air les conditions de tournage?
Disons que c’était rocambolesque. L’équipe était composée de membres polonais, japonais, allemand, français… et nous ne parlions pas tous la même langue alors nous étions souvent en train de traduire. D’ailleurs, tout au long de l’aventure, je n’ai parlé à la maquilleuse que par gestes. Le courant passait, sans mots. Si on ajoute à ça le fait que le tournage s’est déroulé sur 11 jours, disons que le mot intensité prend tout son sens! Et comme nous avons tourné de manière chronologique (ce qui est plutôt rare), nous avions entre les mains un projet tout à fait singulier. Cette manière de travailler a donné une touche évolutive au film. La relation entre les personnages s’enrichissait en parallèle de celle entre l’équipe et les acteurs.
Mais bonjour le défi technique…
Ah ça oui! Il y a plusieurs grandes fenêtres dans l’appartement de Béatrice et comme nous tournions le plus souvent le soir, il fallait s’adapter. Plus les jours avançaient, plus la maîtrise de la lumière se précisait. En d’autres mots : nous étions meilleurs! Une bonne nouvelle qui nous a demandé tout un travail d’harmonisation en postproduction pour que ce soit cohérent visuellement du début à la fin pour le spectateur. Un beau casse-tête où tout est bien qui finit bien. Lorsque Carole a vu le film, elle m’a dit qu’elle était touchée par la cinématographie, qu’elle comprenait pourquoi j’avais voulu aller de l’avant avec ce projet, que le cinéma permettait un accès tout particulier à l’intimité des personnages. Un commentaire précieux quand on sait que j’avais oublié de lui demander les droits pour le film! Quand je regarde le résultat, je me dis que rien dans ce film n’est conventionnel, mais que tout marche.
Tout marche, mais en même temps il s’est écoulé 6 ans avant que l’on puisse voir le film. Tout marche vraiment?!
Avec le support d’une maison de production, j’ai pu faire la postprod en 2013 notamment dans les studios de Luc Besson en Normandie [face impressionnée de l’auteure de cet article!], puis Jean et Béatrice a été présenté dans quelques festivals dans l’idée de le faire vivre dans un circuit traditionnel de diffusion. Le film n’avait toutefois pas été conçu pour ça. Je crois que quelque part, je me disais « ça y’est, c’est le film qui va me lancer comme actrice », alors qu’avec le recul, je ne vois plus les choses de la même manière. La nature hybride de la bête (ni tout à fait théâtre, ni tout à fait cinéma), le contexte dans lequel ça a été tourné et la manière dont le projet est né… c’est tout sauf traditionnel. Et je me suis finalement réapproprié les choses d’une manière différentes.
C’est-à-dire?
J’ai vécu toute une période de remise en question. J’ai déménagé au Québec, je suis retourné en France puis j’ai déménagé au Québec de nouveau. Tout s’est finalement mis en place à peu près au même moment où les droits du film me sont revenus alors j’ai saisi l’opportunité. J’avais pris de l’assurance, j’avais envie de faire exister ce film, la plateforme de diffusion était trouvée. Peut-être que financièrement ça n’allait pas être très payant, mais au bout du compte ça a peu d’importance. Je vois les choses autrement maintenant! Ça a quelque chose de jouissif de rendre ce film accessible dans son état initial : sans attentes, dans la confiance et le sentiment de liberté qui lui est dû.
C’est paradoxal, mais c’est un peu comme reprendre le contrôle de cette liberté-là, non?
On est en 2018, on peut tout faire! Je l’ai voulu disponible sur le web, mais qui sait, peut-être que j’organiserai un autre événement en salle? J’aime l’idée qu’on puisse découvrir cette histoire de différentes façons, au théâtre, dans son salon avec des amis, au cinéma avec une qualité d’écoute et une expérience qui sera différente chaque fois.
Et peu importe où il sera vu, le film est à sa place. Tout comme je me sens aussi à ma place. C’est bien, non?!
Mets-en! Et on peut voir le résultat ici jusqu’à lundi soir.